10 000 départs en vacances : l’objectif fou du bassin minier
Dans le Pas-de-Calais, plus de 10 000 personnes pourront s’évader cet été, parfois pour la première fois. Grâce à l’engagement de plusieurs associations et d’élus locaux qui n’ont pas oublié que le droit aux congés était inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme.
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© Élise Leclercq
Les abords du stade Bollaert sont pleins. Pourtant, ce samedi 28 juin n’est pas un jour de match. Près de 7 000 personnes ont envahi l’espace mythique du RC Lens. Le lieu a été prêté pour accueillir la Fête des vacances, réunissant l’ensemble des partenaires de l’opération « 10 000 départs, ne rêvez plus, partez ! ». L’initiative semble unique en France et rassemble 28 communes de l’agglomération de Lens-Liévin.
Une cinquantaine de stands sont déployés, qui proposent autant d’animations estivales. Lancer de tongs, châteaux gonflables, ateliers de création de marque-pages : les enfants ne peuvent pas s’ennuyer. Une scène DJ ainsi que des groupes de danse ponctuent l’après-midi sous le soleil nordique, avec bien sûr, le passage obligé de la chanson de Pierre Bachelet « Les Corons ».
Les enfants sont trop contents. C’est rare que l’on parte en vacances.
Aurore
La plupart des familles ne sont pas venues simplement profiter des activités proposées. C’est aussi le moment pour elles de récupérer leur chèque vacances au stand de leur commune. Grâce à cette aide, Aurore, son mari et ses cinq enfants pourront aller voir la mer. « Les enfants sont trop contents. C’est rare que l’on parte en vacances », sourit la mère. La famille lensoise a découvert l’année dernière l’opération qui lui permet de « changer d’air ». Une expression largement reprise par les personnes présentes ce jour-là. Car, comme le rappelle l’association, 40 % de la population française ne part pas chaque année.
Trois possibilités de séjour sont mises en place : le grand séjour commun, qui réunira près de 1 200 personnes sur les côtes normandes et des Hauts-de-France, les départs individuels permis par les chèques vacances pour 8 000 bénéficiaires, et des offres d’hébergement avec 213 logements proposés par la Fondation Je pars, tu pars, il part.
Tous ces départs sont possibles grâce à une multiplicité d’acteurs et un tissu très dense de personnes engagées dans le projet. L’opération est accompagnée par l’association Vacances ouvertes, mais aussi par le Secours populaire, Solidarité laïque et Enjeu 62, et soutenue par 24 partenaires publics, privés et associatifs. Des départs qui permettent en effet de changer d’air, mais aussi de recréer des liens familiaux.
« On ne peut pas passer notre temps à dire que les familles ne se parlent plus, que les parents sont démissionnaires, et finalement offrir comme seul loisir à nos enfants de partir tout seuls en colo. Les gens n’ont même pas les moyens d’assumer cette éducation », explique Jean Létoquart, maire communiste d’Avion.
Notre République est basée sur le bonheur de tous et pour tous. Et nous avons oublié grandement cette partie.
M. Pili
Et pas forcément besoin de partir loin pour se ressourcer. Laetitia, jeune mère de famille, partira avec ses cinq enfants sur la côte près de Dunkerque. D’habitude, les enfants allaient plutôt au centre de loisirs mais, cette fois, « ils vont voir la mer et découvrir autre chose ». Alors que les plus petits s’exercent au tir à l’arc, leur maman explique que chaque sortie doit être réfléchie : « Avec les enfants, ça revient tout de suite 70 euros pour une après-midi. »
« On ne pensait pas pouvoir bénéficier d’une aide »
« Il y a une vraie adhésion populaire, sourit le directeur général de Vacances ouvertes, Marc Pili, qui s’amuse ce jour-là à porter une énorme bouée canard. Notre République est basée sur le bonheur de tous et pour tous. Et nous avons oublié grandement cette partie. » Oublié le bonheur et les vacances. Oublié aussi les personnes, comme Audrey et ses deux enfants, Océane et Evan. « On ne pensait pas pouvoir bénéficier d’une aide. À force, on ne demande même plus », explique la mère de famille. Son mari travaille dans un commerce, elle est sans emploi. « On ne gagne pas des fortunes, mais ça va. »
65 % des bénéficiaires travaillent ou sont retraités. C’est la particularité de ce projet, selon Jean Létoquart : « Ce dispositif permet de faire partir des gens qui ne sont pas d’habitude éligibles aux aides, des travailleurs, des smicards. Ça permet vraiment d’élargir la base de ceux qu’on arrive à aider. » Un point primordial, « surtout par les temps qui courent où on stigmatise beaucoup [les précaires] », ajoute-t-il. Chaque année, 64 % des foyers monoparentaux – qui subissent de plein fouet la crise économique – restent à la maison pendant la période des congés.
« Depuis la séparation avec leur papa, je n’étais pas partie avec mes filles. En tant que maman solo, ça n’était pas possible, confie Perrine, accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH). Sans cette aide on n’aurait pas pu partir. » Une joie pour Margot, la plus petite, âgée de 8 ans, qui, sourire timide aux lèvres, s’imagine déjà sur la plage de Fort-Mahon (Somme).
Prendre soin de nous, on ne le fait pas souvent.
Frédéric
Concernant les départs individuels, l’opération propose une aide à la planification des vacances. « Quand on n’est jamais parti en vacances, ce n’est pas facile de se dire au mois de décembre : “Qu’est-ce que je fais dans six mois ? Comment je me projette ? Où je réserve ? Comment je vais là-bas ?” », poursuit le maire. Le droit aux vacances est pourtant inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui proclame que « toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée de travail et à des congés payés périodiques ». Mais « cela ne suffit pas pour que les gens réussissent à se l’approprier, explique l’édile. On est vraiment dans l’éducation aux vacances. »
Au-delà du droit, il y a aussi un réel besoin de partir. Frédéric est technicien chauffagiste, sa femme est en invalidité et ils ne pouvaient pas se permettre de s’évader chaque année. « Je travaille beaucoup et c’est vrai que prendre soin de nous, on ne le fait pas souvent », confie Frédéric, maillot lensois sur le dos. Originaire de Rouvroy, le couple a prévu de partir en Loire-Atlantique.
Un geste politique
Les bénéfices des vacances ne sont plus à démontrer. Repos, bien sûr, mais aussi bienfaits sociaux et psychologiques. C’est un « outil d’autonomisation et d’inclusion sociale », écrit Laetitia Martinez, chargée de communication à Vacances ouvertes. Partir permet de se sentir « comme tout le monde », d’avoir des anecdotes à raconter à la rentrée. Les effets sont multiples : meilleure estime de soi, capacité à se projeter, renforcement des liens, etc.
« La priorité, pour les gens, c’est la santé, l’alimentation, etc., mais les vacances ne sont pas superflues. Ça fait partie d’un discours de droit, soutient Patrick Kanner, sénateur socialiste et président de l’association. C’est un geste politique. » D’autant plus que l’initiative est née dans un territoire ouvrier, celui du bassin minier. « Ici il y a une tradition de solidarité. C’est aussi une manière de montrer aux gens que c’est le côté du progrès. »
Le côté du progrès, en d’autres termes : la gauche. Jean-Marc Tellier a lancé ce projet jugé un peu fou par ses proches il y a quelques années. À l’époque, il est maire communiste d’Avion. Il est ensuite député, battu en 2024 par le RN. « L’idée est venue pendant la période du covid. Ce qui nous a motivés, c’est qu’on est dans une région où les vacances ne sont pas une priorité. Quand il y a des difficultés financières, ce sont les loisirs et la culture qui trinquent », affirme-t-il. Alors il commence par un objectif de 1 000 départs. Trois ans plus tard, on dépasse les 11 000 bénéficiaires.
S’il y a eu des progrès sociaux (…) c’est quand même bien pour libérer les gens.
J. Létoquart
Une victoire qu’il attribue à la mobilisation collective et à la « richesse de bénévoles ». « Maintenant que c’est enclenché, il faut pérenniser », conclut l’ancien élu. Il s’agit d’un véritable « projet de société » pour son successeur, Jean Létoquart. « On n’a quand même pas fait tout ça pour faire de la population soit de la chair à canon, soit de la chair à patron, sourit-il. S’il y a eu des progrès sociaux, si on a inventé des machines, c’est quand même bien pour libérer les gens et leur permettre de vivre autre chose. » Une belle initiative qu’ils espèrent toutes et tous voir reprise dans d’autres territoires, à la veille de l’année anniversaire des quatre-vingt-dix ans des congés payés.
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