En France, la nouvelle vie des enfants de Gaza

Depuis le début de la guerre dans l’enclave palestinienne, les autorités françaises ont accueilli près de cinq cents Gazaouis. Une centaine d’autres ont réussi à obtenir des visas depuis l’Égypte. Parmi ces réfugiés, une majorité d’enfants grandit dans la région d’Angers, loin des bombardements aveugles de l’armée israélienne.

Céline Martelet  et  Alexandre Rito  • 4 juin 2025 abonné·es
En France, la nouvelle vie des enfants de Gaza
Leila, Mariam et Ahmed dans le jardin de leur nouvelle maison à Sainte- Gemmes-sur-Loire, le 25 mai.
© Alexandre Rito

Les yeux rivés à son qanoun posé sur ses genoux, Reema semble dans un autre monde. Bien loin de ce concert organisé devant la ­mairie de Sainte-Gemmes-sur-Loire. L’adolescente de 13 ans pince avec précision les dizaines de cordes de cet instrument en bois, sorte de harpe orientale. « J’ai appris à en jouer à Gaza, j’ai commencé à l’âge de 6 ans. J’aime sa forme et surtout le son qu’il émet, confie la jeune fille en descendant de la scène. Ça m’aide à retrouver la paix. » La guerre qu’elle a vécue, Reema n’aime pas en parler. Juste un mot : « terrible ».

Elle préfère se souvenir de son premier qanoun, avec lequel tout a commencé. Comme sa vie d’adolescente palestinienne, il a été anéanti par une frappe aérienne de l’armée israélienne. Avec sa petite sœur et ses parents, Reema a quitté la bande de Gaza fin avril 2024, quelques jours avant la fermeture définitive du passage de Rafah vers l’Égypte. Après huit mois passés au Caire, son père – musicien réputé de l’enclave palestinienne – est sélectionné par le programme Pause. Ce dispositif parrainé par les autorités françaises vient notamment en aide aux artistes en danger. Toute la famille obtient alors un visa pour la France.

L’éducation comme priorité

Accueillie par l’association franco-palestinienne Al Kamandjati, Reema débarque à Paris le 9 janvier 2025 et s’installe dans une petite ville près d’Angers. Quelques jours plus tard, la Gazaouie entre en classe de 5e au collège, sans parler un mot de français. « Il y a des matières difficiles à comprendre, comme l’histoire, parce que tout est écrit. Mais les mathématiques et l’anglais, c’est plus facile », raconte pudiquement la jeune élève.

J’ai toujours été une bonne élève, aujourd’hui je fais tout pour l’être encore ! 

Reema

Chaque semaine, Reema suit huit heures de cours intensif de français au sein de son établissement scolaire. « J’ai toujours été une bonne élève, aujourd’hui je fais tout pour l’être encore ! » Au total, Al Kamandjati a pris en charge treize enfants gazaouis ces derniers mois. « C’est monumental pour eux comme investissement, reconnaît Chantal Heulin, l’une des bénévoles qui s’est occupée spécifiquement des plus jeunes, mais je suis absolument stupéfaite par leur détermination. C’est incroyable. »

Enfants Gaza France
Reema dans sa chambre avec son qanoun, à Saint-Barthélemy-d’Anjou, le 25 mai. (Photo : Alexandre Rito.)

Ahmed, 11 ans, est sorti de la bande de Gaza il y a un peu plus d’un mois. Lui aussi est très vite retourné à l’école : « Je connais déjà quelques mots,sourit le petit garçon. Bonjour ; ça va ; enchanté ; s’il vous plaît ; au revoir ; à bientôt. » Très fier, il compte jusqu’à dix dans un français presque parfait. En peu de temps, il a beaucoup progressé, aidé par deux élèves dont les parents sont d’origine marocaine et algérienne. Leurs dialectes sont différents mais ils l’aident à comprendre ce qui se dit autour de lui.

« Cela n’a pas été évident au départ bien sûr, mais ce sont des enfants tellement curieux », souligne, ému, Xavier Provost, le ­principal-adjoint du collège Jean-Mermoz d’Angers, où sont scolarisés quatre adolescents gazaouis. « Les deux parents sont présents à chaque rendez-vous, et je vous assure que ce n’est pas souvent le cas. J’ai rarement vu des familles poser autant de questions », ajoute Thierry Walme, le principal de l’établissement.

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Plongés dans cette nouvelle vie en France, Ahmed et les autres enfants de Gaza ont dû s’habituer à des paysages aussi accueillants qu’étranges. Tous sont nés dans l’enclave palestinienne. Ils ont grandi dans une prison à ciel ouvert, entourés de cet immense mur de séparation bâti par Israël. « Il y a beaucoup de verdure et des arbres si hauts. Chez nous [à Gaza, N.D.L.R.], ils ont été arrachés à la terre et les routes sont détruites, décrit Leila, 16 ans, la sœur aînée d’Ahmed. À Gaza, c’est très différent, tu ne peux pas faire plusieurs mètres sans tomber sur un rond-point, sur un carrefour. Il y a des immeubles partout. Nos déplacements étaient réduits par l’occupation israélienne, sous laquelle nous avons toujours vécu. »

Respirer enfin

Leila, son frère Ahmed et sa sœur Maryam sont arrivés à l’aéroport d’Orly le 25 avril dernier pour rejoindre leur père. Mohamed était au Caire le 7 octobre 2023. Bloqué à la frontière égyptienne, il n’a jamais pu rejoindre les siens. Ses enfants ont vécu la guerre sans lui. « Plusieurs fois, ils m’ont dit qu’on n’allait jamais se revoir, qu’ils allaient mourir sous les bombes », se souvient Mohamed. Guitariste professionnel, il a réussi à obtenir un visa pour la France en janvier 2025. Le reste de sa famille a bénéficié d’une des rares opérations d’évacuation organisées par la France.

Ici, en France, je me sens enfin mieux, parce que là-bas la guerre détruit notre avenir.

Ahmed

Dans son nouveau salon, Maryam, 14 ans, sourit : « Je n’arrive pas à réaliser qu’on est là », explique l’adolescente d’une voix légère, celle du soulagement. Le souvenir de la guerre n’est pas loin, comme un poison qui ronge doucement les âmes et les corps. « Parfois, je fais des cauchemars à cause de Gaza et je me réveille terrifiée. Je ne veux plus rêver de tout ça. » La jeune Palestinienne espère devenir peintre. « Le dessin, c’est pour faire sortir ce qu’elle a en elle », souffle son père. Ses carnets sont restés là-bas. L’armée israélienne a interdit à la famille de sortir avec le moindre sac, même le plus petit.

Comme une ultime humiliation pour les priver à jamais de leurs souvenirs, de leur passé. « J’ai pu seulement prendre mon smartphone et les vêtements que je portais », raconte Maryam. La jeune fille a photographié ses premiers dessins, dont une Mona Lisa approximative mais intacte. « Plus une Mona qu’une Mona Lisa, glisse-t-elle dans un éclat de rire J’ai tout perdu. Mes amies me manquent, les pique-niques également sur la plage de Gaza. Ce qu’il me reste est là-dedans maintenant », ajoute-t-elle en tenant fermement son téléphone. Elle pose sa main sur son cœur et soupire : « Ici aussi. »

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Assis à côté, Ahmed, le petit dernier, n’est pas très bavard. À voix basse il finit par lâcher : « Ici, en France, je me sens enfin mieux, parce que là-bas la guerre détruit notre avenir. » Son visage est figé, ses grands yeux clairs vous transpercent. Il écoute ses sœurs attentivement, sans intervenir. Comme s’il se cachait derrière leurs mots. Comme s’il n’avait pas encore trouvé les siens. Pendant un an et demi, au cœur des massacres quotidiens et d’une épuration ethnique, il était plus qu’un enfant. C’est lui qui avait la lourde responsabilité de trouver de quoi nourrir ses sœurs et sa mère. « Je devais monter les huit étages de notre immeuble avec des vivres et du bois. Le bidon d’eau pesait 20 litres, il était trop lourd pour moi. »

Des blessures invisibles

L’association Al Kamandjati a fait appel à deux psychologues pour prendre en charge le traumatisme des enfants qu’elle accueille. Des fêlures qui menacent de se réveiller à chaque instant. La peur n’a pas quitté la fille de Safa, arrivée en France au début de l’année. La petite Gazaouie a seulement 8 ans. Elle multiplie les crises d’angoisse, dont deux très inquiétantes. « Un soir dans le salon, soudainement, elle est venue me voir pour me dire qu’elle se sentait bizarre, qu’il y avait quelque chose dans son corps qui l’envahissait. Elle s’est mise à marcher dans tous les sens, raconte Safa en se tordant les doigts. Avec son père, on ne savait pas quoi faire. »

Offrir à notre enfant une vie dans laquelle elle peut rêver d’un avenir.

Safa

Et puis l’école a contacté en urgence les parents pour une autre crise, en pleine classe cette fois. La petite fille a dû être transportée à l’hôpital. Quelques jours après cet épisode, ses parents ont déposé une demande d’asile en France. Dans son premier récit adressé à l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), Safa a écrit : « Nous ne cherchons pas ici un refuge temporaire, mais un foyer permanent pour offrir à notre enfant une vie dans laquelle elle peut rêver d’un avenir, ne plus penser à la mort et à la manière dont elle viendra. »

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Société Monde
Publié dans le dossier
À Gaza, l'enfance assassinée
Temps de lecture : 8 minutes

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