Génocide dans la bande de Gaza : le temps de la justice

Ces derniers jours, une Française a déposé plainte contre Israël, et une information judiciaire a également été ouverte par le parquet national antiterroriste contre des Franco-Israéliens. Ces procédures ne stopperont pas le génocide en cours mais elles participent à briser un lourd silence.

Céline Martelet  • 11 juin 2025 abonné·es
Génocide dans la bande de Gaza : le temps de la justice
Manifestation de soutien à la Palestine, à Paris, en octobre 2023.
© Maxime Sirvins

« Pas d’aides pour les assassins et les violeurs ! L’Unrwa, c’est le Hamas. » Haut-parleur en main, Rachel T. , 32 ans, hurle à quelques mètres de Kerem Shalom, l’un des points de passage vers la bande de Gaza. Ce 31 janvier 2024, la Franco-Israélienne veut empêcher le passage vers l’enclave palestinienne de camions remplis d’aide humanitaire. Derrière elle, des drapeaux israéliens s’agitent. L’appel au blocage a été lancé par le collectif Tsav 9, dont Rachel T. est la très active porte-parole à l’époque. Des dizaines d’autres actions de ce type seront organisées jusqu’en mai 2024.

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C’est pour son engagement au sein de ce collectif que la Franco-Israélienne est désormais au cœur d’une information judiciaire ouverte le 22 mai dernier par le parquet national antiterroriste (Pnat). Une première judiciaire, presque inattendue. Dans son réquisitoire introductif, le Pnat écrit qu’il existe contre elle « des indices graves et concordants d’avoir, sur le territoire d’Israël, d’Égypte et de Gaza, notamment aux postes-frontières de Nitzana et de Kerem Shalom, entre le 1er janvier 2024 et mai 2024, commis des faits de complicité de génocide, de provocation publique et directe au génocide suivie d’effet et de complicité de crimes de guerre ».

Dans le viseur également des deux juges d’instruction en charge de ce dossier, Nili K-N, une autre Franco-Israélienne, présidente de l’association Israël is forever. Le 30 janvier 2024, elle participe à son tour au blocage d’un convoi humanitaire. Ce jour-là, elle se filme et publie la vidéo sur les réseaux sociaux. « Il n’y a pas de civils innocents à Gaza », lance l’avocate, avant d’ajouter quelques minutes plus tard : « Il est impensable de laisser passer des camions soi-disant humanitaires […] tant que nous sommes en guerre. »

Une plainte déposée par l’Union juive française pour la paix (UJFP)

À l’origine de cette information judiciaire ouverte par le Pnat, une plainte déposée en septembre 2024 au nom de l’Union juive française pour la paix (UJFP) et d’une citoyenne franco-palestinienne, soutenue par Urgence Palestine. « Nous sommes très satisfaites de cette décision parfaitement cohérente avec la démonstration factuelle et juridique, et les preuves objectives apportées par les parties civiles », ont déclaré auprès de l’AFP les avocates de l’UJFP, Mes Damia Taharraoui et Marion Lafouge. Selon elles, la période visée par l’enquête, de janvier à mai 2024, « correspond à un moment où personne ne voulait entendre parler de génocide ».

Au rassemblement, à Paris, en soutien à Gaza et contre l’arrestation de la flottille humanitaire par Israël. (Photo : Maxime Sirvins.)

Durant cette période, effectivement, l’utilisation du mot génocide lors d’une prise de parole publique en France déclenchait quasi systématiquement des accusations d’antisémitisme. Pourtant, dans un arrêt rendu en février 2024, la Cour internationale de justice parlait déjà d’un risque de génocide de la population palestinienne à Gaza. « En l’état, le parquet national antiterroriste considère qu’il existe juridiquement des indices graves et concordants d’une situation de génocide. C’est déjà quelque chose de remarquable et inédit s’agissant du regard porté sur la bande de Gaza », souligne Raphaël Kempf, avocat pénaliste au barreau de Paris et conseil auprès de la Cour pénale internationale.

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« Autre point important, le fait qu’une des infractions choisies soit la provocation suivie d’effet. C’est lorsqu’il y a un lien de causalité entre des propos ou des écrits et un acte criminel. À ce moment-là, l’auteur de la provocation est considéré comme complice du criminel et il encourt alors la même peine, c’est-à-dire la réclusion criminelle à perpétuité puisqu’on parle de génocide. »

En l’état, le parquet national antiterroriste considère qu’il existe juridiquement des indices graves et concordants d’une situation de génocide.

R. Kempf

Dans son réquisitoire introductif, le parquet national antiterroriste élargit également son information judiciaire à toute personne « dont la nationalité française serait vérifiée » au cours de son enquête sur les blocages des convois humanitaires. « Après le génocide au Rwanda, des patrons de radio, des journalistes ont été poursuivis pour crime contre l’humanité. La propagation de discours de haine ou visant à l’extermination, clamer qu’on ne respecte pas le droit international, tout cela participe d’une forme de complicité », précise Emmanuel Daoud, l’avocat de la Ligue des droits de l’Homme.

Début 2024, sur les plateaux de télévision, à la radio, de nombreuses personnalités publiques ont ouvertement soutenu le blocage des convois humanitaires, convaincues très probablement d’être intouchables à l’époque.

La plainte d’une grand-mère française contre Israël pour génocide

Jacqueline Rivault ne lâche pas des yeux les portraits de ses deux petits-enfants. Abderrahim avait 6 ans, Jannah 9 ans. Ces deux enfants français vivaient à Gaza City avec leur mère, condamnée à Paris en 2019 pour financement du terrorisme. Le 23 octobre 2023, l’immeuble où ils se trouvaient a été ciblé par une frappe aérienne de l’armée israélienne. Ils n’ont pas survécu. Des décombres, seuls leur frère Omar et leur mère sont sortis vivants mais grièvement blessés.

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La semaine dernière, leur grand-mère a déposé plainte en France, notamment pour crime de génocide. « C’est un devoir vis-à-vis d’eux. Ils étaient jeunes, ils avaient le droit de vivre. Au début, je ne voulais pas y croire, ça me dévaste toujours de les avoir perdus, confie la grand-mère. Je suis en colère, je ne comprends pas. » Cette plainte avec constitution de partie civile, déposée contre X, vise nommément le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, son gouvernement, ainsi que l’armée israélienne.

Dans le document de 48 pages remis au pôle « crimes contre l’humanité » du tribunal judiciaire de Paris, le bombardement ayant causé la mort des deux enfants est décrit comme faisant partie d’un projet visant à « éliminer la population palestinienne et la soumettre à des conditions d’existence de nature à entraîner la destruction de leur groupe ».

Nous pensons qu’avec cette simple plainte déposée en France, on peut renforcer l’ordre pénal international, qui est fracturé.

A. Alimi

Une formulation qui s’inscrit pleinement dans la définition juridique d’une intention génocidaire. « Il y a bien sûr aussi une volonté de faire justice et vérité mais cela n’est pas le seul objectif », détaille Me Arié Halimi, l’avocat de Jacqueline Rivault. « Nous pensons qu’avec cette simple plainte déposée en France, on peut renforcer l’ordre pénal international, qui est fracturé. On espère rejoindre ainsi le flot des initiatives lancées pour faire cesser les opérations militaires, et ce nettoyage ethnique. »

Jacqueline Rivault envisage également de déposer une plainte auprès de la justice en Israël. Ce qui constituerait là encore une première. Son petit-fils Omar, deux ans et demi, est toujours piégé dans l’enclave palestinienne. Il survit sous une tente avec les séquelles d’une fracture du bassin.

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