Djamil le Shlag, le coup du rire
Après sa démission éclair de France Inter, l’humoriste et chroniqueur continue de tourner avec son deuxième spectacle et signe son retour sur les ondes de Radio Nova avec sa propre émission. Portrait d’un homme libre aux histoires « incroyables ».
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Exode(s) / 1 h 30 / du 6 au 28 juin puis en septembre à la Scène parisienne (Paris 9e) et en tournée dans toute la France.
« Patrick Buisson ! » Dès la mise en route de notre dictaphone, Djamil le Shlag taquine. Il glisse le nom de l’essayiste d’extrême droite qui, à l’aide d’un appareil caché, a enregistré Nicolas Sarkozy et ses conseillers, du temps où il était lui-même conseiller à l’Élysée. C’est samedi soir et, comme souvent les samedis soir, l’humoriste file à la Scène parisienne pour jouer son spectacle. Le Shlag fait une pause pour nous dans le nord de la capitale. La barre du mètre 90 passée, l’homme de 42 ans porte des lunettes de vue aviateur et un béret Kangol famoso vissé sur la tête, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige. Il commande un grog sans alcool pour adoucir ses maux de gorge.
Dans un village de 1 000 habitants, si t’es sur Inter, tu peux remplir une salle de 300 personnes.
Djamil
L’année dernière, le comique a fait du bruit en claquant la porte de France Inter en direct. Il était chroniqueur dans l’émission « Le Grand Dimanche soir ». Une façon de manifester son soutien à Guillaume Meurice, mis à pied par la direction après sa blague sur le prépuce de Netanyahou. Le Shlag est parti comme la tempête arrive, mais la marée montait en réalité depuis longtemps. « Dans ce monde de l’humour, l’ambiance fait tout. Quand ça casse, il faut changer de cycle », glisse Mounir Soussi, son coauteur et associé de toujours. Et depuis, une question squatte dans notre tête.
Serait-il l’humoriste le plus libre de France ? Les chroniqueurs de la station du service public sont perfusés par les audiences. Elles sont un coup de pouce considérable pour remplir les salles de spectacle, même dans les villes les plus reculées de France. « Dans un village de 1 000 habitants, si t’es sur Inter, tu peux remplir une salle de 300 personnes », assure l’ex-chroniqueur maquisard. L’équivalent, pour un routier, de refuser un plein d’essence gratuit par semaine pour voyager sur l’autoroute du Soleil. Vous voyez le genre ? Mais pour le Shlag et Soussir, pas question de se fourvoyer « pour garder les attributs d’un succès ».
Le « syndrome Smaïn »
Treize mois plus tard, Djamil le Shlag, plus indépendant que jamais, tourne dans l’Hexagone avec son deuxième spectacle, Exode(s). Le modeste troubadour souffle un vent rafraîchissant avec ses histoires « incroyables », débitées avec un phrasé de conteur et une espièglerie bourrée d’autodérision. Il y a de quoi se faire une idée du bonhomme sur YouTube, où il a mis en ligne son premier spectacle, 1er Round.
Surtout, depuis fin avril, l’humoriste revient sur les ondes de Radio Nova, où il a démarré en 2016, avec une nouvelle émission : « Les Grands Remplaçants ». « Une razzia sur la bande FM et [des] gros ulcères pour les lecteurs de Renaud Camus. » Autrement dit, une heure d’humour sur l’actualité. Si l’islamophobie n’était pas tendance dans les médias, les magazines lifestyle parleraient de la verve du Shlag et de son émission comme d’un « muslim positive movement ».
Il ne se demande pas comment percer, mais comment être le plus drôle.
R. Graham
Sur le PAF comme dans ses tafs, le garçon a vécu, comme bien d’autres racisés, le « syndrome Smaïn » : « Quand tu trouves une place dans une entreprise en tant qu’Arabe, tu sais qu’il n’y en aura pas deux comme toi. Ça génère toujours une hypercompétitivité entre racisés. » Alors, à Nova, il voulait rassembler « pour pouvoir dire qu’on a de la place pour prendre la parole ».
Le Shlag s’essaye d’abord à l’indépendance totale et commence « Les Grands Remplaçants » en ligne, en septembre 2024. Le duo qu’il forme avec Mounir Soussi s’ouvre à trois nouveaux humoristes : Youness Hanifi, Mazine et Lilia Benchabane – et s’élargira encore. En parallèle, il mène des pourparlers avec la radio du « Grand Mix », qui prennent du temps. « Djamil est farouchement attaché à son indépendance et, comme tout Berbère, il a une fierté bien placée. Mais sa coquetterie, c’est de ne pas avoir le seum, de ne pas être rancunier. Il veut juste se marrer avec sa bande », décrit une amie proche. Qualité trop rare pour ne pas être soulignée.
« Mi-banlieue, mi-terroir »
Toutes les personnes contactées pour ce portrait confirment la douceur et l’humilité du personnage. « Conciliant, tendre, d’humeur égale et pas avare en sourires », souffle Juliette Arnaud, chroniqueuse de « La Dernière » sur Radio Nova, qui a bossé avec l’humoriste à France Inter durant trois ans. « Quelqu’un de sain dans sa manière d’aborder le métier : il ne se demande pas comment percer, mais comment être le plus drôle », confie Ryad Graham, humoriste et ancien partenaire de plateau. Bosseur, aussi ? « L’implication n’est pas innée chez lui, souligne Mounir Soussi, qui le connaît depuis l’adolescence. Mais il a eu son déclencheur avec l’humour et ça a métamorphosé son rapport à l’effort. »
Quand Djamil le Shlag démarre la scène en 2012, il a presque 30 ans, et se montre déjà baroque. « Il avait une énergie différente des autres à l’époque où le stand-up était très marqué par le Jamel Comedy Club », se souvient Ryad Graham, qui partage avec lui la scène du Ze Artist’s, à Belleville, entre 2014 et 2015. Des amis d’enfance de Vichy, où il a grandi, sont dans la salle pour le soutenir, dont son futur coauteur.
C’est le spécialiste pour fourrer des références super mineures des années 1980-1990.
J. Arnaud
Un an plus tard, l’homme au béret du célèbre kangourou intègre l’émission « Les Trente Glorieuses », sur Nova, avec Benjamin Tranié, autre chroniqueur singulier. Il prend vite ses marques grâce à une liberté de ton totale. Debout, il gigote devant le micro, influencé par la gestuelle de James Brown et le flow de Jacques Brel. Un style de « révérend », dixit Ryad Graham, « qui apporte un regard et un jargon mi-banlieue mi-terroir. »
Pour ses chroniques comme ses spectacles, le « Berbère d’Auvergne » pioche dans l’actualité ou dans ses histoires personnelles. Il peaufine ses vannes avec des touches de culture populaire : Street Fighter, la « téloche » de Dick le rebelle ou encore La Fureur du dragon (1972). « C’est le spécialiste pour fourrer des références super mineures des années 1980-1990 », confirme Juliette Arnaud. Souvent, il boucle une vanne avec deux phrases répétées façon attaque spéciale d’un méchant du manga Ken le Survivant.
« C’est merveilleux, le communautarisme ! »
Au civil, Djamil s’appelle Jamil Bouanani. Ses amis d’enfance le surnomment « le Shlag », parce qu’il est à la marge. Il a tendance à tutoyer les nuages. Le Vichyssois rêve de s’envoler, qu’importe la destination. Petit dernier d’une famille marocaine, il grandit dans le quartier des Ailes, et ses premières escapades se font à Clermont-Ferrand avec la maison de quartier : « La sortie s’appelait “sortie kebab”… et on allait manger un kebab. » « J’étais pas malheureux à Vichy, mais j’étais trop content de sortir un peu. » Son goût des vannes et des histoires vient d’ailleurs. « Quand on partait en vacances au Maroc, tout le monde avait un truc à nous raconter, ils adoraient nous faire rire. »
Après ses études de sociologie, le jeune homme file à Paris pour trouver du travail. Parmi tous les jobs, il restera professeur d’aquabike pendant sept ans. Comment trouve-t-on ce genre de travail ? « Le réseau auvergnat », révèle-t-il. Pour illustrer la solidarité de cette communauté, il déballe une histoire de contrôle de police pas gagnée d’avance (téléphone au volant, sans papiers d’identité). Mais lorsqu’il décline son lieu de naissance, le « keuf véhément comme un keuf » finit par se réjouir d’apprendre qu’il est auvergnat comme lui et le laisse repartir sans amende. « C’est merveilleux, le communautarisme ! »
J’aime être avec des gens racisés au même titre que j’adore être avec des fans de basket.
Djamil
Et plus sérieusement, encore : « Je trouve ça génial. C’est juste réconfortant de pouvoir parler de sujets qui nous concernent. J’aime être avec des gens racisés au même titre que j’adore être avec des fans de basket », finit de dérouler l’ancien joueur du club Jeanne d’Arc Vichy Basket, et ex-supporter des Chicago Bulls.
Aujourd’hui, Djamil le Shlag vit à Marseille, « pour le climat et pour les gens », avec sa femme, la romancière et scénariste Faïza Guène, et leurs enfants. Le couple passe beaucoup de temps à boire des cafés sur le port de l’Estaque et à parler ensemble. « C’est un truc con, mais on est heureux. » Quand on l’interroge sur la notion de liberté, il y a sa réponse Montesquieu (« Mon seul cadre, c’est la loi »), et sa réponse Amazigh. En berbère, cela signifie « homme libre ».
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