« Non, l’euthanasie n’est pas une avancée sociale ! »

Plusieurs organisations et des personnalités interpellent la gauche favorable à la proposition de loi sur l’aide à mourir en pointant les dérives validistes du texte, dans un système de santé plus que dégradé.

Collectif  • 22 mai 2025
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« Non, l’euthanasie n’est pas une avancée sociale ! »
© SJ Objio / Unsplash

Dans les milieux de gauche, pourtant attachés à l’émancipation, à la solidarité et à la justice sociale, les voix critiques de l’euthanasie restent marginalisées, ignorées, voire disqualifiées. Depuis plusieurs années, ces voix s’élèvent, celles de personnes malades, handicapées, âgées, soignantes, citoyennes, qui méritent d’être écoutées sans être renvoyées aux silences et autres sous-entendus nauséabonds.

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Notre indignation est pourtant tenace et notre colère intacte. La mal-nommée « aide active à mourir » s’adresse, dans les faits, à celles et ceux que notre société considère comme inutiles, indésirables ou trop coûteux. Elle est un symptôme à combattre et ce combat ne peut se confondre avec les discours de la droite réactionnaire et néofasciste, des Églises traditionnalistes et de leurs tendances abusives. Elle repose sur des représentations validistes et âgistes qui rendent la mort volontaire de certains acceptable.

Faut-il rappeler à la gauche que l’accès aux soins est en voie d’effondrement ?

Nous sommes contre « l’aide active à mourir », à savoir l’euthanasie et le suicide assisté, en particulier dans la société française actuelle.

Faut-il rappeler à la gauche que l’accès aux soins est en voie d’effondrement, dans tous les domaines : soins palliatifs, psychiatrie, pédiatrie, oncologie, entre autres ? Que le renoncement aux soins s’amplifie partout sur le territoire ? Faut-il rappeler à la gauche le contexte politique national et international et la montée de l’extrême droite, la dégradation des conditions de vies d’un nombre de plus en plus grand de personnes, le repli de notre société, de plus en plus fermée et réactionnaire ?

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Faut-il se souvenir que le droit à la santé et aux soins est l’un des droits fondamentaux et qu’il ne peut se réduire à un droit à obtenir la mort médicalement assistée ? Faut-il encourager le nihilisme thérapeutique sans prendre en compte l’extension systématique des indications de l’euthanasie dans tous les pays qui l’ont légiférée ?

Nous devons lutter contre les logiques prédatrices et utilitaristes qui ont contaminé l’ensemble des lieux d’accompagnements et de soins.

Soutenir la mort médicalement prescrite et/ou administrée, supposément « digne », sans s’opposer à l’actuelle indignité voire l’inaccès des soins, c’est répondre à la souffrance en supprimant celui qui souffre plutôt qu’en repensant les modalités de vies qui l’amènent à souffrir. C’est renoncer à l’exigence éthique de prendre le temps de saisir l’ensemble de la problématique. Une problématique au croisement de l’individuel et du collectif, du politique et du technique, du soin et du pouvoir.

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C’est également prendre tout à l’envers : proposer la mort à l’individu plutôt que repenser le soin et l’accompagnement au niveau politique et collectif. Nous avons besoin d’une reconstruction de services publics dans le domaine de la santé, du médico-social et du social, dans tous les territoires.

Nous devons lutter contre les logiques prédatrices et utilitaristes qui ont contaminé l’ensemble des lieux d’accompagnements et de soins. En finir avec la tarification à l’activité, valoriser la prévention et les soins sur les seuls diagnostics et évaluations. Créer des lieux où les soignants retrouveront leur mission première : soigner, et où les patients pourront user de leur droit à se soigner. Faut-il rappeler que l’État nous doit les services publics ?

Personnes non-reproductives

Nous soutenons sans condition les droits des femmes, l’IVG, la contraception, l’auto-détermination des personnes et leurs émancipations.

Nous soutenons sans conditions que toute vie vaut la peine d’être vécue selon ses propres normes et que ce n’est ni aux soignants ni aux gouvernants de décider, de trier, quelles sont les vies qui valent, quelles sont celles qui ne valent pas.

Peut-on émanciper une société sans transformer les racines même du mal ?

Dans le domaine de l’euthanasie, nous sommes pour un esprit des lois – une réflexion politique sur ce que signifie, dans une société fracturée, l’institutionnalisation d’une mort médicalement prescrite ou administrée – et non pour un droit positif qui, comme partout ailleurs où il existe, s’applique d’abord aux personnes considérées comme inutiles car non-productives.

Peut-on émanciper une société sans transformer les racines même du mal : les profondes inégalités d’accès aux soins et à l’accompagnement, l’injustice sociale et fiscale ? Penser que l’euthanasie est une avancée sociale, c’est confondre exclusion et émancipation. La gauche ne peut s’y résoudre.


Signataires

  • Mathieu Bellahsen, psychiatre
  • André Bitton, président du CRPA et ancien président du Groupe information asile – Collectif Lutte et Handicap pour l’Egalité et l’Emancipation
  • Isabelle Hartvig, résidente d’Ehpad et militante
  • Geneviève Hénault, psychiatre
  • Odile Maurin, pour le collectif Handi Social
  • Sara Piazza, psychologue, pour le collectif JABS
  • Laetitia Rebord, Les Dévalideuses
  • Elisa Rojas, avocate et militante
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Publié dans
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Temps de lecture : 4 minutes
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