Affects, classes, races : une stratégie contre l’extrême droite

Des discussions d’universitaires et de militant·es foisonnent sur la manière dont le mouvement social peut vaincre le fascisme ambiant. Mais rares sont celles qui optent pour la perspective intersectionnelle.

Aurore Koechlin  • 26 juin 2025
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Affects, classes, races : une stratégie contre l’extrême droite
Rassemblement place de la République à Paris, dimanche 30 juin, au soir du premier tour des législatives anticipées.
© Maxime Sirvins

Un débat est en train de naître au sein du mouvement social dans son analyse de l’extrême droite : quel rôle jouent les affects, en particulier nationalistes, dans l’engouement qu’elle provoque ? Et question corollaire : est-ce une bonne stratégie de réinvestir ces affects négatifs pour leur donner de nouvelles significations et ainsi créer des alliances inédites contre l’extrême droite ?

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Le débat s’est cristallisé en opposant une lecture en termes d’affects et une lecture en termes d’intérêts matériels pour expliquer les succès de l’extrême droite. Pourtant, la lecture matérialiste, combinée à une perspective intersectionnelle, peut éclairer ce débat. Car pourquoi l’idéologie de l’extrême droite et les affects qu’elle fait naître ont-ils autant d’effets dans une période donnée et sur une part de la population donnée ? L’explication par les seuls affects n’y répond pas et donne l’impression que nous serions tou·tes spontanément enclin·es à céder à des affects négatifs (le nationalisme, le racisme, le sexisme), au désir de faire partie d’un groupe, à nous réclamer d’une identité.

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Mais cette construction de l’identité est sociale, parce qu’elle s’appuie toujours sur des groupes qui ne sont pas neutres, mais qui sont liés entre eux par des rapports sociaux ou, dit autrement, par des rapports de pouvoir. Il y a des identités dominées et des identités dominantes. L’attachement à la nation, par exemple, n’a pas le même sens pour un peuple opprimé et pour une nation impérialiste.

Par ailleurs, depuis les années 1930, un effort particulier a été fourni par les analystes marxistes pour expliquer la montée du fascisme par le fait, entre autres, qu’il avait une base sociale spécifique, dans les termes de l’époque, la petite bourgeoisie déclassée – ce qui n’empêche pas qu’il puisse convaincre des fractions significatives d’autres classes sociales. Comment expliquer cette régularité sociologique s’il n’y avait pas derrière des intérêts matériels communs ?

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À moins de dire que certaines classes sont plus enclines à certains affects que d’autres, une forme d’essentialisme. Aujourd’hui, le sociologue Félicien Faury (1) est un de ceux qui ont montré que le vote RN était blanc et marqué par le racisme, apportant à une lecture de classe, une lecture en termes de race : là encore, comment cette régularité sociologique pourrait-elle être le fruit du hasard ?

(1)

Des électeurs ordinaires, Seuil, 2024.

Ces réflexions ne visent pas à trier le bon grain de l’ivraie et à dire qu’il n’y aurait rien à faire avec celles et ceux qui sont séduit·es par l’extrême droite – mais si cette séduction repose sur des intérêts matériels de classe et de race bien compris, alors ce sont ceux que nous convaincrons en dernier, et le rapport de force sera indispensable.

L’attachement à la nation, par exemple, n’a pas le même sens pour un peuple opprimé et pour une nation impérialiste.

Elles ne visent pas non plus à dire que nous n’avons rien à faire avec les affects. Au contraire, nous devons défendre un contre-projet de société au capitalisme néolibéral et à l’extrême droite, avec un programme crédible et non moins désirable – et en réalité bien plus désirable, car il répondrait aux aspirations de tou·tes les dominé·es –, ce que Bernard Friot appelle si joliment un « désir de communisme ».

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