Retraites : à l’Assemblée, une petite victoire après deux ans de déni démocratique

Le groupe communiste a réussi à faire adopter, durant sa journée d’initiative parlementaire, une proposition de résolution intimant au gouvernement d’abroger la réforme des retraites de 2023. Une victoire symbolique dans une Assemblée nationale quasi vide.

Lucas Sarafian  • 5 juin 2025 abonné·es
Retraites : à l’Assemblée, une petite victoire après deux ans de déni démocratique
Manifestation contre la réforme des retraites, à Paris, le 11 février 2023.
© Lily Chavance.

Attention, faille spatio-temporelle au cœur de Paris ! À l’Assemblée nationale ce jeudi 5 juin, les communistes forcent toute la classe politique à retourner dans le passé, à rouvrir un dossier datant du 16 mars 2023. Ce jour où Élisabeth Borne a activé le 49.3 pour faire passer la douloureuse réforme des retraites.

Depuis, des manifestations dans tout le pays, deux demandes de référendum d’initiative partagée réclamée par la gauche, une première proposition de loi d’abrogation portée par le groupe Liot en juin 2023, une deuxième soutenue par le Rassemblement national (RN) en octobre 2024, une troisième portée par La France insoumise (LFI) en novembre 2024… Rien n’y fait : l’Assemblée a toujours été dessaisie du sujet. À chaque fois, les macronistes ont joué l’obstruction ou se sont efforcés de fouiller le règlement de la chambre basse dans les moindres détails pour défendre l’irrecevabilité des propositions des opposants.

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Cette fois, les communistes changent de stratégie. Lors de la journée d’initiative de leur groupe, la « niche » en langage parlementaire, ils ont décidé d’entamer la journée en déposant une proposition de résolution qui « affirme l’impérieuse nécessité d’aboutir à l’abrogation des mesures les plus régressives » de la réforme des retraites, c’est-à-dire le recul de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans ainsi que l’augmentation de la durée de cotisation portée à 43 annuités dès 2027.

Le texte n’a aucune valeur contraignante, le gouvernement ne sera obligé à rien. Peu importe. « Cela permettra pour la première fois à l’Assemblée nationale de s’exprimer sur ce sujet encore très présent dans la mémoire et l’esprit des Français qui n’ont pas tourné la page de cette réforme qu’ils refusent toujours très majoritairement », estimait il y a deux jours Stéphane Peu, le président du groupe communiste.

« Grande blessure démocratique »

Dans un hémicycle quasi-vide, le bloc central ayant décidé de « sécher » massivement la séance, Peu lance les hostilités. « Pendant plus de six mois, les travailleurs, les retraités et la jeunesse, soutenus par une intersyndicale puissante et unie ont exprimé sans discontinuer leur stricte opposition à cette réforme. Ensemble, ils ont proposé des alternatives ambitieuses, raisonnées que nombre d’entre nous dans cet hémicycle ont relayées, en vain, face à un gouvernement arrogant et enfermé dans ses dogmes, développe-t-il. L’élaboration et la mise en œuvre de cette réforme n’a respecté aucune des règles les plus élémentaires de la démocratie sociale et du parlementarisme. Cette réforme a été et reste un affront fait au peuple français. »

Cette réforme a été et reste un affront fait au peuple français.

S. Peu

À la tribune, le communiste se pose en médecin de « la plus grande blessure démocratique depuis la négation du vote des Français lors du référendum de 2005 » et propose à François Bayrou deux chemins : « Soit le gouvernement opte pour la sagesse et la concorde et abroge cette réforme, soit vous optez avec le président de la République pour saisir les Français par référendum. » Sinon quoi ? « Si vous ne tenez pas compte de ce vote, si vous ne choisissez pas l’une de ces deux alternatives que nous vous soumettons, alors, je vous le promets, nous saurons en tirer toutes les conséquences. »

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Le bloc central et la droite se fichent royalement de ces mises en garde. La députée Ensemble pour la République (EPR) Stéphanie Rist fustige cette proposition « paresseuse et stérile », un « bras d’honneur aux partenaires sociaux réunis jusqu’à la fin du mois de juin ». « Vous ne nous dites pas : « On va se retrousser les manches, on va trouver des solutions, on va faire des propositions alternatives et crédibles. » Non, vous nous dites : « Très bien, on va dans le mur mais proposons une abrogation symbolique de la réforme. » », expose-t-elle.

Marie-Agnès Poussier-Winsback, députée Horizons, dénonce cette « alliance » entre la gauche et l’extrême droite (favorable à cette résolution mais très peu présente dans l’hémicycle) « ce mariage ne repose sur aucun projet commun de financement, ni sur une vision partagée de notre modèle social, il ne se fédère que dans le rejet d’une réforme promulguée il y a maintenant plus de deux ans ».

De son côté, la gauche fait bloc. La présidente du groupe LFI, Mathilde Panot, l’assure : « Il y a deux ans, nous faisions ici cette promesse solennelle : ”Nous ne renoncerons jamais à revenir sur cette réforme injuste et injustifiée et à rétablir le droit à la retraite à 60 ans.” Nous tiendrons cette promesse, vous ne viendrez jamais à bout de nous. » « L’avenir ne peut se construire sur le recul des droits sociaux », prévient la députée socialiste Sandrine Runel.

« Comment imposez-vous vos réformes ? En contournant le peuple, contre trois, quatre, cinq millions de manifestants, contre deux tiers des Français, contre 80 % des salariés, contre tous les syndicats unis, contre une majorité de l’Assemblée. Avec vous, pas de vote. Jamais. Mais des 49.3, de l’obstruction, des conclaves. Vous biaisez, vous fuyez, vous enfumez. Vous êtes le gouvernement de l’enlisement », attaque l’ex-insoumis François Ruffin.

Un vote symbolique

En réponse, Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail, l’admet : « Tout n’est pas parfait, je suis la première à le reconnaître. » Une confession sans conséquence. Car le gouvernement ne semble pas prêt à bouger d’un centimètre. Au regard de la démographie, de l’allongement de la durée de vie et de la situation budgétaire du pays, Astrid Panosyan-Bouvet défend encore et encore cette réforme dont l’abrogation lui semble inconcevable. « Pour la troisième fois en six mois, un groupe parlementaire nous propose de revenir en arrière. Or depuis les premières réformes du gouvernement Balladur en 1993, personne n’est jamais revenu en arrière », rappelle-t-elle.

Le débat nous a été interdit, empêché, ce vote a un peu réparé la situation.

S. Rousseau

Avant de mépriser la portée politique du texte débattu : « Positif ou négatif, le résultat du vote de ce matin ne pourra pas être opposé au vote du 17 mars 2023. Quelle sera donc la portée du vote de ce matin ?, feint de se demander la ministre. Au mieux, il mettra en évidence la coalition d’opposants qui n’ont aucun projet alternatif et crédible. Le débat aura-t-il avancé d’un centimètre ? La réponse est non. Les partisans de l’impossible retour en arrière pourront simplement se compter. » La charge n’aura aucun impact. Peu après 10 heures, les députés passent au vote. Résultat : 198 pour, 35 contre. La résolution communiste est adoptée.

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Dans la salle des Quatre-Colonnes, les députés de gauche se satisfont. « Le débat nous a été interdit, empêché, ce vote a un peu réparé la situation », glisse l’écolo Sandrine Rousseau. François Ruffin abonde : « On ne peut pas faire un message plus clair que ce qui s’est passé : les macronistes ne viennent même pas. Les Français disent non, les syndicats disent non et, désormais, l’Assemblée dit non. Mais on a un homme tout seul en haut qui s’obstine. » Tout cela ne changera rien. Parfois, la politique ne reste qu’une affaire de symbole.

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