Terrorisme d’extrême droite : le rôle de Bernard S., « père de famille » nostalgique de l’OAS

Jugé pour association de malfaiteur terroriste lors du procès du groupe d’extrême droite qui prévoyait des attentats islamophobes, Bernard S. a tenté de minimiser son rôle et le danger de l’organisation. A la tête de la cellule la plus active du groupe, son rôle s’est avéré déterminant.

Pauline Migevant  • 24 juin 2025 abonné·es
Terrorisme d’extrême droite : le rôle de Bernard S., « père de famille » nostalgique de l’OAS
© Viktor Talashuk / Unsplash

Bernard S., 76 ans, aujourd’hui, arrive tous les jours un peu en avance dans la salle d’audience. Il s’assied toujours au bout de la rangée de droite, le dos voûté dans une veste de costard vert fané, pochette jaune sous le bras. Toujours à côté de Jean C., 69 ans, ils ont une dégaine en commun, la tête légèrement enfoncée dans les épaules. Ils sont accusés, comme les 14 autres prévenus, d’association de malfaiteurs terroristes dans procès du groupe Action des forces opérationnelles (AFO).

Une qualification que Bernard S., alias Souvigny, conteste en tout point : association d’accord, malfaiteurs sûrement pas, terroriste encore moins. En fait, c’est comme « père de famille » que Bernard S. entend se présenter. Il parle de l’attentat du Bataclan. Il tousse. Cinq secondes de silence passent, peut-être six. Sa voix tremble : sa petite-fille aurait dû y être, mais elle a attrapé la grippe. « Bien lui a pris », ça l’a sauvée. Elle a perdu deux amis.

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« De ce que j’en ai compris, le but premier d’AFO était de se défendre et défendre notre famille en cas de grabuge », amorce-t-il à la barre. Ces derniers mots résonnent avec un mail envoyé en décembre 2017 par le chargé du renseignement chez AFO, pour donner des « éléments de langage » au groupe en cas d’interrogatoire. « Il faut se présenter officiellement […] comme une gentille organisation qui s’occupe principalement de la santé de ses membres en cas de grabuge », avait-il écrit aux fondateurs de l’AFO, Guy S., et Dominique C.

Souvigny, chef de la cellule francilienne, est appelé à la barre le jeudi 19 juin. Les jours précédents, c’est son nom qui est le plus revenu dans les déclarations des prévenus. « Tout passait par Bernard S. », a affirmé Philippe C., alias Achille, son bras droit. Quand son nom est cité, il arrive que Bernard S. se tourne vers son avocate pour contester.

Souvigny nous donnait à tous des ordres.

Tommy

C’est arrivé quand Achille l’a accusé d’avoir distribué des feuilles avec une liste de 60 mosquées en Seine-Saint-Denis lors d’une réunion. « Il a montré mais il n’a pas distribué », a-t-il rectifié ensuite lorsque l’avocate de Souvigny, Daphné Pugliesi, lui a demandé de confirmer. Tommy, l’artificier du groupe, qui avait notamment tenté d’améliorer les explosifs à base de TATP, avait confirmé : « Souvigny nous donnait à tous des ordres. »

Obsession de l’islam

Lorsqu’il quitte VPF, l’organisation fondée après les attentats de 2015 pour combattre « l’islamisation de la France », et qu’il rejoint l’AFO en 2017, Bernard S. est retraité, 69 ans. Il a transmis à deux de ses enfants l’entreprise qu’il a fondée. Parmi ses loisirs, la chasse. De temps en temps, il va en Corse où il a acheté un appartement. C’est sur l’île qu’il espère pouvoir trouver des armes. Lors de l’enquête de personnalité, son épouse, maire sans étiquette d’une commune du Val-d’Oise, déclare qu’il a « des idées un peu d’extrême droite ». « On n’était pas politiquement d’accord, on s’en accommodait », commente-t-elle.

C’est moi qui ai écrit ça ? J’assume. C’est toujours en cas de bas-cu-le-ment.

Bernard S.

Le 6 août 2017, après la réunion qui a eu lieu quelques jours plus tôt pour fonder l’AFO, Bernard S. envoie un message à Philippe C. et Frank G., auquel il joint un document « armement ». Les distances « d’intervention » sont classées par ordre croissant, accolées à l’arme envisagée. Ça va de « moins de 50 cm : le couteau » à la carabine de chasse « au-delà de 50 m ». Il énonce ensuite les cibles possibles à l’extérieur ou à l’intérieur : « un individu seul » ; « un petit groupe d’individus » ; « une foule ».

Reste à trouver les armes. D’après les estimations de Bernard S., il manque notamment au groupe « une douzaine de pistolets-mitrailleurs ou AK 47 et 20 000 munitions, 3 chargeurs pour chaque, Une centaine de grenades (2/3 OF, 1/3 DF). » Devant la juge, qui expose les faits dans l’ordre chronologique, Bernard S. réagit : « C’est moi qui ai écrit ça ? J’assume. C’est toujours en cas de bas-cu-le-ment », hache-t-il.

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Au-delà des armes de catégorie B découvertes lors de la perquisition de son domicile en juin 2018, la police retrouve un certain nombre de documents. Parmi les papiers explicatifs pour apprendre à fabriquer un silencieux, manier une arme de poing, fabriquer un calibre 12 artisanal ou encore recharger un fusil à pompe, les policiers ont trouvé un dossier de plusieurs pages intitulé « Petite étude coranesque ».

Il s’agit d’une analyse du Coran de plusieurs pages où il décrit l’incompatibilité de la religion musulmane avec les valeurs de la République. « Rien à voir avec l’AFO, un projet personnel », explique-t-il à la barre. Dans son enquête psychiatrique, l’expert a noté : « Il constate que depuis les années quatre-vingt, les désordres auraient toujours la même origine. Il fait évidemment allusion à l’islam, avec une certaine fixation, puisqu’il aurait lu quatre fois le Coran. »

« Fantasmes meurtriers »

En décembre 2017, Souvigny envoie un mail aux anciens membres de Volontaires pour la France (VPF) pour les recruter dans l’AFO. « Sans actions fermes et déterminées, nous ne survivrons plus longtemps et notre culture et notre histoire disparaîtront [sic] sans laisser beaucoup de traces. » Il ajoute : « Si […] votre souhait était d’agir concrètement, alors contactez-moi. » Au fil des mois, une réunion garde à vue est organisée ainsi que deux stages aux allures paramilitaires. Des explosifs sont testés, l’idée est de les améliorer.

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Malgré tout, Bernard S. semble inquiet. Parmi les documents retrouvés chez lui, un texte rédigé le 11 mai qu’il aurait remis à Guy S., son référent national : « Je ressens un gros doute s’installer chez les meilleurs, opérations locales, meurtrières, à envisager ? Halal ? Mosquée ? Ces 2 points sont actuellement préparés chez nous par des groupes spécifiques. Quand ils seront prêts, on leur dit quoi ? » À la barre, Bernard S. explique avoir simplement voulu mettre fin au « gloubi-boulga » de Guy S. « Je voulais qu’il me dise des choses précises même si j’attends rien du tout, que je pourrais lui renvoyer en disant tu me dis ça et tu fais rien. »

Ça fait point d’accroche et des gens se disent ‘ce serait vachement bien’. 

Bernard S.

Le « projet halal » a été évoqué début mai 2018 lors d’une réunion qui a eu lieu chez lui. Ce projet fait partie « des choses qui sortent comme ça en réunion, ça fait point d’accroche et des gens se disent “ce serait vachement bien”. » Quand Souvigny voit que « ça prend corps », il explique avoir eu deux choix. Dire : « Vous êtes complètement fous, vous arrêtez ça tout de suite au risque qu’ils continuent. » Ou « faire du judo. Accompagner la force pour mieux se servir de cette force. Faire courir en installant ce qu’il faut, jusqu’à ce que ça meure. »

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Un document Word qu’il a rédigé a été retrouvé dans son ordinateur. Intitulé « Préparation halal », il liste ce à quoi il leur faudra penser. « Pollution des barquettes – Comment gérer la présence des consommateurs ? – Comment gérer les caméras ? – Complices faisant écran ? […] Paiement uniquement en liquide ». « C’était pour leur montrer que c’était pas du yakafaukon », affirme-t-il, pour « préparer l’impossibilité ».

Le discours est rodé. Bernard S. a réponse à tout, rien de toute façon ne devait aboutir. Et surtout pas le projet d’« éliminer 150 à 200 imams salafistes » après un « nouvel attentat d’ampleur », évoqué dans un document intitulé « Notre action », retrouvé à son domicile et celui de Dominique C. « C’est un vieux serpent de mer » qui remonterait à VPF. Comprendre : « un fantasme ». « Quelque chose qui revient périodiquement que vous avez dans le fond de la tête et qui n’est jamais réalisé. »

L’ancien DRH se revendiquait de l’OAS

L’idée pourtant ne le lâche pas. En juin 2018, lors du recrutement de Jacques – un agent infiltré de la DGSI se faisant passer pour un braqueur pouvant leur fournir des armes – Achille et lui se disent « déterminés » après le « prochain attentat » à « tuer 200 imams radicalisés ». Un élément également évoqué lors du recrutement de Jean C. en février 2018. « Il y avait une partie provocation pour voir comment ils réagissaient », affirme Souvigny à la barre. Une vieille technique d’entretien à l’en croire, issue de ses plus de 25 ans de carrière comme DRH.

C’était idéologiquement, on a jamais été membres de l’OAS ou du SAC.

Philippe C.

À l’agent, ils évoquent aussi le projet de tuer des détenus radicalisés à leur sortie de prison. Attablés au fond du café du Pont Neuf à Paris où a lieu l’entretien, Bernard S. se présente comme un ancien de l’OAS, Organisation de l’armée secrète, groupe d’extrême droite clandestin qui tentait par tous les moyens, dont les attentats, de maintenir la présence française en Algérie.

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Achille, son bras droit, lui aussi présent lors de l’entretien affirme, quant à lui, avoir fait partie du SAC, organisation fondée pendant la guerre d’Algérie, au service des gaullistes, souvent qualifiée de police parallèle. C’était « histoire d’impressionner » avait expliqué, quelques jours plus tôt, Philippe C. à la barre. « C’était idéologiquement, on a jamais été membres de l’OAS ou du SAC » avait-il ajouté.

À la fin d’un long interrogatoire, l’avocate de la Ligue des droits de l’homme, partie civile, l’interroge : « Est-ce que vous pensez que des personnes de confession musulmane peuvent être terrorisées si elles entendaient les débats qui se déroulent depuis plusieurs jours ? » « Non. » Dès les premières minutes, il avait affirmé, l’air convaincu : « Je ne crois pas avoir fait du mal. »

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Police / Justice
Temps de lecture : 8 minutes