À Nantes, un front commun contre Stérin, malgré la préfecture

Alors que la ville doit accueillir La Nuit du bien commun, cofondée par le milliardaire catholique et libertarien Pierre-Édourd Stérin, la mobilisation s’amplifie contre ce qu’elle voit comme un « gala de charité d’extrême droite ». La préfecture a décidé d’interdire la manifestation prévue ce jeudi.

Mathilde Doiezie  • 5 juin 2025 abonné·es
À Nantes, un front commun contre Stérin, malgré la préfecture
Le millardaire Pierre-Édouard Stérin, catholique ultraconservateur, libertarien... et exilé fiscal.

La Cité des Congrès à Nantes se prépare à accueillir un événement bien plus mouvementé que les spectacles qu’elle héberge habituellement. Ce jeudi 5 juin, la salle, située à l’embouchure de l’Erdre dans la Loire, ouvrira ses portes à La Nuit du bien commun.

Depuis 2017, ce gala de charité cofondé par le milliardaire Pierre-Édouard Stérin propose à des associations sélectionnées de défendre leur projet devant un parterre de mécènes particuliers, de fondations, d’entreprises ou d’institutions. À Nantes, huit structures (1 Lettre 1 Sourire, 60 000 rebonds, Seuil…) se présenteront. L’an dernier, la précédente édition locale avait permis de lever 522 300 euros.

Bien que l’événement ait déjà eu lieu à cinq reprises à Nantes par le passé, il suscite cette fois une levée de boucliers de la part d’associations, syndicats et partis de gauche, réunis sous la bannière de la Section carrément anti-Stérin (Scas) de Nantes. Parmi ses membres : le groupe local des Soulèvements de la Terre, Attac 44, la CGT, le collectif Féministes révolutionnaires ou les sections locales des Écologistes, de la France insoumise ou de Place publique.

Sur le même sujet : L’ombre du très droitier milliardaire Stérin plane sur les Nuits du bien commun

Depuis plusieurs semaines, ils demandent l’annulation de l’événement. Ce jeudi 5 juin, ils prévoient une manifestation, interdite par la préfecture qui invoque « de graves risques de troubles à l’ordre public ». « C’est une inversion de la responsabilité. Ce qui cause un trouble à l’ordre public, ce n’est pas cette manifestation, mais bien la tenue de cet événement, qu’il suffirait d’annuler », s’indigne auprès de Politis Marie Vitoux, élue municipale écologiste et candidate aux prochaines municipales, à Nantes.

Ce qui cause un trouble à l’ordre public, ce n’est pas cette manifestation, mais bien la tenue de cet événement.

M. Vitoux

La Scas reproche à l’événement d’être au service de l’idéologie de Pierre-Édouard Stérin, dont le plan Périclès a été dévoilé l’an dernier par L’Humanité. Un acronyme aux antipodes des valeurs que celui-ci implique : « Patriotes enracinés résistants identitaires chrétiens libéraux européens souverainistes ». Et ce, même si les organisateurs assurent que Pierre-Édouard Stérin ne joue plus « aucun rôle opérationnel » et qu’il a « quitté ses fonctions de gouvernance »

« Une offensive réactionnaire »

« Il ne faut pas être dupe : derrière ce gala de charité, il s’agit d’une manœuvre de l’extrême droite et d’une offensive réactionnaire », résume Marie Vitoux. Même son de cloche du côté de Rose Guégan, membre de la CGT Spectacles pour la Loire-Atlantique : « Même s’il y a cette défense de la part des organisateurs, c’est un peu comme si on oubliait qui a fondé le Front national devenu Rassemblement national. C’est une manière de faire avancer leurs idées tout en disant « regardez, nous sommes gentils, nous donnons de l’argent aux associations ». »

Sur le même sujet : 5,3 milliards d’euros : l’inquiétant pactole de Vincent Bolloré

De son côté, la maire PS de Nantes Johanna Rolland s’est aussi fendue d’une tribune avec d’autres édiles de villes socialistes ou écologistes, qui ont accueilli ou doivent accueillir l’événement. Pour autant, elle et ses collègues estimaient que « l’interdiction […] ne relève pas de [leur] compétence et irait à l’encontre des principes de liberté d’association et de réunion ».

L’interdiction irait à l’encontre des principes de liberté d’association et de réunion.

Tribune

Deux figures politiques locales défendent cependant l’événement. Foulques Chombart de Lauwe, candidat LR à la mairie de Nantes en 2026, a annoncé sa participation. Et aussi, surtout, la présidente (Horizons) de la Région Pays de la Loire, Christelle Morançais, qui s’est fait connaître au niveau national pour son zèle au niveau des coupes budgétaires.

L’ancienne protégée de Bruno Retailleau est « révoltée que des groupuscules d’extrême gauche […] menacent physiquement les participants à la Nuit du bien commun », bien qu’un seul appel à manifestation ait été relayé. La région Pays de la Loire est partenaire et mécène de l’évènement depuis ses débuts à Nantes. Cette année, toutefois, elle fera profil bas, puisqu’aucun soutien n’est prévu, nous affirment les organisateurs.

Entrisme

Depuis la découverte du projet Périclès, les membres de la Scas ont informé les associations de l’univers dans lequel elles mettaient les pieds lorsqu’elles participaient à la Nuit du bien commun, sans pour autant leur jeter la pierre. Deux d’entre elles se sont désistées depuis leur sélection : La Chrysalide de l’être (une école Montessori) et Constellation (un réseau d’entraide pour parents d’enfants en situation de handicap).

Sur le même sujet : Périclès : l’inquiétant projet pro-RN du milliardaire Stérin

Comme le regrette Marie Vitoux, l’extrême droite et les milieux réactionnaire profitent « de la fragilité financière des associations pour faire de l’entrisme parmi elles et mailler le territoire ». Rose Guégan pointe aussi ce paradoxe : « Ce gala, c’est le festival de la défiscalisation, créé par un homme qui est lui-même exilé fiscal. Le vrai bien commun, ce serait de payer ses impôts pour qu’il n’y ait justement pas besoin de faire des galas de charité. »

Face à l’interdiction de la manifestation dans un large périmètre de la ville – ce qui n’empêchera pas la mobilisation – cette dernière regrette qu’en « plus de privatiser la Cité des congrès, la Nuit du bien commun va aussi privatiser toute une partie de l’espace public, interdisant elle-même toute expression publique à Nantes ». D’autres éditions doivent encore avoir lieu d’ici à la fin du mois de juin à Rouen, Toulouse et Annecy.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Pour aller plus loin…

Pride des banlieues : « Il faut des moyens dans la santé, pas dans l’armée »
Entretien 6 juin 2025 abonné·es

Pride des banlieues : « Il faut des moyens dans la santé, pas dans l’armée »

Créée en 2019, la Pride des banlieues aura lieu ce 7 juin à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Cette année, l’événement se mobilise pour la santé des personnes LGBT+ de banlieues. Entretien avec Yanis Khames, l’un des fondateur·ices.
Par Paul Hetté
Femtech : entre promesses féministes et dérives conservatrices
Vidéo 5 juin 2025

Femtech : entre promesses féministes et dérives conservatrices

Dans le monde de la « femtech », les start-ups promettent de créer des technologies « par les femmes, pour les femmes ». Mais derrière les discours progressistes, on trouve aussi des investisseurs ultraconservateurs, des inquiétudes vis-à-vis de la protection des données personnelles, et des logiques de marché bien rodées.
Par Thomas Lefèvre
Le Salon du Bourget devant la justice contre la présence d’entreprises liées au génocide à Gaza
Reportage 5 juin 2025 abonné·es

Le Salon du Bourget devant la justice contre la présence d’entreprises liées au génocide à Gaza

Plusieurs associations ont assigné le Salon du Bourget en justice pour interdire notamment la présence d’entreprises vendant des armes à Israël. Le verdict de l’audience, qui s’est tenue ce mercredi, est attendu le 10 juin.
Par Juliette Heinzlef
Sainteté, business et extrême droite : la galaxie cachée de Pierre- Édouard Stérin
Portrait 5 juin 2025 abonné·es

Sainteté, business et extrême droite : la galaxie cachée de Pierre- Édouard Stérin

Le milliardaire, qui a fait fortune avec l’entreprise Smartbox, est à la tête d’un empire mêlant fonds d’investissement, stratégie politique et œuvres caritatives par la Nuit du bien commun. Le tout, pour servir son idéologie identitaire et réactionnaire.
Par Hugo Boursier