Dati chez « C à vous » : quand une ministre tombe le masque
En théorie, la ministre de la Culture aime et défend la liberté de la presse. En pratique elle se fiche des médias et maltraite les journalistes.
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En théorie, Rachida Dati aime et défend la liberté de la presse. Logique : en tant que ministre de la Culture, elle est aussi la ministre de tutelle des médias du service public (France TV, Radio France, France Médias Monde et l’INA) et la garante du pluralisme des médias en France. En théorie, seulement. Car – et cela a éclaté au grand jour et en direct cette semaine – en vérité, Rachida Dati se fiche des médias et maltraite les journalistes.
« Je peux saisir le tribunal », a-t-elle menacé Patrick Cohen le 18 juin, en direct dans « C à vous » sur France 5, alors que le journaliste lui posait une simple question. La raison ? Sa question portait sur les révélations de « Complément d’enquête » et du Nouvel Obs sur les 299 000 euros qu’elle a touchés de GDF Suez alors qu’elle était députée européenne, entre 2010 et 2011.
Sans répondre, la ministre a attaqué le journaliste. « Monsieur Cohen, avez-vous harcelé vos collaborateurs ? Est-ce que c’est vrai, monsieur Cohen ? », s’est exclamée Rachida Dati, faisant référence à une enquête de Mediapart publiée en février dernier. « Vous pourriez aussi tomber sous le coup de ce délit [de harcèlement]. Il suffirait que je fasse un article 40 pour dénoncer suite à ce papier de Mediapart. Je peux saisir le tribunal. »
Après ces menaces en direct, France Télévisions a publié un communiqué lacunaire qui n’apportait aucun contexte mais exprimait « son soutien aux équipes de ‘C à vous' » et à « l’ensemble des journalistes qui continueront à exercer leur métier en toute liberté » en rappelant que « les mises en cause personnelles à l’encontre des journalistes ne sont pas acceptables. »
BFM TV a loué le « style bulldozer comme système de défense » de la ministre de la Culture.
Radio France a renchéri en ajoutant que « mener des interviews contradictoires fait pleinement partie du métier de journaliste en démocratie et ne saurait justifier en aucun cas des attaques personnelles. » Il y a pourtant encore des médias – BFM TV pour ne pas la nommer – pour louer le « style bulldozer comme système de défense » de la ministre de la Culture.
La paille, la poutre
Qu’une ministre chargée des médias s’inquiète de l’ambiance délétère qui régnerait dans la rédaction de l’une des principales émissions du service public pourrait, dans d’autres conditions, être louable : l’enquête de Mediapart dévoilait la « gestion humaine agressive » de Cohen lorsqu’il officiait à France Inter entre 2010 et 2017. Les faits datent d’il y a au moins huit ans, mais Rachida Dati n’en a cure : elle cherche uniquement à détourner l’attention des accusations de corruption, nombreuses, qui la visent.
Rappelons que la ministre est mise en examen pour « corruption passive » et « trafic d’influence passif », dans une affaire différente de celle révélée par « Complément d’enquête ». Dans « C à vous », lorsque Cohen l’interroge, il ne fait que son travail de journaliste.
Dans cette affaire, Mediapart a bon dos : le média indépendant est sans cesse critiqué par le gouvernement.
Si la ministre de la Culture s’inquiétait réellement des conditions de travail des journalistes du service public, elle a à sa disposition de multiples solutions bien plus efficaces que de mentionner un article dans une émission. Et Rachida Dati qui s’inquiète d’une « gestion humaine agressive », elle qui s’est illustrée notamment pour ses SMS de menaces envers un collègue ministre sous Sarkozy et a récemment contesté toute « agression » envers une fonctionnaire de l’Assemblée nationale avec qui elle avait eu des « débats vifs », cela ressemble tout de même fortement à de la mauvaise foi. La paille, la poutre..
Dans cette affaire, Mediapart a bon dos : le média indépendant est sans cesse critiqué par le gouvernement (le premier ministre François Bayrou déclarait, pas plus tard que le mois dernier, qu’il « ne lit pas Mediapart par hygiène personnelle »), sauf, quand, soudainement, on a besoin de son travail pour attaquer un journaliste.
« C’est ballot, en attaquant Patrick Cohen, Rachida Dati a oublié de mentionner ce que Mediapart avait écrit sur elle », a écrit sur X le journaliste de Mediapart David Perrotin en partageant l’enquête qu’il signait en décembre dernier sur… les méthodes de Dati contre la presse, à base d’« insultes, menaces, pressions ». L’article dénombrait les procédures engagées contre des médias par leur actuelle ministre : « Trois contre Le Nouvel Obs, quatre contre Libération et deux autres contre Le Canard enchaîné. »
« Rachida Dati ose tout »
Des pressions qui n’ont pas cessé depuis. Dans un communiqué de soutien, la Société des journalistes de France TV a listé les « attaques diffamatoires » subies par les équipes de la part de la ministre de la Culture. On y apprend que pendant le tournage de « Complément d’enquête », les journalistes ont été « violemment pris à partie » par Dati, qui les a traités de « voyous » et les a « accusés d’avoir monnayé des témoignages de ses proches ». Mais cela ne s’arrête pas là : le 23 mai, une élue qui est aussi conseillère spéciale de Dati a « physiquement empêché [leur] équipe de filmer en frappant la caméra » d’un reporter.
La direction de France TV a également subi des pressions « pendant l’enquête ». Après la diffusion de Complément d’enquête, Dati aurait aussi juré la perte de la cheffe de France TV tout juste reconduite, Delphine Ernotte : « J’aurai le scalp d’Ernotte avant de partir du ministère de la Culture », aurait-elle lâché selon le Canard Enchaîné. La ministre nie formellement avoir tenu de tels propos. « Rachida Dati ose tout et torpille son discours officiel par ses actes officieux », concluait en décembre Mediapart.
Désormais, ses actes n’ont plus rien d’officieux. Tout comme elle affiche sans détour sa volonté de conquérir la mairie de Paris l’an prochain (elle aurait accepté un ministère contre l’absence de candidat·e LREM à Paris en 2026), Rachida Dati semble revendiquer son mépris pour la liberté de la presse. Alors que les équipes de France TV et Radio France annoncent une grève illimitée dès le 30 juin pour se battre contre la fusion de l’audiovisuel public et que la Macronie se montre inflexible sur le projet, la ministre a baissé son masque. Place à la pratique : en garde.
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