Océan : les enjeux d’un sommet plus politique qu’écologique

Du 9 au 13 juin, une soixantaine de chefs d’État se réunissent à Nice pour la troisième conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc) et discuter de la préservation des écosystèmes marins, indispensable à la vie sur Terre. Focus sur 3 enjeux majeurs de ce sommet où diplomatie et politique risquent de surpasser les défis écologiques.

Vanina Delmas  et  Thomas Lefèvre  • 9 juin 2025
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Océan : les enjeux d’un sommet plus politique qu’écologique
© Naja Bertolt Jensen / Unsplash

Les sommets mondiaux se suivent et se ressemblent. Après le One Ocean Summit à Brest en 2022, le SOS Ocean à Paris en mars 2025 et deux sommets des Nations unies en 2017 et en 2022, la troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan (Unoc 3) se prépare.

La ville de Nice doit donc accueillir, à partir de ce lundi, 70 dirigeants mondiaux et des milliers d’acteurs de la société civile. L’ambition : maintenir la mobilisation des États sur des traités visant à protéger le poumon bleu de la planète. Il y a dix ans, les États membres des Nations unies ont adopté 17 objectifs de l’Agenda 2030 pour le développement durable, dont l’Objectif de développement durable (ODD) 14 consacré aux océans, mers et ressources marines. Ce sommet permettra « soit d’inverser le déclin des océans d’ici à 2030, soit de documenter l’échec de l’humanité à agir », a déclaré l’ambassadrice auprès de l’ONU du Costa Rica, coorganisateur du sommet avec la France.

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L’événement est loin de faire l’unanimité du côté scientifique. « On n’a pas besoin de grandes messes et de tout ce bruit médiatique. On a besoin d’actions, assène Julie Deshayes, océanographe physicienne au Laboratoire d’océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (Locean) de l’Institut Pierre-Simon Laplace. Il manque la volonté politique pour mettre en œuvre des solutions qui sont déjà décrites, en long, en large et en travers, dans tous les rapports scientifiques. » Plusieurs membres de Locean ont choisi de ne pas se rendre à Nice. « J’ai décidé de refuser l’invitation et de boycotter l’événement », clarifie Julie Deshayes.

J’ai décidé de refuser l’invitation et de boycotter l’événement.

J. Deshayes

En effet, l’Unoc n’aboutira pas à la signature d’un grand accord contraignant mais a minima à une déclaration politique faite d’engagements volontaires, le « Plan d’action de Nice pour l’océan ». Pour Romain Troublé, directeur général de la Fondation Tara Océan, président de la plateforme « Océans et climat », c’est avant tout une « manifestation cruciale de soft power » et un bon « crash test pour réaffirmer l’importance de la science dans le contexte international actuel. »

Traité sur la haute mer crucial

L’un des sujets majeurs de ce sommet sera le traité sur la haute mer. Il y a deux ans, les États membres de l’Organisation des Nations unies ont adopté le traité Biodiversity Beyond National Jurisdiction (BBNJ). Le résultat de quinze années de négociations afin de définir un cadre légal pour les eaux internationales, qui représentent 64 % de l’océan et près de la moitié de la surface du globe. Celui-ci concerne notamment la création d’aires marines protégées, l’exploitation des ressources marines génétiques, servant notamment à la fabrication de médicaments, et la mise en place d’évaluations d’impact sur l’environnement.

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Emmanuel Macron espérait faire de ce sujet l’emblème de l’Unoc mais, au 6 juin, seuls 31 pays, parmi les 116 signataires de l’accord, avaient ratifié le texte, et il en faut 60 pour une ratification officielle. Pour Romain Troublé, ce traité sur la haute mer est l’occasion de changer de paradigme.

« Il faudrait partir du principe que la haute mer est par défaut protégée, et non l’inverse. Les entreprises voulant y développer une activité seraient obligées de prouver qu’elle ne serait pas nocive pour l’environnement. Évidemment, cela implique d’autres réflexions et décisions par la suite : qui décide, qui valide, qui contrôle… Mais on inverserait la charge de la preuve et ce serait un grand pas en avant ! » « Il y a eu des avancées dans ce traité sur la haute mer, mais la partie pêcherie a été complètement évacuée des textes. Encore une fois le problème c’est que tout va trop lentement », tempère Xavier Capet, océanographe et directeur de recherche au CNRS, rattaché au laboratoire LOCEAN.

Pollution plastique en ligne de mire

Les projections de l’OCDE sont affolantes : la consommation de plastique devrait quasiment être multipliée par trois dans le monde entre 2019 et 2060 si nous restons dans un monde sans limitation de production, ni politique mondiale de gestion. Or, 20 tonnes de plastique sont déversées dans les océans chaque minute et la majorité de cette pollution provient de la Terre (des côtes, des littoraux et des villes, notamment) selon l’organisation Plastic Odyssey.

Ce traité sera intéressant et utile seulement s’il contient des objectifs clairs de réduction avec des contrôles tous les 3 ou 4 ans. Sans ça, pas de traité !

R. Troublé

En décembre dernier, les négociations pour un traité mondial contre la pollution plastique en Corée du Sud ont été un échec patent. L’Unoc devrait servir d’étape pour convaincre de nouveaux États d’y adhérer avant le prochain round à Genève du 5 au 14 août.

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« Il faut au moins 100 pays qui se mobilisent et s’engagent pour un traité contre la pollution plastique ambitieux dans lequel on parle avant tout de réduction de la production, et non de recyclage qui ne fait que repousser la pollution de deux ans ! s’indigne Romain Troublé. Ce traité sera intéressant et utile seulement s’il contient des objectifs clairs de réduction avec des contrôles tous les 3 ou 4 ans. Sans ça, pas de traité ! Et nous resterons fermes là-dessus même face aux dix pays pétroliers, dont les États-Unis, qui font obstacle pour le moment. »

Multilatéralisme et sciences préservées

Les océans et les mers sont également menacés par les soubresauts géopolitiques, et l’élection de Donald Trump a été une nouvelle déflagration. Après avoir retiré les États-Unis de l’accord de Paris sur le climat et avoir drastiquement asséché les budgets dédiés aux programmes scientifiques sur l’environnement, le président climatosceptique a autorisé en avril dernier l’extraction de minerais dans les eaux internationales. La veille de l’Unoc, aucun représentant de l’administration américaine n’était attendu à Nice.

Mais les positions des autres États sur les divers sujets permettront de prendre le pouls du multilatéralisme. « Quand Trump a déclaré vouloir exploiter les fonds marins, on a vu la Chine réagir dès la nuit suivante en affirmant que le droit international prévaut. C’est rassurant ! Voir autant d’États présents à Nice pour parler des océans montre que le multilatéralisme n’est pas mort », glisse Romain Troublé. Il estime qu’une réelle dynamique pour préserver les océans se dessine. « C’est le premier sommet pour les océans qui est vraiment préparé. On a travaillé en amont comme on l’avait fait pour la COP21 en 2015. Les ambassades françaises œuvrent depuis plus d’un an pour que des ministres soient présents, pour arracher des engagements et activer des prises de conscience. »

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Les scientifiques interrogés se veulent également optimistes face aux difficultés de mise en place d’une coopération internationale sur le sujet de la protection des océans. « L’élection de Trump ne facilite pas les choses, mais la communauté scientifique internationale s’organise, détaille Julie Deshayes. On a une vision un peu plus large, il faut défendre tous les scientifiques du climat, quel que soit leur pays d’attachement. On n’a pas entendu Macron défendre nos collègues climatologues argentins par exemple, malgré les attaques similaires de Javier Milei envers les sciences. »

Quant à Xavier Capet, il prévient : « En France, certains politiques font déjà du proto-Trumpisme en utilisant une communication mensongère visant à flouter complètement la réalité. Ils choisissent des chiffres qui masquent l’insuffisance de leurs actions et vident les mots de leurs sens. Comment peut-on parler d’aire marines “protégées” par exemple, alors qu’on autorise le chalutage de fond à l’intérieur de ces aires? »

Comment peut-on parler d’aire marines “protégées” par exemple, alors qu’on autorise le chalutage de fond à l’intérieur de ces aires? 

X. Capet

Avec 258 autres scientifiques, Julie Deshayes et Xavier Capet ont signé, en avril 2024, une tribune dans Le Monde intitulée : « Une défiance grandissante s’installe dans notre communauté scientifique vis-à-vis du pouvoir politique ». Ce sentiment est loin de s’être estompé un an plus tard. « Toute confiance est rompue entre le milieu scientifique et le milieu politique, souffle Xavier Capet. On peut difficilement croire Agnès Pannier-Runacher ou Emmanuel Macron quand ils viennent nous dire qu’on va faire du cas par cas sur les aires marines protégées. »

Le chalutage de fond, par exemple, est encore autorisé au sein de la vaste majorité des aires marines « protégées » françaises, malgré son impact dévastateur sur l’environnement. Face à l’effondrement de la biodiversité marine – dont la surpêche est l’une des causes principales, selon le dernier rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) –, il est urgent d’aboutir à des actions concrètes à l’échelle internationale. L’Unoc sera-t-il une énième bouteille à la mer ?

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Écologie
Publié dans le dossier
SOS d'un océan en détresse
Temps de lecture : 8 minutes
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