Aux États-Unis, la communication en mode éléphant de Trump
Depuis son retour à la Maison Blanche en janvier, Donald Trump a imposé une stratégie offensive. Décrets à la chaîne, publications provocatrices, contournement des médias traditionnels : au cœur de cette logique, une volonté de contrôler le récit médiatique, quitte à piétiner l’indépendance de la presse.
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© Thomas Hengge / NurPhoto / AFP
Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche il y a cent cinquante jours a été fracassant, et surtout destructeur pour les migrant·es, l’aide internationale, la recherche, l’éducation, les relations commerciales ou encore les femmes et les personnes LGBT+. Un esprit de destruction qui a grandement inspiré la nouvelle équipe de la Maison Blanche, laquelle a établi une stratégie de communication en totale rupture avec celle des précédentes administrations états-uniennes – y compris la première présidence de Trump.
Le retour du milliardaire au pouvoir a été marqué par le nombre considérable de décrets (Executive Orders) signés par le nouveau président : avec 143 les cent premiers jours, selon le décompte de l’American Presidency Project, il écrase le chiffre de son premier mandat sur la même période – 33 décrets – et bat même le record jusqu’ici détenu par Franklin D. Roosevelt avec ses 93 décrets.
4 000 posts en quatre mois
Cette quantité de décisions a suscité l’utilisation massive des réseaux sociaux par l’équipe de communication de Donald Trump : en seulement quatre mois, plus de 4 000 posts ont été publiés sur le compte X de la Maison Blanche. À ce rythme, il comptabilisera 48 000 publications d’ici à 2028, soit deux fois plus que lors du premier mandat Trump et près de cinq fois plus que sous Biden.
Les posts de la première présidence de Trump – archivés sous le nom @WhiteHouse45 – étaient par ailleurs « plus calmes et avec plus de limites dans le contenu », selon Frank Sesno, spécialiste de la politique américaine et ancien chef du bureau de Washington de la chaîne d’information CNN. Une analyse que partage le Guardian : « Il y avait des extraits de médias favorables et des photos flatteuses du président. En revanche, il n’y avait aucun des mèmes agressifs qui caractérisent le nouveau fil d’actualité. »
L’objectif est de dominer l’espace médiatique pour imposer l’agenda et utiliser les plateformes comme une véritable tribune d’intimidation.
F. Sesno
À titre d’exemple, le 14 février, le compte officiel @WhiteHouse postait une carte de Saint-Valentin avec la tête de Donald Trump accompagnée d’un texte : « Les roses sont rouges, les violettes sont bleues, venez ici illégalement et nous vous expulserons. » Quatre jours plus tard, c’était une vidéo ASMR (un type de contenu provoquant le bien-être par des sons apaisants) qui était publiée, mettant en scène les bruits de menottes et de chaînes portées par des migrant·es expulsé·es du pays.
« L’objectif est de dominer l’espace médiatique pour imposer l’agenda et utiliser les plateformes comme une véritable tribune d’intimidation », analyse Frank Sesno. Pour lui, cette stratégie a pour but de « submerger les autres acteurs dans le paysage médiatique », car « les gens se retrouvent à devoir déterminer ce qui est sérieux et ce qui ne l’est pas ». Derrière ces milliers de publications sur les réseaux sociaux de la Maison Blanche, on trouve une équipe « composée d’une douzaine d’employés majoritairement âgés de 20 à 30 ans et extérieurs au monde politique », selon le Washington Post.
Une com centrée sur l’attaque
Cette communication ne s’arrête pas au seul compte de la Maison Blanche, car Donald Trump publie également énormément sur le réseau social qu’il a lui-même fondé, Truth Social, après avoir été banni de Twitter (devenu X). Il republie des liens vers des articles vantant sa politique, des posts de la Maison Blanche, mais se permet aussi des commentaires polémiques : les derniers en date concernent Elon Musk, qu’il a qualifié de « fou », alors que leur rupture se manifeste par « tweets » et « truths » interposés.
Donald Trump est essentiellement son propre porte-parole, avec un langage très direct. Il parle presque comme un ado.
M-C. Bonzom
« Donald Trump est essentiellement son propre porte-parole, avec un langage très direct. Il parle presque comme un ado et emploie parfois l’insulte », explique la politologue Marie-Christine Bonzom. De manière générale, c’est par l’offensive que se définit cette nouvelle stratégie : « La communication de Trump est désormais davantage centrée sur l’attaque que sur l’information, avec des posts visant personnellement des personnes ou interpellant directement des entreprises », détaille Frank Sesno.
Dernier exemple parlant : les critiques visant le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, que Trump a qualifié de « grossièrement incompétent », alors que des manifestations contre la politique anti-immigration du président ont lieu à Los Angeles. Donald Trump y a envoyé la Garde nationale et a publié sur Truth Social une consigne pour les forces de l’ordre : « ARRÊTEZ LES GENS AVEC DES MASQUES, MAINTENANT ! »
Donald Trump en pape et en jedi
L’objectif de la nouvelle stratégie de la Maison Blanche est de « toucher tous les publics, notamment les plus jeunes », explique Frank Sesno. Pour atteindre cet électorat, la Maison Blanche s’efforce d’adopter des codes « plus jeunes », en utilisant notamment l’intelligence artificielle pour générer des images – encore une fois polémiques – de Donald Trump en pape, en jedi ou même en roi.
D’un autre côté, le Républicain est depuis des années un habitué des médias « alternatifs ». « Il essaye d’atteindre les électeurs qui suivent des influenceurs ou des podcasteurs », explique Spiro Kiousis, professeur de relations publiques. Des influenceur·euses pro-MAGA (pour « Make America Great Again », slogan de la campagne de Trump) ont même été reçu·es début mai dans la salle de presse de la Maison Blanche par sa porte-parole Karoline Leavitt.
Sur les vingt-cinq personnalités identifiées par NBC News, « toutes sauf une ont un historique de soutien explicite à l’administration du président Donald Trump », indique la chaîne américaine. Une proximité dont elles ne se cachent pas, comme lors de cette première conférence de presse spéciale durant laquelle Arynne Wexler – 294 000 abonnés sur Instagram – a remercié l’administration Trump : « Je peux témoigner des expulsions en Floride : mes chauffeurs Uber parlent enfin à nouveau anglais, alors merci pour ça. »
Pour Spiro Kiousis, cette idée de « contourner les médias traditionnels » est née de la confrontation entre ces médias et Donald Trump, qui n’est pas nouvelle. « Les relations entre la Maison Blanche et les médias sont toujours confrontationnelles, explique Marie-Christine Bonzom. La différence avec Trump, c’est qu’il exerce ce bras de fer en public. »
Miner le journalisme
En février, l’interdiction d’accès au Bureau ovale et à Air Force One aux journalistes d’Associated Press (AP) a été décrétée en raison du refus de l’agence d’utiliser le terme « golfe d’Amérique » pour désigner le golfe du Mexique. Une décision autorisée par une cour d’appel fédérale, balayant un premier jugement sommant l’administration de rétablir l’accès aux journalistes d’AP.
À la même période, la porte-parole de l’administration, Karoline Leavitt, annonçait des changements dans les règles d’accès des médias à la Maison Blanche, afin d’ouvrir le « pool » (le groupe de journalistes assistant aux conférences de presse) aux « nouveaux médias ». Une décision qui « laisse entendre que le gouvernement choisira les journalistes qui suivent le président », selon la White House Correspondents Association (WHCA). L’association, qui gérait jusqu’ici les accès, s’est indignée de l’« atteinte à l’indépendance de la presse libre aux États-Unis ». En réponse, un conseiller de Donald Trump a posté sur X : « RIP WHCA. »
Depuis qu’il est en politique, Trump cherche à miner le journalisme dans son ensemble.
S. Kiousis
Ces attaques contre le journalisme s’inscrivent dans une stratégie pour décrédibiliser le métier : « Depuis qu’il est en politique, il cherche à miner le journalisme dans son ensemble », déplore Spiro Kiousis. Marie-Christine Bonzom ajoute : « Donald Trump sait que les médias américains traversent une crise historique de confiance auprès du peuple américain : il joue sur du velours en s’en prenant aux médias, il pense que ça lui réussit. »
L’attaque de la presse par le président des États-Unis constitue en fait une véritable attaque contre la démocratie. Par tous les moyens, le Républicain veut contrôler ce qui se dit dans les médias. En d’autres termes, contrôler la vérité.
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