En Guyane, le chemin de croix des réfugiés
Depuis 2019, des milliers de Syriens, d’Afghans et de Sahraouis empruntent la voie de la Guyane pour se réfugier en France. Mais leurs espoirs d’une vie meilleure se heurtent à un manque de structures adaptées et à des délais de traitement particulièrement longs.
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© Tristan Dereuddre
Foulard soigneusement noué dans les cheveux, Roshan enfile ses gants de boxe. Comme tous les soirs, l’ex-championne de muay-thaï s’apprête à monter sur le ring. « C’est bon de pouvoir s’entraîner. Je ne pouvais plus faire partie d’un club à Kaboul », souffle-t-elle. Au Boxing Club du tigre, situé en périphérie de Cayenne, la jeune femme d’une vingtaine d’années savoure à nouveau la liberté de pratiquer son sport.
À l’arrivée au pouvoir des talibans, le 15 août 2021, Roshan voit ses libertés brutalement restreintes par le nouveau régime : privée d’éducation, d’entraînement, de compétition et menacée de persécutions. Le départ s’impose comme seule option. Début 2023, elle décide de quitter l’Afghanistan. « J’ai fui parce que la situation était devenue invivable. Pas seulement pour moi, mais pour toutes les filles et les femmes afghanes », raconte-t-elle.
Pour rejoindre la France, Roshan emprunte un itinéraire méconnu du grand public. « De Kaboul, j’ai pris l’avion pour l’Iran, précise-t-elle. Je suis ensuite passée par le Qatar pour rejoindre le Brésil. » Son périple s’achève lorsqu’elle traverse l’Oyapock, le fleuve qui marque la frontière entre l’État brésilien de l’Amapá et la Guyane française. Elle entre alors sur le territoire français, où elle espère reconstruire sa vie en démarrant une formation d’infirmière.
Comme Roshan, des milliers de réfugiés afghans, syriens et sahraouis ont choisi la Guyane comme point de chute. « Depuis 2019, un flux constant de personnes issues du Moyen-Orient arrive sur le territoire, explique Lucie Curet, déléguée nationale en région Amériques de la Cimade, association d’aide aux migrants. Les réfugiés sont d’abord arrivés de Syrie, et un peu plus tard d’Afghanistan. »
Pour Lucie Curet, ce phénomène migratoire s’explique par l’accroissement des contrôles aux frontières via Frontex en Méditerranée : « Cette route s’abordait par des voies très dangereuses. Dans les phénomènes migratoires, quand ça ne passe pas d’un côté, on essaye de passer par un autre. Pour rejoindre l’Europe, ces populations se sont organisées pour arriver en France en passant par la Guyane. »
Des conditions de vie déplorables
En 2024, 8 703 demandes ont été introduites en Guyane, selon les données de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Il s’agit du département français qui reçoit le plus de demandes d’asile, après Paris (environ 13 000). En décembre 2024, 20 000 personnes étaient en attente de leur demande d’asile, selon la Structure de premier accueil des demandeurs d’asile (Spada). Les demandes, majoritairement haïtiennes, sont toujours suivies par celles des réfugiés du Moyen-Orient (entre 20 et 30 %).
On vit à côté des vers, des scorpions et des rats.
Mohammed
Sur le territoire guyanais, l’État manque cruellement de structures adaptées pour répondre aux besoins de logement d’urgence. « Les capacités d’hébergement et d’accompagnement sont extrêmement limitées, avec environ 1 700 places », explique Mathieu Tetrel,président de la Cimade Amériques. En conséquence, la plupart des personnes venant du Moyen-Orient sont placées au camp de La Verdure, un bidonville situé en périphérie de Cayenne.
Sur cette immense esplanade de goudron appartenant à l’État, des centaines de réfugiés attendent la validation de leur demande d’asile. Ils vivent dans des habitations de fortune, faites de palettes et de bâches, collées les unes aux autres. Ici, l’insalubrité règne en maître : « C’est une vie très difficile. On vit dans la saleté. L’eau n’est pas toujours propre à la consommation. On vit à côté des vers, des scorpions et des rats », se plaint Mohammed. L’homme d’une cinquantaine d’années vit à La Verdure depuis huit mois avec son fils, Rezgar. Sa cabane en bois est pourrie par l’eau, très abondante à la saison des pluies. Les insectes se dispersent sur le sol à notre arrivée.
Assis sur une chaise de camping, il raconte : « Je suis arrivé du Kurdistan syrien avec mon fils. Avec notre passeport syrien, on ne pouvait pas se rendre en France directement. On est passés par la Jordanie pour atteindre le Brésil. » Alors qu’il avance dans son récit, un déluge s’abat sur le camp. La pluie tropicale s’infiltre à travers la bâche qui lui sert de toit. D’un léger hochement de tête, Mohammed désigne la fuite, le visage marqué par la frustration : « C’est tout le temps comme ça. Et quand la pluie va s’arrêter, les moustiques prendront le relais. »
Dans le camp, les conditions sanitaires sont préoccupantes. En saison sèche, les fortes chaleurs augmentent le risque d’incendie, les abris en palette risquant de s’embraser. En saison des pluies, l’humidité favorise l’apparition des maladies liées aux moustiques. « Les pathologies rencontrées dans le camp sont nombreuses : gale, poux, gastro-entérites… », indique Camille Guédon, coordinatrice régionale de Médecins du monde. La présence de rats lui fait craindre l’arrivée de la leptospirose. En décembre dernier, un bébé a été mordu. « Sur le site, les trois points d’eau sont aussi bien utilisés pour les douches et les lessives que pour l’eau potable. Il y a un gros risque de contamination entre les personnes », s’inquiète Camille Guédon.
L’État dépassé
Alertée par Médecins du monde à l’arrivée des réfugiés à l’automne 2023, l’agence régionale de santé a mis en place une coordination des acteurs de santé. Les services de la permanence d’accès aux soins de santé (Pass) et de la Croix-Rouge assurent un accueil le jeudi et le vendredi, dans le bâtiment administratif situé à l’entrée du site.
On ne connaît personne, on n’a pas d’argent. Sans papiers, on ne peut pas travailler.
Mohammed
Pendant plusieurs mois, Mohammed et Rezgar ont subi ces conditions, dans l’attente que leur dossier administratif soit épluché. Au mois de septembre, ils enregistrent leur demande d’asile auprès des autorités françaises. « La Spada renseignera avec vous un formulaire d’enregistrement de la demande d’asile et vous remettra une convocation pour le rendez-vous avec le guichet unique de demande d’asile (Guda), qui aura lieu dans les trois jours (dix jours en cas de forte affluence) », indique l’Ofpra aux réfugiés.
Mais ce délai présumé de trois jours s’est finalement étiré sur sept mois. La date du rendez-vous de Mohammed et Rezgar avec le Guda, leur permettant d’activer certains droits comme l’hébergement, était planifiée pour le 16 avril. Un coup de massue pour les deux hommes : « C’est une attente très longue pour nous. On ne connaît personne, on n’a pas d’argent. Sans papiers, on ne peut pas travailler. On aimerait contribuer à la société guyanaise, assure Mohammed. Comment peut-on vivre sept mois ici sans ressources, sans travail, sans accès aux soins ? »
Dans les cas les plus graves, les délais peuvent atteindre deux ans. Régulièrement, ils atteignent douze mois. Une fois passé le rendez-vous au Guda, les dossiers sont envoyés à l’Ofpra pour être examinés. « Si la demande est rejetée et qu’un recours est engagé devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), la procédure totale peut s’étendre jusqu’à trois ans », glisse Mathieu Tetrel, de la Cimade.
La bataille juridique des associations
Face à cette situation, plusieurs associations, comme le Comede, Médecins du monde ou la Cimade, ont engagé une bataille juridique pour faire reconnaître une carence systémique de la préfecture. Si l’atteinte aux libertés fondamentales est retenue pour six requérants individuels, la carence systémique n’est pas reconnue : « Nous sommes passés par le référé de liberté, qui n’était peut-être pas l’outil le plus adapté. Il permet d’agir en 48 heures, mais le juge doit ordonner des mesures qui peuvent être mises en œuvre en 48 heures », explique Me Clara Jouneaux, avocate des requérants.
Cependant, la stratégie s’est finalement avérée payante : en avril dernier, la préfecture a avancé les rendez-vous de tous les réfugiés de La Verdure : « Il n’y a personne en attente à plus d’un mois », assure Clara Jouneaux. Pour elle, ce revirement pourrait être issu de la victoire des référés individuels. « On a laissé entendre qu’on allait en faire de manière massive. La préfecture a des frais lorsqu’elle perd, et ça lui coûte cher », souffle l’avocate.
Si la réaction de l’État laisse entrevoir des jours meilleurs pour les réfugiés du camp de La Verdure, d’autres communautés restent confrontées à l’engorgement administratif. « Les grands lésés de cette histoire sont les Haïtiens. J’ai un dossier d’une personne qui a reçu sa convocation pour septembre 2026 », soupire Me Jouneaux. En Guyane, les réfugiés haïtiens représentent entre 70 et 80 % des demandeurs d’asile sur le territoire.
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