À Gaza, « les enfants sont en train d’être exterminés »

Khaled Benboutrif est médecin, il est parti volontairement à Gaza avec l’ONG PalMed. La dernière fois qu’il a voulu s’y rendre, en avril 2025, Israël lui a interdit d’entrer.

Pauline Migevant  • 4 juin 2025 abonné·es
À Gaza, « les enfants sont en train d’être exterminés »
Manifestation de soutien aux Palestiniens, place de la République à Paris, le 22 octobre 2023.
© Maxime Sirvins

En tant que médecin qui avez travaillé en Palestine, que pouvez-vous dire de la situation des enfants à Gaza ?

Khaled Benboutrif : On a reçu beaucoup d’enfants qui avaient été visés autour de Khan Younès. La plupart étaient morts, les autres blessés. D’autres encore étaient soit amputés, soit tétraplégiques. Ce n’était pas à cause des bombardements : ils avaient été visés par des snipers. Ces blessures n’étaient pas des accidents. C’était voulu. Certains avaient été ciblés en plein milieu du front. Les enfants sont ciblés autant que les adultes, sinon plus. On a dépassé les 20 000 ou 21 000 enfants décédés. Depuis le cessez-le-feu, encore 1 400 enfants sont morts, 4 000 autres ont été blessés, certains amputés.

Les enfants palestiniens subissent la peur, l’insécurité, les déplacements, les bombardements, le froid, la pluie.

À Gaza, les conditions pour avoir une enfance protégée et équilibrée n’existent pas. Au cours de ma première mission, en me promenant autour de l’hôpital, je croisais le regard vide des enfants. Ils cherchaient à être rassurés. Malheureusement, même les adultes n’étaient pas rassurés. Même s’il y a un cessez-le-feu, tout est à reconstruire : j’ai traversé Gaza du nord au sud, c’est un paysage lunaire, avec des groupes de fantômes qui sortent des camps.

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Qu’en est-il des orphelins ?

Les cris des enfants qui ont perdu leurs parents, ceux des mères qui ont perdu leurs enfants, ces images et ces sons resteront gravés en moi pour toujours. Là-bas, seuls les enfants qui ont perdu leur père ou leurs deux parents sont considérés comme orphelins. Donc les statistiques sont en deçà de la réalité. L’Unicef dit que 24 000 enfants sont orphelins, mais ce chiffre n’inclut pas ceux qui ont perdu seulement leur mère. Les enfants palestiniens subissent la peur, l’insécurité, les déplacements, les bombardements, le froid, la pluie. Je me souviens de ce bébé qui venait de naître et qui est mort d’hypothermie immédiatement. Il y en avait beaucoup d’autres.

« À Gaza, on tue les femmes pour qu’elles ne mettent pas de bébé au monde. Je ne peux pas appeler ça une guerre, c’est un génocide. » (Photo : DR.)

Actuellement, un enfant sur trois est en situation de famine aiguë avec une carence. Les séquelles affecteront leur développement mental et corporel, c’est certain. Quand on a été témoin de ce massacre, ce sont des choses qu’on ne peut pas oublier. J’ai entendu des responsables israéliens justifier la mort des enfants en disant qu’ils étaient de futurs combattants du Hamas. Ils ont même détruit les centres de production de gamètes et de spermatozoïdes qui existaient à Gaza. Le niveau de violence est inouï.

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Quand l’hôpital Al Shifa a été bombardé, quatre mamans ont été retrouvées mortes au service de la maternité. Mes confrères ont fait des césariennes pour sauver les bébés et les réanimer. L’armée israélienne a débarqué dans l’hôpital, a arraché les bébés. Ils ont été retrouvés morts deux jours après sur un terrain vague. Comment l’humanité en est-elle arrivée à de telles monstruosités ? À Gaza, on tue les femmes pour qu’elles ne mettent pas de bébé au monde. Je ne peux pas appeler ça une guerre, c’est un génocide.

On assiste à l’écroulement de l’humanité de ce monde. Il est temps que l’humanité rachète sa conscience.

Quels sont les moyens actuels en termes de santé pour les enfants de Gaza ?

Les enfants sont tous affectés sur le plan physique comme psychologique. Et les moyens sont inexistants ; les hôpitaux ont été bombardés et détruits. J’ai des contacts avec des médecins qui travaillaient dans un hôpital du nord qui a été détruit. Ils ont ouvert un hôpital sous des tentes. Je lui ai demandé si ça allait. Il m’a répondu : « On est toujours vivants mais l’hôpital a été vandalisé par des hordes de pillards qui ont agi sous la protection du feu de l’armée israélienne. » C’est la même chose au point de distribution humanitaire : ils réunissent des gens et leur tirent dessus. C’est du direct, tout le monde le sait. La guerre en 4K. C’est insupportable que cette impunité persiste. Ça ne sera pas oublié. Il faut que les responsables sachent qu’ils seront poursuivis. Et il n’y a qu’en mettant la pression qu’ils le sauront.

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Que voulez-vous ajouter ?

J’insiste pour dire qu’il y a des enfants qui sont en train d’être exterminés. Ils sont innocents. Ils n’ont rien fait. Ils sont exterminés, annihilés, pourchassés, traqués. Comme le disent des responsables israéliens, pour eux, ce sont des « bêtes ». Or ces enfants sont semblables aux nôtres. En tant qu’humains, on ne peut pas accepter ça. On assiste à l’écroulement de l’humanité de ce monde. Il est temps que l’humanité rachète sa conscience.

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Monde
Publié dans le dossier
À Gaza, l'enfance assassinée
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