« Ma mutation aurait-elle un lien avec mes engagements syndicaux ? »

Catherine Letort est professeure documentaliste en Île-de-France. Elle a récemment été mutée pour des motifs qu’elle juge irrecevables. Elle se demande si son engagement syndical n’est pas à l’origine de cette décision.

• 4 juin 2025
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« Ma mutation aurait-elle un lien avec mes engagements syndicaux ? »
Manifestation à Paris, le 1er octobre 2024, jour du discours de politique générale prononcé par Michel Barnier.
© Thomas Lefèvre.

Professeure documentaliste dans un collège francilien et secrétaire de section au Snes-FSU, Catherine Letort s’est vu imposer une mutation professionnelle pour des motifs irrecevables, tant ils sont déconnectés du rôle et de son temps de présence dans cet établissement. Paierait-elle le prix de son engagement syndical ? Une hypothèse que l’intéressée n’écarte pas. Elle raconte.


« Mutée dans l’intérêt du service », c’est la décision injuste prise par le rectorat à mon encontre. Professeure documentaliste au collège François-Mitterrand de Noisy-le-Grand depuis 2003 et secrétaire de section au Snes-FSU, mes états de service issus de différentes inspections sont pourtant exemplaires, la qualité de mon travail est saluée par mes collègues et les familles, et par les différents personnels de direction jusqu’alors.

Pour motiver cette décision, le rectorat s’appuie sur une note de synthèse, signée par les inspecteurs qui ont mené l’enquête administrative le 9 décembre 2024 au collège. Ces deux pages, que j’ai pu consulter au rectorat le 28 avril 2025, alternent entre citations de deux personnes – une ayant quitté l’établissement, et l’autre étant membre de l’équipe de direction –, des citations anonymes – parfois incompréhensibles car sans contexte –, et une sélection partiale d’extraits de courriels rédigés et signés collectivement par les élu·es de la liste intersyndicale à laquelle j’appartiens.

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Dans la conclusion de cette synthèse, les rédacteurs me font apparaître comme « l’organisatrice d’une tentative de déstabilisation, ayant [contribué] à dégrader la qualité de vie au travail des personnels », « [assumant] une contestation permanente de toutes les décisions de la direction ». La violence de cette charge non étayée m’a sidérée. Pourquoi cet acharnement contre moi ?

Des méthodes brutales

Dans la démonstration, le positionnement de notre direction, ses méthodes brutales, son favoritisme, la perte de confiance et la souffrance au travail qui en découlent pour les personnels sont passés sous silence. Ceci a pourtant été documenté depuis trois ans dans différentes instances et a été rapporté par de nombreux collègues lors de l’enquête administrative. Pourquoi ces témoignages ont-ils été écartés ?

Des collègues ont exposé la protection accordée par la direction à certains personnels. Le professeur qui a tenu des propos sexistes, validistes et grossophobes aux élèves est toujours en poste. Celui qui a agressé verbalement et par écrit des collègues n’a pas été inquiété. En annonçant l’obtention de sa mutation, la principale a indiqué que la confiance du rectorat lui avait été renouvelée. Comment est-ce possible avec un tel niveau de conflictualité ?

Le professeur qui a tenu des propos sexistes, validistes et grossophobes aux élèves est toujours en poste.

Élue au conseil d’administration du collège depuis octobre 2022, sur une liste « Snes, SUD et sympathisants », je me suis engagée, avec mes camarades, à me préoccuper de la souffrance au travail dans un collège où les coups de pression, l’infantilisation, la confiscation de la parole, le non-respect des procédures, les mises à l’écart ou encore les accusations mensongères sont légion. Au titre de notre mandat syndical, nous avons soutenu chaque collègue concerné. J’ai pour ma part témoigné auprès de la cellule de signalement « stop-discri » du rectorat de faits qualifiés par les psychologues de harcèlement moral de la part de la principale.

Punie pour avoir sonné l’alerte ?

Les rédacteurs de cette note procèdent ainsi à une inversion de la charge de responsabilité. La cheffe d’établissement est censée être garante de la qualité du climat scolaire, du dialogue social. Des actions concrètes avaient été préconisées à la première audience du 9 novembre 2023, ainsi qu’à la fin de l’enquête, le 4 juin 2024, pour danger grave et imminent. La principale ne les a pas mises en place et le rectorat ne s’en est pas préoccupé. Pourquoi devrais-je payer pour ces manquements ? Pour faire un exemple et renforcer l’omerta ? Suis-je punie pour avoir, avec d’autres, sonné l’alerte ?

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Enfin, j’ai été peu présente au collège ces deux dernières années du fait d’importants soucis de santé et d’une reprise en mi-temps thérapeutique. Ceci met à mal la thèse de ma supposée « nuisance systématique » telle que rapportée par les rédacteurs.

Cette décision de mutation m’apparaît comme une sanction déguisée de mon engagement syndical.

Je ne peux pas vraiment me défendre de ces allégations. L’engagement et la solidarité des collègues, toujours à mes côtés, m’aident à tenir et renforcent ma conviction de la nécessité de luttes collectives. Cette décision de mutation m’apparaît comme une sanction déguisée de mon engagement syndical, doublée d’une maltraitance institutionnelle.

Maltraiter et laisser maltraiter revient à éduquer selon la loi du plus fort : est-ce le message prôné par l’Éducation nationale ? Si tel était le cas, je ne partagerais plus les valeurs de cette institution et mon travail de professeure documentaliste auprès des élèves et de représentante syndicale n’aurait alors plus de sens.

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