« Les décideurs en matière de santé ne subissent pas les effets de leur politique »

Alors que 9 Français sur 10 estiment désormais que l’hôpital public est en danger, Damien Maudet, député LFI de Haute-Vienne, revient sur l’idéologie libérale à l’origine de la casse de l’hôpital public et sur les mobilisations possibles.

Pauline Migevant  • 2 juin 2025 abonné·es
« Les décideurs en matière de santé ne subissent pas les effets de leur politique »
© Alexander Grey / Unsplash

Dans Un député aux urgences (Fakir Éditions, 2025), Damien Maudet, député LFI rencontre des soignants et raconte à travers eux la crise de l’hôpital public. Il évoque à Politis les mobilisations possibles face à la crise organisée de l’hôpital et au manque de moyens, à l’heure où 9 Français sur 10 estiment désormais que l’hôpital public est en danger.

Un député aux urgences / Damien Mauduit / Fakir Éditions.

Comment expliquer le peu de mobilisations d’ampleur pour l’hôpital public malgré la gravité de la situation ?

Damien Maudet : En 2019, il y a eu beaucoup de manifestations de soignants assez peu suivies par la population. Ensuite, le covid a été un moment d’osmose entre la population et les soignants. Après la pandémie, on a eu un gouvernement annonçant qu’il mettait les moyens, ce qui s’est avéré un mensonge. Les soignants constatent que ce n’est pas le cas et que leurs conditions de travail se dégradent. En parallèle, les patients constatent qu’ils n’ont plus de médecin ou qu’ils attendent des heures sur des brancards aux urgences.

Il y a désormais à l’hôpital une logique de ‘garagiste’.

Le gouvernement attise cette tension entre soignants et patients, en disant que ce n’est pas une question de moyens mais un problème d’organisation, avec l’idée que des patients viennent pour rien. Cette tension se ressent dans l’augmentation des outrages envers les soignants et dans les plaintes envers les hôpitaux. Celle-ci est stérile car elle devrait se diriger contre les gouvernants. Notre gouvernement joue sur ça : faire croire aux gens que les moyens sont mis. C’est faux : aujourd’hui, 80 % des Ehpad sont en déficit et les hôpitaux cumulent 3 milliards de dette, les moyens n’y sont pas.

Pourquoi la mobilisation est-elle si compliquée ?

Il y a une très grande résignation des soignants qui ont eu beaucoup d’espoir pendant le COVID car on leur demandait de se concentrer sur leur mission première : soigner. La mobilisation au niveau local dépend de l’existence de collectifs de militants de gauche, et de la syndicalisation et politisation des soignants. Par exemple, à Draguignan, la mobilisation des soignants et des citoyens a permis la réouverture des urgences de nuit. Quand les politiques se mobilisent au niveau local, ça peut aussi aboutir à des victoires. À Vierzon, le maire de l’époque, Nicolas Sansu, député aujourd’hui, s’était mobilisé pour protéger sa maternité. À Carhaix, en Bretagne, c’est ainsi qu’ils ont pu obtenir un protocole de réouverture des urgences.

Comment la tarification à l’acte dans les hôpitaux a contribué à casser le service public hospitalier ?

Il y a désormais à l’hôpital une logique de « garagiste », comme me le disait Olivier Milleron, un cardiologue de l’hôpital Bichat. À l’hôpital, un diagnostic conduit à une réparation puis à une facture. Dans ce système, certains actes sont plus rentables que d’autres. Dans l’hôpital public par exemple, la petite enfance ne rapporte rien. Donc la néonatologie et la pédiatrie sont les services les plus dégradés. Ce n’est pas pour rien que la mortalité infantile a augmenté. Depuis les années 1970, 75 % des maternités ont fermé, notamment parce que ça n’était pas rentable. Les services de néonatologie sont également débordés. Quand un hôpital doit faire un choix entre investir dans du matériel, par exemple pour la cardiologie ou la néonatologie, il va choisir le service où il peut rentabiliser son investissement. Les hôpitaux sont conduits à ces choix car ils sont asphyxiés.

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Est-ce que davantage de démocratie en matière de santé pourrait améliorer la situation de l’hôpital public ?

Le système s’est cassé la figure à la fin des années 1990, au moment où la Sécurité sociale est sortie des mains des travailleurs et est passée dans celles du Parlement. Avant c’étaient les partenaires sociaux qui votaient le budget de la Sécurité sociale. On est passés d’un système ou c’était majoritairement des travailleurs qui décidaient du budget à un système où c’est une personne qui décide, en l’occurrence François Bayrou, à coups de 49-3. Aujourd’hui, les soignants sont confrontés à des hiérarchies formées à la rentabilité économique et à la réduction des coûts et non au soin. Si les soignants avaient plus leur mot à dire, il y aurait moins de problèmes. Chez moi ils ont réduit le nombre de lits, car ils ont des travaux à financer. Il y a eu des CSE (comité social et économique) mais au bout du compte, si les soignants ne sont pas d’accord, ils le font quand même.

La droite et l’extrême droite considèrent que le problème de l’hôpital public est la bureaucratie et non le manque de moyens. Que répondez-vous ?

Le système bureaucratique est lié à la tarification à l’acte qui nécessite de coder le moindre acte médical et de tout chiffrer. Ils ont voulu passer d’un hôpital de soin à un hôpital de chiffres. Depuis 2022, le discours du RN a changé et s’est calqué sur celui des macronistes. Ils disent que le problème de l’hôpital n’est pas une question de moyens mais d’organisation. En termes de santé, le RN se calque sur les intérêts des dominants. Ils n’ont pas de programme précis en santé. Leur seul projet est de prendre le pouvoir pour mettre en œuvre un programme raciste.

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Sur la mortalité infantile, le RN a voté en commission avec les macronistes pour supprimer le moratoire sur la fermeture des petites maternités et après avoir été affichés publiquement, ils ont changé leur vote. C’est l’extrême droite libérale. Récemment, en commission sur la loi de financement de la Sécurité sociale, ils sont allés du côté des puissants et de ceux qui veulent financiariser la santé, en défendant les intérêts des laboratoires.

L’avantage des dominants sera le tourisme sanitaire.

Les dirigeants qui cassent le système de santé peuvent se soigner dans le privé et échapper aux effets de leurs politiques de destruction du service public. Au-delà de l’idéologie libérale, dans quelle mesure la vision de la santé promue par la droite et l’extrême droite s’inscrit-elle dans une domination de classe ?

Il y a des services qui existent moins dans le privé car ce n’est pas rentable, comme l’hématologie. Mais effectivement, ceux qui prennent des décisions ne ressentiront pas les effets de leur politique. Rien que le fait de vivre à Paris change la donne. Chez nous, quelqu’un qui a une rage de dents, ça lui pourrit la vie pendant deux semaines. Ici, si vous avez les moyens, en deux jours c’est réglé. L’avantage des dominants, ça va être le tourisme sanitaire. Ils pourront aller voir tel spécialiste dans une grande ville en posant des jours de congé et ils pourront payer le déplacement, ce que ne peuvent pas faire la majorité des gens.

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Je ne serais pas étonné que des mutuelles puissent prendre en charge des services de transports pour aller faire une consultation à 100 ou 200 km. Je discutais justement avec un soignant en hématologie qui me disait qu’il y avait dans son service, un SDF parisien et une millionnaire de la Côte d’Azur qui avait pris un avion sanitaire jusqu’à Paris. Je me rappelle d’une discussion avec Philippe Juvin (LR), médecin, député, et candidat à la primaire républicaine en 2022. Il a lui-même admis que la plus grande inégalité en matière de santé était l’inégalité sociale. Il m’a dit : « Moi, je sais où il faut se faire opérer et où il ne faut pas ». Nous, c’est pas « où je veux », c’est « où je peux ».

L’idée de départ de la Sécurité sociale c’était : donner selon ses moyens, recevoir selon ses besoins.

Quels rapports de force sont possibles à gauche concernant la santé ?

Les Français ont donné à l’Assemblée une majorité qui peut faire passer des choses. On a obtenu la régulation des médecins, le moratoire sur la fermeture des petites maternités, et tous nos amendements lors du projet de financement de la sécurité sociale sont passés. Le problème a été François Bayrou, qui a passé son budget en 49-3. Maintenant, François Bayrou ressort l’idée de TVA sociale. Après avoir baissé les cotisations sociales des plus fortunés, ils veulent augmenter la TVA qui est l’impôt le plus injuste. En gros, ils veulent demander à tout le monde d’aller payer les cadeaux faits aux riches pour renflouer le système de santé. L’idée de départ de la Sécurité sociale c’était : donner selon ses moyens, recevoir selon ses besoins. On n’y est plus du tout.

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