« La dictature sur mon corps est plus importante pour ces politiciens que ma propre vie »

Christine (le prénom a été changé) est une jeune styliste de 27 ans vivant en Géorgie, un état devenu conservateur lors de l’élection de Trump. Alors que la loi sur l’avortement se durcit peu à peu, elle s’interroge sur son avenir, et sa prise en charge en tant que femme atteinte de l’endométriose.

• 26 juin 2025 abonné·es
« La dictature sur mon corps est plus importante pour ces politiciens que ma propre vie »
Manifestation en défense du droit à l'avortement, en 2022.
© Colin Lloyd / Unsplash

À l’âge de 17 ans, on m’a diagnostiqué un syndrome des ovaires polykystiques. J’avais toujours eu des cycles incroyablement douloureux où je me vidais presque de mon sang. Puis les kystes ont commencé à se rompre. C’était atroce. La seule chose qui permettait d’atténuer la douleur était la contraception. Mon médecin et moi avons fait tout ce que nous pouvions pour arrêter mon cycle menstruel afin de ne plus souffrir. En 2018, j’ai déménagé dans l’État de Géorgie. La Géorgie se trouve dans le sud profond, un endroit où la religion dicte la loi plus fortement qu’elle ne le devrait. En 2019, la première série de lois plus strictes sur l’avortement a commencé à faire son chemin au sein de la législature de l’État.

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Entre cette date et aujourd’hui, en 2025, on m’a diagnostiqué une endométriose. J’ai tellement de problèmes de santé reproductive qui doivent être traités. Sans même que des lois soient constamment adoptées pour m’empêcher de me soigner, c’est déjà bien difficile, en tant que femme, d’obtenir les soins dont j’ai besoin.

Je me retrouve dans une situation où, si je tombe enceinte, je risque de mourir.

J’ai toujours voulu devenir mère, mais en raison de mes problèmes de santé, ce serait incroyablement dangereux. Je suis statistiquement plus susceptible de connaître une grossesse extra-utérine que le reste de la population. Savez-vous ce qu’il faut faire pour traiter cette grossesse non-viable qui met ma vie en danger ? Un avortement. Devinez ce qu’il est illégal d’obtenir dans l’État où je vis. Un avortement. Le stérilet que j’ai depuis des années est également menacé. C’est la seule chose qui m’empêche d’avoir besoin d’une intervention chirurgicale pour retirer les tissus qui se développent dans tout le corps.

Je me retrouve dans une situation où, si je tombe enceinte, je risque de mourir. Si j’ai trop de kystes ovariens qui se rompent pendant mon cycle, je risque d’avoir une hémorragie. Si je fais une fausse couche et que le fœtus ne passe pas correctement dans mon corps, je pourrais mourir. La dictature sur mon corps et mes choix est plus importante pour ces politiciens que ma propre vie. Je ne me sens vraiment pas en sécurité là où je vis, et la peur que j’éprouve à l’idée de fonder un jour une famille n’a fait que se multiplier.

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Il y a quelques années, alors que j’étais dans une relation, j’ai été violée. À plusieurs reprises. Je vivais dans la terreur que ma contraception ait échoué. J’étais terrorisée à l’idée de porter l’enfant de la personne qui m’avait violée. Heureusement, je n’étais pas enceinte. Mais je n’aurais pas eu d’autre choix que d’avoir un enfant alors que je n’étais pas préparée financièrement ou émotionnellement à en avoir un.

C’était avant que les lois ne deviennent encore plus punitives. Mon cœur se brise pour toutes les personnes confrontées à cette situation. La plupart des assurances couvrent à peine les coûts des soins prénataux. Même dans le cas d’une grossesse en bonne santé, ces soins sont à peine abordables. Imaginez qu’on y ajoute une multitude de maladies chroniques préexistantes. Le coût est exorbitant. La plupart des gens ne peuvent pas se le permettre. Je peux à peine payer mon loyer et mes courses.

Il m’a fallu des années pour trouver un professionnel de la santé.

Il y a si peu d’options de soutien pour ceux qui sont coincés dans cette situation. Notre système de santé préfère gagner de l’argent que de s’occuper des personnes qu’il est censé servir. Il m’a fallu des années pour trouver un professionnel de la santé qui me croyait lorsque je lui parlais de la douleur que je ressentais, et même dans ce cas, le coût de la consultation est écrasant. Ce système est conçu pour que nous échouions. Il est conçu pour remplir les poches des riches et drainer toutes les ressources de ceux qui n’en font pas partie.

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Il n’est vraiment plus sûr pour moi de vivre dans l’État où je vis. Il s’agit de politiques que je n’ai jamais soutenues ou pour lesquelles je n’ai jamais votées, mais dont je subis les conséquences. Il ne me reste que très peu d’options. Financièrement, je ne peux pas me permettre de quitter le pays pour aller dans un endroit où j’aurais plus d’autonomie sur ma propre santé. La seule option qui me reste est d’économiser autant que possible et de déménager dans un État où j’ai plus de droits sur mon propre corps.

Ce faisant, je perdrai le réseau de médecins qui se sont occupés de moi. Je m’éloignerais de tout mon système de soutien émotionnel, de mes amis, de ma famille. Mais je ne vois vraiment pas d’autres options. Je suis confrontée à une prise de conscience déchirante : même si j’ai toujours voulu devenir mère, je ne serai peut-être jamais assez en sécurité pour l’être.

Je vis dans un État où une femme en état de mort cérébrale a été maintenue en vie uniquement parce qu’elle était enceinte.

Ma propre famille a exprimé ses craintes quant à ma santé si je tombais enceinte. Mon père catholique est terrifié pour moi, même si sa propre religion lui a appris, lorsqu’il était enfant, que l’avortement était une erreur. Il a depuis changé son point de vue, mais sa peur me terrifie aujourd’hui. Si un homme issu de ce milieu peut changer d’avis et voir à quel point ces lois sont préjudiciables, pourquoi d’autres ne le pourraient-ils pas ? Que puis-je faire d’autre ?

Je vis dans un État où une femme en état de mort cérébrale a été maintenue en vie uniquement parce qu’elle était enceinte. Ils ont forcé une famille à regarder cette femme servir d’incubateur pour un enfant qui ne naîtrait pas, mais qui serait retiré du corps de sa mère décédée. Comment peut-on considérer cela comme légal ? Comment peut-on considérer cela comme humain ? Cette administration porte atteinte à tous les individus, en leur retirant des droits humains fondamentaux.

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Ces droits, pour lesquels on s’est battu et qu’on a gagnés, sont aujourd’hui arrachés par de vieux hommes blancs qui n’ont jamais eu à faire face à ces décisions difficiles qui changent le cours d’une vie. La haine dont ces législateurs ont fait preuve à l’égard de l’humanité est répugnante. Il faut y mettre un terme, mais à l’échelle individuelle, je ne peux pas faire grand-chose pour défendre mes intérêts et ceux des millions d’autres personnes affectées par ces lois médiévales et barbares. Il faut y mettre un terme. Nous avons besoin de droits pour disposer de notre corps.

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Carte blanche , Monde et Société

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Temps de lecture : 6 minutes

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