Réduire les dépenses, c’est renoncer à faire de la politique

Les politiques s’enchaînent et se ressemblent, focalisées sur la seule question comptable, budgétaire. Avec pour seule équation : réduire les dépenses. Mais faire de la politique, ça n’est pas ça.

Pierre Jacquemain  • 17 juin 2025
Partager :
Réduire les dépenses, c’est renoncer à faire de la politique
Manifestation contre la réforme des retraites, le 19 janvier 2023.
© Lily Chavance

Il est une confusion tenace, dangereuse, méthodiquement entretenue par une certaine classe politique : celle qui consiste à faire passer la réduction des dépenses publiques pour une politique en soi. Ce n’est pas une politique. Ceux qui prétendent faire de la politique en ne parlant que de réduction des dépenses trahissent l’idée même de politique.

Non seulement ils trahissent, mais ils disqualifient, par leur langage comptable et leur absence de vision, tout ce que la politique revêt de noble, de vital, de porteur d’espérance. Faire de la politique, ce n’est pas faire la chasse aux dépenses publiques comme on traque une anomalie comptable. Faire de la politique, c’est porter un projet de société. C’est penser les besoins collectifs, c’est rêver des utopies concrètes. C’est nommer les injustices, puis mettre les moyens pour les combattre.

Ceux qui nous gouvernent sont les représentants d’une caste

Ce n’est pas non plus obéir aux marchés. Ce n’est pas servir des équilibres budgétaires dictés par la peur ou par les intérêts d’une minorité. La comptabilité n’est qu’un instrument au service d’un projet collectif. Ce projet doit viser à répondre aux besoins réels de la population, non à protéger des équilibres budgétaires conçus comme des dogmes.

Sur le même sujet : Vider les caisses pour mieux réduire les dépenses

Ceux qui nous gouvernent ne parlent plus de ce qu’il faudrait faire, de ce que la société réclame ou espère, mais de ce qu’il faut couper, rogner, ajuster. L’horizon s’est réduit à un tableau Excel. La politique n’est plus envisagée comme un espace de transformation mais comme un exercice de discipline. Elle se plie aux marchés, aux agences de notation, aux injonctions de croissance, au lieu de penser depuis la base : les besoins, les vies, les territoires.

Ceux qui nous gouvernent ne parlent plus de ce qu’il faudrait faire, de ce que la société réclame ou espère, mais de ce qu’il faut couper, rogner, ajuster. L’horizon s’est réduit à un tableau Excel.

Ceux qui aujourd’hui nous gouvernent ne sont pas des représentants du peuple mais les mandataires d’une caste. Leur patrimoine dépasse, pour beaucoup d’entre eux, les 20 millions d’euros. Il devient facile alors de refuser une fiscalité – à l’instar de la taxe Zucman – au service du plus grand nombre. Il devient évident aussi de préférer une fiscalité qui protège le capital, plutôt que de financer les services publics.

Les moyens doivent être pensés à la mesure des besoins

De quoi avons-nous besoin ? Cette interrogation devrait être notre unique boussole et s’inscrire dans les limites du monde réel, celui de la crise écologique et de la raréfaction des ressources. Ce n’est pas créer artificiellement de nouveaux besoins – c’est repenser les besoins eux-mêmes. Et désintoxiquer nos imaginaires du mythe de l’abondance infinie.

Faire de la politique, c’est aussi affronter les fractures du présent : smicardisation, paupérisation des classes populaires et moyennes, déclassement et « déstabilisation des stables », pour reprendre les mots de Robert Castel, désindustrialisation accélérée, montée des inégalités, instabilités engendrées par l’intelligence artificielle et la disparition d’emplois.

Sur le même sujet : Les coopératives, îlots de démocratie sociale dans l’océan capitaliste

Ce n’est pas un choix technique. C’est un choix idéologique. À force de raisonner à partir de la dépense, nos gouvernants disqualifient les seuls moyens capables de répondre aux crises actuelles :
les investissements publics massifs, la réinvention des solidarités, la planification écologique, la relocalisation des productions, l’innovation au service du bien commun.

Ce sont les politiques qui doivent orienter les budgets, non les budgets qui dictent la politique.

Il ne s’agit pas de dire que les moyens sont illimités. Il s’agit de dire que les moyens doivent être pensés à la mesure des besoins, et non l’inverse. Ce sont les politiques qui doivent orienter les budgets, non les budgets qui dictent la politique. Tant que cette inversion ne sera pas corrigée, aucune réponse sérieuse aux défis de notre temps ne sera possible. L’austérité n’est pas une politique, elle est une impasse.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Publié dans
Parti pris et Politique

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Course de voiliers au large : l’aventure dans le typhon capitaliste
Parti pris 14 novembre 2025

Course de voiliers au large : l’aventure dans le typhon capitaliste

Le 6 novembre, en Martinique, le premier voilier de la Transat Café L’Or, traversée de l’Atlantique en double, a passé la ligne d’arrivée. Entre prouesses technologiques et budgets colossaux, la course au large est devenue une vitrine du capitalisme, où les skippers naviguent davantage sur les chiffres que sur l’océan.
Par Caroline Baude
Budget : l’impasse stratégique du parti socialiste
Parti pris 12 novembre 2025

Budget : l’impasse stratégique du parti socialiste

L’article sur la suspension de la réforme des retraites du projet de loi de financement de la Sécurité sociale sera examiné ce 12 novembre à l’Assemblée. Le PS, en quête d’un moment de gloire politique, a opté pour la stratégie de la magouille en votant pour la partie recettes du PLFSS dimanche dernier.
Par Lucas Sarafian et Pierre Jequier-Zalc
« Il faut modifier la Constitution pour empêcher l’avènement d’un régime autoritaire »
La Midinale 5 novembre 2025

« Il faut modifier la Constitution pour empêcher l’avènement d’un régime autoritaire »

Il vient de déposer une proposition de loi constitutionnelle : Éric Kerrouche, sénateur socialiste des Landes, est l’invité de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
Mouvement social de 1995 : la naissance d’une nouvelle génération politique
Récit 5 novembre 2025 abonné·es

Mouvement social de 1995 : la naissance d’une nouvelle génération politique

Le grand mouvement social de 1995 a vu l’apparition d’une dizaine de futurs visages de la gauche, des figures qui, en trois décennies de vie publique française, n’ont jamais abandonné le combat. Très souvent en faveur de l’union de la gauche.
Par Lucas Sarafian