Réduire les dépenses, c’est renoncer à faire de la politique
Les politiques s’enchaînent et se ressemblent, focalisées sur la seule question comptable, budgétaire. Avec pour seule équation : réduire les dépenses. Mais faire de la politique, ça n’est pas ça.
dans l’hebdo N° 1867 Acheter ce numéro

© Lily Chavance
Il est une confusion tenace, dangereuse, méthodiquement entretenue par une certaine classe politique : celle qui consiste à faire passer la réduction des dépenses publiques pour une politique en soi. Ce n’est pas une politique. Ceux qui prétendent faire de la politique en ne parlant que de réduction des dépenses trahissent l’idée même de politique.
Non seulement ils trahissent, mais ils disqualifient, par leur langage comptable et leur absence de vision, tout ce que la politique revêt de noble, de vital, de porteur d’espérance. Faire de la politique, ce n’est pas faire la chasse aux dépenses publiques comme on traque une anomalie comptable. Faire de la politique, c’est porter un projet de société. C’est penser les besoins collectifs, c’est rêver des utopies concrètes. C’est nommer les injustices, puis mettre les moyens pour les combattre.
Ceux qui nous gouvernent sont les représentants d’une caste
Ce n’est pas non plus obéir aux marchés. Ce n’est pas servir des équilibres budgétaires dictés par la peur ou par les intérêts d’une minorité. La comptabilité n’est qu’un instrument au service d’un projet collectif. Ce projet doit viser à répondre aux besoins réels de la population, non à protéger des équilibres budgétaires conçus comme des dogmes.
Ceux qui nous gouvernent ne parlent plus de ce qu’il faudrait faire, de ce que la société réclame ou espère, mais de ce qu’il faut couper, rogner, ajuster. L’horizon s’est réduit à un tableau Excel. La politique n’est plus envisagée comme un espace de transformation mais comme un exercice de discipline. Elle se plie aux marchés, aux agences de notation, aux injonctions de croissance, au lieu de penser depuis la base : les besoins, les vies, les territoires.
Ceux qui nous gouvernent ne parlent plus de ce qu’il faudrait faire, de ce que la société réclame ou espère, mais de ce qu’il faut couper, rogner, ajuster. L’horizon s’est réduit à un tableau Excel.
Ceux qui aujourd’hui nous gouvernent ne sont pas des représentants du peuple mais les mandataires d’une caste. Leur patrimoine dépasse, pour beaucoup d’entre eux, les 20 millions d’euros. Il devient facile alors de refuser une fiscalité – à l’instar de la taxe Zucman – au service du plus grand nombre. Il devient évident aussi de préférer une fiscalité qui protège le capital, plutôt que de financer les services publics.
Les moyens doivent être pensés à la mesure des besoins
De quoi avons-nous besoin ? Cette interrogation devrait être notre unique boussole et s’inscrire dans les limites du monde réel, celui de la crise écologique et de la raréfaction des ressources. Ce n’est pas créer artificiellement de nouveaux besoins – c’est repenser les besoins eux-mêmes. Et désintoxiquer nos imaginaires du mythe de l’abondance infinie.
Faire de la politique, c’est aussi affronter les fractures du présent : smicardisation, paupérisation des classes populaires et moyennes, déclassement et « déstabilisation des stables », pour reprendre les mots de Robert Castel, désindustrialisation accélérée, montée des inégalités, instabilités engendrées par l’intelligence artificielle et la disparition d’emplois.
Ce n’est pas un choix technique. C’est un choix idéologique. À force de raisonner à partir de la dépense, nos gouvernants disqualifient les seuls moyens capables de répondre aux crises actuelles :
les investissements publics massifs, la réinvention des solidarités, la planification écologique, la relocalisation des productions, l’innovation au service du bien commun.
Ce sont les politiques qui doivent orienter les budgets, non les budgets qui dictent la politique.
Il ne s’agit pas de dire que les moyens sont illimités. Il s’agit de dire que les moyens doivent être pensés à la mesure des besoins, et non l’inverse. Ce sont les politiques qui doivent orienter les budgets, non les budgets qui dictent la politique. Tant que cette inversion ne sera pas corrigée, aucune réponse sérieuse aux défis de notre temps ne sera possible. L’austérité n’est pas une politique, elle est une impasse.
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