L’arabisogynie, une constance médiatique
Les femmes arabes en Occident subissent une misogynie racialisée – l’arabisogynie –, qui les enferme entre hypercontrôle et invisibilisation.
dans l’hebdo N° 1865 Acheter ce numéro

J’ai cherché à formuler comment et pourquoi les femmes arabes vivant en Occident ne sont pas perçues comme des femmes et sont pourtant traitées avec une misogynie bien spécifique. De la même manière que l’intellectuelle queer afro-américaine bell hooks a démontré que les femmes noires ne sont pas perçues comme des femmes non plus.
Et pourtant ! Ne sommes-nous pas de celles qui ont peur en marchant seules dans la rue le soir ? Ne sommes-nous pas de celles qui portent la charge mentale et émotionnelle dans l’espace intime, familial et communautaire, surplombée de la charge raciale partout ailleurs ? Ne sommes-nous pas de celles qui subissent agressions sexuelles et sexistes, violences conjugales et écart salarial aggravé par le racisme ?
Ne sommes-nous pas de celles qui, en plus, subissent le syndrome méditerranéen – ce préjugé de la femme forte et résistante, donc pas soignée correctement – pour finir par en mourir sans aide, comme Naomi Mussenga ? Ne sommes-nous pas de celles qui risquent d’être tuées lors d’un contrôle de police, comme Rayana ?
L’arabisogynie, c’est exactement cela : juger qu’une femme arabe est soit trop, soit pas assez couverte, c’est présupposer également de sa religion.
En écrivant mon essai féministe et antiraciste Notre Dignité, cette phrase m’est apparue comme une évidence : « Je suis une femme, le racisme empêche de le voir. » Évidemment, elle n’est pas le fruit seulement de ma réflexion mais de mes lectures attentives des afro-féministes, d’Audre Lorde à Kimberlé Crenshaw, et des militantes nord-africaines, de Fatima Mernissi à Gisèle Halimi. Après des années à observer la pop culture – la téléréalité comme les réseaux sociaux – et à échanger avec des figures publiques comme anonymes, j’en étais déjà venue à la conclusion que les femmes maghrébines, perçues comme arabes malgré le profond héritage amazigh, étaient détestées, profondément, de toute part.
Cette détestation est alimentée en permanence par le discours politico-médiatique. Le harcèlement vécu récemment par Léna Situations, de son vrai nom Mahfouf, au Festival de Cannes en a été l’un des trop nombreux exemples. L’entrepreneuse-influenceuse, multicasquettes, est apparue un soir en robe longue et coiffée d’un foulard, et le lendemain dans une tenue laissant apparaître son ventre et son décolleté. Allégorie du féminisme qui normalement devrait laisser chaque femme s’habiller comme elle le désire. Léna a d’abord été qualifiée de menace islamiste, en plein délire retailleaudien sur l’entrisme des Frères musulmans, puis de femme vulgaire.
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L’arabisogynie, c’est exactement cela : juger qu’une femme arabe est soit trop, soit pas assez couverte, c’est présupposer également de sa religion. C’est s’autoriser le droit de lancer un débat national sur sa tenue quand personne ne souligne le tissu sur les cheveux de Juliette Binoche lors de ce même festival ; comme d’ailleurs personne ne remarque le fichu sur la tête des femmes blanches qui dévoilaient les Algériennes dans des cérémonies publiques en 1958, pendant la colonisation, se faisant ainsi les vectrices d’une guerre psychologique orchestrée par l’armée.
L’arabisogynie est une misogynie spécifique envers les femmes perçues comme arabes qui nous classe en deux catégories : la beurette et la voilée. La première étant celle qui est perçue comme (trop) émancipée de ses traditions et la seconde comme une femme soumise à libérer par les uns ou à mieux contrôler par les autres. Et comme la misogynoir, terme créé par Moya Bailey dont je me suis inspirée, cette misogynie s’exprime aussi bien dans les milieux dominants qu’au sein même des dominées, dans les représentations populaires.
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