« Le validisme, lui, ne prend jamais de vacances »
Marion a 41 ans, artiste graveuse, est engagée dans la lutte contre le validisme. En situation de handicap depuis une dizaine d’années, à la suite d’une césarienne, elle déplore à Politis le manque d’accès adaptés dans les structures de vacances, une barrière qui l’empêche d’obtenir un quelconque repos.

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« Le temps de vacances n’est pas considéré au même titre que les autres temps sociaux » 10 000 départs en vacances : l’objectif fou du bassin minier « Avant cette année-là, nous n’étions parties qu’une fois en vacances »C’était après 2020, la reconnaissance de mon handicap par la MDPH [Maison départementale pour les personnes handicapées, N.D.L.R.] était récente, nous étions en Bretagne. La chaleur nous invite à profiter de l’étang tout proche. La plage est aménagée, il y a des sanitaires, de quoi se restaurer, et même un parcours accessible aux fauteuils roulants tout autour de l’étang. Mais sur le parking, géré par la communauté d’agglomération, aucune place PMR [personne à mobilité réduite, N.D.L.R.].
Je les ai contactés, on m’a répondu de ne pas m’inquiéter, la réfection du parking était prévue, d’ici à deux ans tout serait en ordre. Nous sommes alors plus de 15 ans après la loi de 2005, on me répond que je dois attendre 2 ans pour que mes droits soient respectés. Je tombe de haut, je prends conscience que je ne suis plus une citoyenne avec les mêmes droits, je suis handicapée. Cette histoire finit bien, je répondrai qu’il ne me semble pas juste que les handicapés doivent attendre 2 ans pour voir leurs droits respectés, l’agglomération mettra en place 2 places PMR 15 jours après cet échange. Ce ne sera pas toujours aussi simple.
La charge mentale est énorme, il faut appeler systématiquement, pour vérifier, questionner, préciser, parfois négocier.
Il y a d’abord le lieu des vacances, prenez n’importe quelle plate-forme de réservation, cochez l’item « accessibilité » voyez le nombre de logements disponibles qui se réduit à peau de chagrin. J’ai un handicap dit « invisible », je marche, un peu, douloureusement, je peux m’accommoder d’une chambre avec une douche ou des toilettes pas aux normes. Mais quand ce n’est pas le cas, les utilisateur·ices de fauteuil n’ont pas accès aux chambres premier prix des hôtels.
La charge mentale est énorme, il faut appeler systématiquement, pour vérifier, questionner, préciser, parfois négocier. Nous préférons le camping, mais il faut expliquer, détailler et bien souvent ils prennent peur quand je parle handicap, la chaise roulante ne passe pas dans les douches. Pour moi, il n’y a pas de « chaise roulante ». La représentation du handicap reste très limitée dans l’imaginaire collectif, ce qui amène d’autres discriminations. Pas de spontanéité, tout doit être planifié, la SNCF exige de nous de réserver au moins 48 heures à l’avance, et d’arriver 30 minutes en avance.
Et je ne vous parle pas des transports urbains, l’inaccessibilité y règne. Nous y arrivons tout de même et nous voilà installés, détendus, prêts à profiter. Mais à chaque sortie, c’est la même histoire, il faut questionner, repérer, appréhender. Beaucoup d’établissements se revendiquent accessibles, mais il y a des marches pour aller aux toilettes, qui ne sont pas conformes. Ou bien il est impossible de circuler entre les tables.
« J’ai peur à chaque sortie de devoir me battre »
J’ai peur à chaque sortie de devoir me battre, de craquer, de finir en pleurs devant mes enfants, comme cet été à la cité de la mer à Cherbourg. La file était longue, impossible d’attendre debout aussi longtemps, je présente donc ma carte mobilité inclusion (CMI), mention « priorité » aux saisonniers pour pouvoir accéder à la visite. On me dit alors que je peux passer avec une seule personne. La personne handicapée est considérée comme une patiente avec son aidant. Pas comme un parent qui veut profiter d’une visite avec ses enfants.
Pourtant, quand je pousse la logique en disant que seul mon mari peut être considéré comme mon aidant, et que je leur laisse mes 3 enfants à surveiller, cela ne leur convient pas. J’ai dû me battre, attendre que quelqu’un descende des bureaux, pleurer et culpabiliser de transformer une journée en famille en « drama ». Je culpabilise, alors que je n’y suis pour rien, mais c’est ma famille et moi qui devons supporter le poids de la discrimination. Valide, je pouvais profiter d’une visite en famille, handicapée, cela m’est refusé.
Récemment, lors de la fête du millénaire à Caen, il était prévu une zone de dépose pour les PMR. Quand j’ai demandé ce qui était prévu pour moi handicapée indépendante avec des enfants, sans aidant qui me dépose : aucune réponse. Tout comme accéder au musée des Beaux-Arts : un parcours du combattant qui s’est soldé par une crise douloureuse, une immense fatigue et beaucoup de colère.
Le handicap reste un impensé dans la vie quotidienne et touristique.
Le handicap reste un impensé dans la vie quotidienne et touristique. Il y a les spectacles en plein air qui suppriment des places PMR, mais ne prévoient aucune alternative. Les musées, parcs d’attractions, etc. qui vendent leurs places en ligne, sauf pour les handicapés, nous pourrions frauder, disent-ils. L’absence de places PMR proches des entrées. Tout devient source de stress, d’appréhension, sans compter les réactions parfois négatives des autres visiteurs quand on passe devant eux, où quand ils nous voient sortir de la voiture sur nos deux jambes.
« 20 ans après la loi, rien n’est fait afin qu’elle soit respectée en France »
Certains parcs sont très accueillants, tout est prévu, même handicapée, on peut venir profiter en famille et entre amis qui peuvent couper la file avec vous. Et je me sens enfin légère, de pouvoir souffler, je me sens chanceuse alors que cela devrait être la norme. Je suis un être de droits, pas un objet de soins.
Quand je suis devenue malade, j’ai eu peur de la douleur, d’être un poids pour ma famille, un boulet pour mon mari, je n’avais pas réalisé que le plus difficile serait de vivre le validisme, qui lui ne prend jamais de vacances. Nous avons passé une semaine à Berlin. Pas de différence pour réserver au musée, pas de barrière dans le métro, le train, tout est accessible. Ils étaient même étonnés que je sorte ma carte CMI pour me justifier.
20 ans après la loi, rien n’est fait afin qu’elle soit respectée en France, pour que nous soyons enfin respectés en tant que citoyennes à part entière. Nous sommes discriminées, en toute impunité, et sans pause. À la charge mentale liée aux prises en charge médicales, s’ajoutent celles de la vie quotidienne et des loisirs. Nous avons besoin de souffler.
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