Le réalisateur David Moreau accusé de viol, une information judiciaire ouverte

La technicienne ayant porté plainte pour viol contre le cinéaste lors du tournage de King (2020) a appris, cinq ans plus tard, son classement sans suite, au terme d’une enquête lacunaire dont Politis révèle des éléments exclusifs. Après une nouvelle plainte avec constitution de partie civile, une information judiciaire vient d’être ouverte.

Hugo Boursier  • 10 juillet 2025 abonné·es
Le réalisateur David Moreau accusé de viol, une information judiciaire ouverte
© Vadym Kudriavtsev / Unsplash

Sète, samedi 12 septembre 2020. Le tournage de King, un long métrage de David Moreau, a repris depuis une semaine dans la ville portuaire. L’équipe des électro-machinistes a organisé une petite fête. « Le cadre est idyllique : des lampions sur la plage, de la musique », raconte une personne présente. Mathilde*, habilleuse, la trentaine profite de la soirée, mais a besoin à un moment de prendre l’air à cause de l’alcool. Avant de rejoindre l’hôtel, elle décide de passer par la plage pour se baigner. Elle quitte la fête.

*

Les prénoms suivis d’une astérisque ont été changés.

Quelques minutes plus tard, le cinéaste de 44 ans, auteur de 20 ans d’écart (2013), rejoint la trentenaire. Dans l’eau, « il a tenté de l’embrasser à plusieurs reprises mais a été repoussé à chaque fois », consigne le policier dans une plainte pour viol, déposée par la technicienne, et que Politis a pu consulter. En regagnant la plage, Mathilde tombe sur les rochers. Une chute violente qui lui vaut une blessure au crâne. En plus de vertiges, elle saigne « abondamment », précise-t-elle dans le PV.

Elle avait des bleus partout. Je comprends qu’il s’est passé quelque chose de grave. 

Carole

Mathilde veut vite rentrer à l’hôtel. À Politis, elle soutient que David Moreau « ne voulait pas appeler les pompiers ». « À force d’insister, il m’accompagne à l’hôtel et m’essuie le visage ». Une fois dans sa chambre, la costumière accuse le cinéaste de l’avoir « poussé [sic] sur son lit tout en ayant ses deux poignet [sic] maintenus », puis de l’avoir pénétrée, avant qu’elle ne parvienne à le « repousser » pour qu’il parte. David Moreau, sollicité via son avocate, n’a pas donné suite à notre demande d’interview.

Une poignée d’heures plus tard, le réveil est particulièrement difficile pour Mathilde. Il est midi, elle a perdu son téléphone et du sang séché colore son visage. Elle saisit son ordinateur pour écrire des messages à une technicienne avec qui elle travaille sur le tournage. Rendez-vous dans le hall. Carole* voit Mathilde dans un « état complètement second. Elle avait des bleus partout. Je comprends qu’il s’est passé quelque chose de grave », décrit-elle.

Les deux femmes sortent de l’hôtel et rejoignent des collègues sur le parking. Mathilde est en larmes. Elles décident ensemble de revenir sur la plage où l’habilleuse est tombée. Le petit groupe parvient à retrouver des habits parmi les taches de sang figé sur les rochers. Le téléphone est là. Un mail non lu figure dans la boîte de réception de Mathilde. Envoyé dimanche matin, à 10 h 33. L’objet : « News ». « Tu as retrouvé ton tel ? Tout va bien ? fais moi juste un petit signe. t’embrasse ». Il est signé David Moreau.

Sentiment d’impunité

Le dimanche se termine et Mathilde, qui n’a pas répondu au mail du cinéaste, tente de trouver un peu de repos. Elle n’est pas sûre de pouvoir travailler le lendemain. Lundi midi, elle décide finalement de quitter le tournage et de partir au Mans rejoindre son petit ami. C’est là qu’elle portera plainte le lendemain. Après cette date, elle pensait que l’enquête était lancée, s’imaginait que des techniciens étaient interrogés, et que toutes les preuves allaient être rassemblées.

Je n’ai pas été informée, ni de cette décision, ni des suites de l’enquête et ce depuis 2020. 

Mathilde

Elle est venue au poste de police munie d’un certificat médical, réalisé deux heures plus tôt. Sur le document, le médecin note qu’elle décrit avoir subi « une agression sexuelle avec pénétration, non consentie ». Mathilde présente des « ecchymoses multiples sur les deux jambes » et une « douleur spontanée sur les deux cuisses au niveau de l’entrejambe ». Pourtant après plusieurs années, la technicienne n’a aucune nouvelle de la procédure qu’elle a enclenchée.

Ce silence ne l’aide pas à avancer, bien au contraire. Elle décide d’arrêter son métier. Le plateau de cinéma lui « rappelle trop ce qu’il s’est passé ». Le réalisateur, lui, tourne MadS, puis Other, un long métrage à l’affiche cette semaine. Cette inertie s’arrête samedi 4 juillet, où elle apprend finalement que sa plainte… a été classée sans suite en avril 2024. « Je n’ai pas été informée, ni de cette décision, ni des suites de l’enquête et ce depuis 2020 », témoigne-t-elle à Politis.

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Entre temps, le mutisme des enquêteurs l’a poussée à déposer plainte, cette fois avec constitution de partie civile, au printemps 2024. Cette procédure vient de déboucher sur l’ouverture d’une information judiciaire, a appris Le Parisien auprès du tribunal de Montpellier, sans que Mathilde ne soit elle-même informée. Que révélera l’enquête du juge d’instruction ?

Contacté, le réalisateur n’a pas répondu à nos sollicitations. Son avocate tient à réaffirmer « qu’absolument aucune charge n’a été retenu contre son client », et que « l’enquête approfondie » des policiers a abouti au classement sans suite. Questionnée sur quoi reposait cette appréciation, l’avocate s’en est tenue au « secret de l’enquête ».

« Sans la moindre nouvelle de vos services »

De son côté, Me Arnaud, l’avocat de Mathilde, a de nombreuses réserves sur la manière dont l’enquête a été menée. Consultée par Politis, la boucle de mails avec le commissaire chargé des investigations relève plutôt du monologue. Entre le 21 juillet 2022, date du premier courriel de l’avocat, jusqu’au 6 mars 2023, quatre messages sont restés sans réponse.

Le policier m’a demandé si Mathilde était de nature à draguer les hommes.

Carole

Entre temps, Mathilde, comme le précise Me Arnaud, n’a « jamais été informée d’aucune manière, ni de l’identité des interlocuteurs en charge de son dossier, ni des avancées de l’enquête, ni d’une quelconque orientation judiciaire qui aurait été donnée à sa plainte ». Quelles ont été les premières investigations des policiers ? Ont-ils échangé avec des techniciens, des régisseurs, la production ? Impossible de le savoir, le dossier n’étant pas accessible par les deux parties.

Toutefois, d’après nos informations, une poignée de personnes seulement aurait été interrogées. Carole, présente le dimanche au lendemain de la soirée, a été questionnée. La seule du groupe. Elle reste particulièrement « déçue » des deux appels qu’elle reçoit, plusieurs mois après les faits. Elle se rappelle des questions posées par son interlocuteur : « Le policier m’a demandé si Mathilde était de nature à draguer les hommes, si elle s’habillait manière provocatrice, si elle avait bu, si elle s’était droguée, si c’était quelqu’un d’aguicheur. » Refusant dans un premier temps de répondre, le policier lui aurait soutenu qu’il s’agissait du « protocole ».

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À part elle, personne n’aurait été contacté par les enquêteurs, sauf la production qui aurait été appelée. Celle-ci n’a pas souhaité répondre à nos messages. Mathilde, elle, n’a jamais été appelée après sa plainte. Et ce, en quarante deux mois qui séparent la plainte de son classement sans suite. Une des raisons qui explique ce travail lacunaire ?

Elle est simple. Le policier chargé de l’enquête… a été placé en arrêt de travail. Le dossier a fini au placard. Sous une autre pile. Mathilde l’a su par le biais de son avocat en juillet 2022. Depuis cette date, les relances de son conseil n’ont donné que très peu de suite. Le commissaire, qui avait repris l’enquête lors de l’absence de son collègue, est parti à la retraite en janvier cette année.

« Comme un requin »

Retour à Sète. Quelques heures avant de partir du plateau, dans la matinée, Mathilde s’est entretenue avec le directeur de production. Elle lui a expliqué ce qu’il se serait passé. Au cours de la journée, les rumeurs fusent et la tension monte rapidement. Déjà pendant la soirée, certains avaient remarqué l’attitude « problématique » du réalisateur. Alors que de l’alcool et de la cocaïne circulaient, plusieurs personnes soutiennent avoir vu le réalisateur se rapprocher d’une régisseuse, visiblement éméchée.

« Elle avait une petite vingtaine d’années », estime une technicienne. « Il naviguait comme un requin, en mode prédateur, en recherche de quelqu’un qui puisse flatter son égo, de préférence une femme, et jeune. » Une technicienne et ses collègues ont gardé un œil sur lui, jusqu’à ce qu’une autre régisseuse décide « d’exfiltrer » la jeune femme, alors que « David Moreau continuait à tourner autour ». « Il fallait la protéger », ajoute-t-elle. Contactée, celle-ci n’a pas répondu à nos sollicitations.

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Dans le bureau de la production, l’ambiance est électrique. « C’était extrêmement tendu », décrit un témoin. À l’époque, il n’y avait pas de référent violences et harcèlement sexiste et sexuel. « Rien n’est formalisé », regrette un technicien. Le lendemain, le réalisateur s’entretient directement avec Carole. « Il m’ignorait complètement avant et là, il m’a dit qu’il n’avait rien fait de mal », observe-t-elle. 

Pendant quarante-huit heures, le tournage se poursuit malgré l’atmosphère pesante. En coulisses, plusieurs personnes de la régie critiquent le manque de réaction et de soutien envers Mathilde de la part de la production. Elles voudraient que le cinéaste se retire du film. L’idée d’une grève commence à naître – une initiative rarissime, surtout venant de régisseurs.

J’arrivais même pas à le regarder. Je subissais chacun de ses mots.

Les personnes chargées de la production ont des sueurs froides. Le budget du long métrage est important, Gérard Darmon est la tête d’affiche. Comment poursuivre le film sans son auteur ? Quelle marge de manœuvre légale ? La menace d’un arrêt du tournage remonte jusqu’à la productrice, qui descend de Paris pour Sète.

« Un discours pitoyable »

Une fois sur place, elle et les deux directeurs de production décident de réunir toute l’équipe, soit une cinquantaine de personnes. La scène a lieu sous le barnum d’une cantine improvisée. Parmi la dizaine de personnes contactées par Politis, ce moment reste gravé dans les mémoires. « Une grosse blague », « un moment extrêmement gênant », « un discours pitoyable »… Les qualificatifs diffèrent mais l’idée reste la même : le propos de David Moreau ne convainc pas.

« Il a le culot de prendre la parole devant tout le monde, de se décrire comme quelqu’un de doux », raconte Carole. « Il donnait l’impression de prendre ça à la rigolade », déplore Franck*, un régisseur. Le cinéaste aurait avancé une simple « différence d’appréciation », décrit une témoin, entre Mathilde et lui sur ce qu’il s’était passé à la fête et dans la chambre d’hôtel. « J’arrivais même pas à le regarder. Je subissais chacun de ses mots », souffle une technicienne.

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Pendant son discours, les régisseurs, munis de leur talkie-walkie, s’échangent quelques mots. Lorsque le directeur de production conclut, Franck prend la parole. « J’ai dit que s’ils ne prenaient pas une décision, on allait la prendre à leur place. On se met en grève », raconte-t-il. Tour après tour, ils posent leur talkie-walkie sur une table. Un silence s’installe.

Plusieurs témoins racontent que Gérard Darmon a tenu à faire applaudir le réalisateur.

Le soir de cette journée de mobilisation et les jours qui ont suivi, la productrice, accompagnée du directeur de production, ont mené des entretiens individuels avec une très grande majorité des équipes. Plusieurs personnes interrogées soulignent « l’écoute » de la productrice. Certaines d’entre elles réaffirment leur souhait de voir David Moreau mis à l’écart du tournage.

Le lundi qui suit, le cinéaste est écarté. Le chef opérateur le remplacera jusqu’à la fin du projet. Après la dernière prise, l’émotion gagne certains techniciens. Gérard Darmon prend la parole. Plusieurs témoins racontent que l’acteur, par ailleurs accusé par neuf femmes de violences sexistes et sexuelles, a tenu à faire applaudir le réalisateur.

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