La langue française n’est pas un patrimoine à préserver mais une richesse commune à développer
La francophonie ne peut rester figée dans une vision coloniale. La vice-présidente insoumise de l’Assemblée nationale, Nadège Abomangoli, et l’élu LFI du Val d’Oise, Aurélien Taché, plaident pour une langue vivante, créolisée, portée par l’Afrique qui rassemblera 70% des francophones en 2050.

© Mathias Reding / Unsplash
Friande de polémiques réactionnaires et de frayeurs à peu de frais, la droite conservatrice épie les moindres faits et gestes de la France insoumise pour chercher à y déceler les signes d’une organisation « anti-France » qu’elle fantasme à tout propos. Cette fois-ci la controverse se cristallise sur un colloque sur le thème de la francophonie organisé à l’Assemblée nationale et à l’occasion duquel Jean-Luc Mélenchon a rappelé un fait aujourd’hui indiscutable : « [La langue française] n’appartient plus aux Français ».
Notre vision de la francophonie repose sur une géopolitique des causes communes avec les autres peuples francophones.
En effet, la langue française est aujourd’hui parlée par plus de 350 millions de personnes à travers le monde, majoritairement en Afrique et en Europe. La langue française appartient donc bien à ces 350 millions de locuteurs, qui font vivre cette langue commune, l’enrichissent, la modifient et lui permettent d’être autre chose qu’un « patrimoine précieux » voué au rabougrissement identitaire d’une droite aux illusions décadentistes.
Multipliant les formules démagogiques, les responsables politiques du centre, de droite et d’extrême droite s’affolent d’un constat factuel que nous dressons : la langue française est multiple, elle appartient à tous ceux qui la parlent et elle évolue. Nous disons qu’elle se créolise. Cette créolisation n’est pas un projet que nous portons. Elle est un fait, et correspond à évolution naturelle qui résulte de la mise en contact des sociétés.
Bien entendu, le français, ou plutôt, les langues françaises, ne sont pas une langue créole au même titre que par exemple les créoles antillais, qui sont des langues avec une histoire bien particulière liée à l’esclavage. Toujours est-il qu’il existe aujourd’hui plusieurs français, plusieurs langues françaises, et aujourd’hui, une hiérarchie symbolique place le français parisien au sommet.
Remettre en question ces représentations constituent tout le sens de notre combat politique. Au fond, peu importe comment nous appelons l’espace francophone : créole, langue commune ou autrement, notre propos politique ne change pas. La francophonie peut et doit être un espace politique fondé sur un principe d’égalité entre les peuples et des projets concrets permettant un développement harmonieux entre locuteurs de la langue commune, entre francophones. Et cela nécessite de reconnaître la nature créolisée des langues françaises.
Notre vision de la francophonie repose sur une géopolitique des causes communes avec les autres peuples francophones. Le français n’est pas pour nous un héritage figé à préserver via des institutions en France, à Paris, comme l’Académie française, mais un levier de coopération autour de grands projets collectifs – scientifiques, maritimes, spatiaux – et de valeurs partagées : décolonialisme, anti-impérialisme et paix.
La francophonie doit incarner un monde plus juste, décentré, solidaire et non aligné.
Nous refusons une francophonie élitiste, réduite à des sommets diplomatiques stériles et à une image nostalgique d’une France coloniale idéalisée. Cette approche folklorique et néocoloniale ne mène nulle part.
Le discours officiel qui présente le français comme un “patrimoine précieux” masque l’absence d’ambition concrète et ignore les réalités du monde francophone. Pour qu’elle devienne un véritable espace politique, la francophonie doit rompre avec l’héritage colonial et reconnaître le rôle central de l’Afrique, où vivent et vivront la majorité des locuteurs. En 2050, 70 % des francophones seront africains, dont 90 % des jeunes.
La francophonie doit incarner un monde plus juste, décentré, solidaire et non aligné. Elle doit être un outil de coopération entre peuples partageant une langue vivante et créolisée, capable de porter une dynamique scientifique, artistique et industrielle en dehors des logiques néolibérales. C’est dans cet espace pluriel et décolonisé que nous voulons réinventer, en francophones, une langue porteuse d’avenir, de progrès et de liberté.
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