Loi Duplomb : une mobilisation citoyenne pleine d’espoir

Avec plus de 1,6 million de signatures, la pétition contre la loi Duplomb révèle une prise de conscience citoyenne sur les sujets de santé et une nouvelle preuve de défiance envers le monde politique.

Vanina Delmas  • 22 juillet 2025 abonné·es
Loi Duplomb : une mobilisation citoyenne pleine d’espoir
Un membre du syndicat agricole français Confédération Paysanne tient une pancarte sur laquelle on peut lire « La loi Duplomb nous fout le bourdon », alors que le ministre français de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire visite une ferme à Saint-Michel, dans le sud-ouest de la France, le 5 juin 2025.
© Valentine CHAPUIS / AFP

Après la colère, l’espoir. La pétition contre la loi Duplomb mise en ligne sur le site de l’Assemblée nationale a récolté plus de 1,6 million de signatures en quelques jours. Le 10 juillet, deux jours après l’adoption de la proposition de loi, une étudiante publie cette pétition intitulée « Non à la loi Duplomb – Pour la santé, la sécurité, l’intelligence collective » afin de demander son abrogation immédiate mais aussi « la révision démocratique des conditions dans lesquelles elle a été adoptée », et « la consultation citoyenne des acteurs de la santé, de l’agriculture, de l’écologie et du droit. » « Aujourd’hui je suis seule à écrire, mais non seule à le penser », conclut-elle.

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Une semaine plus tard, le seuil des 100 000 signatures était dépassé. Partagée sur plusieurs réseaux sociaux (LinkedIn, Facebook, Instagram) par des associations, des influenceurs et influenceuses spécialisé·es dans l’écologie et des célébrités, puis dans des boucles Whatsapp de famille ou de collègues, elle a atteint le million de signatures dimanche 20 juillet. « Cette pétition historique est le symptôme d’un raz-de-marée de la population devant les reculs répétés du gouvernement en matière d’environnement », déclare François Veillerette, porte-parole de Générations Futures.

Catalyseur des craintes et des colères

La loi dite Duplomb prévoit notamment l’assouplissement des critères d’évaluation environnementale des fermes usines et des ouvrages de type mégabassines, ainsi que la réintroduction de l’acétamipride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes, interdit en France depuis 2018 en raison de ses conséquences sur l’environnement et la santé.

Les risques sur la santé d’une telle loi ont été un catalyseur des craintes et des colères. Pour Franck Rinchet-Girollet, porte-parole de l’association Avenir Santé Environnement et père d’un enfant de 8 ans en rémission d’un cancer, « ces inquiétudes sont légitimes » : « Cette pétition montre que la société se lève face aux intérêts économiques, et qu’il n’est plus possible de décider de leur santé sans les citoyens. Cela cristallise la colère car c’est une pollution subie par toutes et tous, partout. Chez nous, dans la plaine d’Aunis, on a retrouvé des molécules de pesticides interdits depuis 20 ou 30 ans ! Je n’ai pas envie qu’on en rajoute. » Lors de l’appel national du 29 juin, plus de 1 000 personnes se sont rassemblées dans les rues de La Rochelle, où des clusters de cancers pédiatriques ont été identifiés ces dernières années.

Cette pétition montre que la société se lève face aux intérêts économiques.

F. Rinchet-Girollet

Le seuil des 500 000 signatures de la pétition étant atteint, la conférence des présidents de l’Assemblée nationale (la présidente de la chambre basse et les présidents de groupe et des commissions permanentes) devrait organiser un débat en septembre. La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, s’y est déclarée « favorable » tout en précisant que cela « ne pourra en aucun cas revenir sur la loi votée ».

Pour Lumir Lapray, activiste spécialiste du « community organizing », cette mobilisation citoyenne hors norme, qui a touché des cercles pas spécialement politisés, montre que « même quand on perd, on peut gagner ». « Ils ont gagné la bataille législative pour le moment mais ils sont en train de perdre la bataille du récit car tout le monde se rend compte que c’est un sujet de santé publique, qui nous concerne toutes et tous », a-t-elle détaillé dans une vidéo Instagram appelant à se mobiliser localement.

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L’autre volet mobilisateur touche au respect de la démocratie. Le parcours législatif de la proposition de proposition de loi censée régler les problèmes des agriculteurs a esquivé tout débat, en passant par une commission mixte paritaire. En effet, les défenseurs de la loi ont voté une motion de rejet préalable afin de ne pas répondre aux nombreux amendements déposés par la gauche.

Un recours a été déposé devant le conseil constitutionnel le 11 juillet, par les insoumis, les écologistes et les communistes. Un autre recours par le groupe Socialistes et apparentés le 15 juillet. Ils estiment que la loi est « contraire à plusieurs principes à valeur constitutionnelle puisqu’elle méconnaît notamment le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », qu’elle bafoue le principe de prévention, le principe de précaution, et « le devoir de toute personne de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». Le Conseil constitutionnel doit se prononcer d’ici au 10 août.

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Plusieurs espoirs

« Ce sursaut citoyen montre la défiance des citoyens envers ces politiques qui sont dans un déni démocratique, voire un délire démocratique, depuis un an. Cela tisse des colères, des liens et c’est important pour rappeler la capacité d’action des gens normaux. C’est une façon de dire que le peuple veut être entendu sur les sujets de santé car c’est l’affaire de toutes et de tous. Mais l’alimentation aussi donc il ne faut pas que le monde paysan soit laissé de côté dans cette bagarre », souligne Fanny Métrat, porte-parole de la Confédération paysanne.

L’agricultrice insiste sur l’incongruité de cette loi qui ne résout pas les problèmes du monde agricole et ne profite qu’à une minorité. « Ce mouvement contre la loi Duplomb n’est ni une opposition ville-campagne, ni citoyens-agriculteurs ! », répète-t-elle.

« Notre seul espoir serait que le président ne promulgue pas la loi ou demande un deuxième examen de la proposition de loi avec vote, mais on sait qu’il y a peu de chance. Dans tous les cas, cela ne résoudra pas la crise agricole. Il faut aussi une vraie politique d’accompagnement de l’agriculture vers la transition écologique », tranche Franck Rinchet-Girollet. Avec d’autres parents d’enfants malades et de personnes atteintes de cancer, il a lancé une autre pétition pour demander la sortie des pesticides de synthèse.

L’agricultrice insiste sur l’incongruité de cette loi qui ne résout pas les problèmes du monde agricole.

Le rôle d’Emmanuel Macron pourrait donc être déterminant. Trois professeurs de droit rappellent dans une tribune publiée dans Le Monde que le président de la République, avec l’accord du premier ministre, pourrait recourir à l’article 10, alinéa 2 de la Constitution afin de demander une nouvelle délibération au Parlement.

« Il s’agit d’une véritable forme de droit de veto suspensif permettant au chef de l’État de ne pas promulguer une loi et de la renvoyer au Parlement, pour que ce dernier l’examine à nouveau, en reprenant l’intégralité de la procédure législative », expliquent-ils. Jusqu’à quel point la pression citoyenne pourra-t-elle faire bouger les lignes ?

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La pétition de l’Affaire du siècle, initiée par quatre associations (Fondation pour la nature et l’homme, Greenpeace France, Notre affaire à tous et Oxfam France) en décembre 2018, avait obtenu 2,3 millions de signatures. Trois ans plus tard, l’État avait été reconnu coupable d’avoir commis une « faute » face à ses engagements non-tenus de réduction de gaz à effet de serre.

De quoi donner de la force au mouvement en cours. Autre espoir : le référendum d’initiative partagé. Celui-ci peut être déclenché si une proposition de loi référendaire est déposée par au moins un cinquième des membres du Parlement et avec le soutien de 10 % du corps électoral soit environ 4,8 millions de signatures.

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