Snipers franco-israéliens : « Ce qui est effarant, c’est qu’ils revendiquent leurs crimes de guerre à Gaza »
Deux soldats franco-israéliens sont visés par une plainte de plusieurs ONG, déposée ce 1er juillet à Paris, pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide commis à Gaza. Ils sont accusés d’avoir participé à des exécutions sommaires au sein d’une unité baptisée Ghost Unit.

© Maxime Sirvins
Ce mardi 1er juillet 2025, une coalition d’organisations de défense des droits humains engage une procédure judiciaire contre deux ressortissants franco-israéliens, accusés d’avoir commis des exécutions sommaires à Gaza, entre novembre 2023 et mars 2024.
La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), qui regroupe 188 organisations dans 116 pays, a déposé une plainte avec constitution de partie civile auprès du pôle « crimes contre l’humanité » du tribunal judiciaire de Paris. Elle est accompagnée dans cette démarche par la Ligue des droits de l’Homme (LDH), l’Association France Palestine Solidarité (AFPS), ainsi que par les ONG palestiniennes Al-Haq, Al Mezan et le Palestinian Centre for Human Rights (PCHR).
Deux noms apparaissent dans le dossier : Sasha A. et Gabriel B., snipers de nationalité franco-israélienne, membres d’une unité spéciale de l’armée israélienne. Selon les associations, les deux hommes sont impliqués dans des « atteintes volontaires à la vie constitutives de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide ». Le dossier repose notamment sur un reportage du journaliste palestinien Younis Tirawi et une série de témoignages recueillis par les ONG sur le terrain à Gaza.
La Ghost Unit, unité d’élite qui s’affiche et revendique ses actes
Au cœur de l’affaire : une unité militaire israélienne baptisée Ghost Unit. Cette unité de tireurs d’élite, rattachée à la 202e brigade de parachutistes de Tsahal, est mise en cause dans une campagne systématique d’exécutions de civils, documentée pendant plusieurs mois.
Dans un documentaire de 38 minutes diffusé fin 2024, Younis Tirawi dévoile l’identité, les visages et les nationalités des membres de cette unité. Une photo de groupe, tirée des réseaux sociaux, révèle que près de la moitié des soldats possèdent une double nationalité, notamment française, belge, allemande, italienne et américaine.
Tous les éléments constitutifs du crime sont là : c’est revendiqué, filmé, documenté.
A. Deswaef
Mais ce qui est particulièrement frappant, c’est l’aveu filmé d’un sergent de l’unité, affirmant face caméra des tirs, parfois à plus d’un kilomètre de distance, sur des personnes non armées, le tout avec l’aval de ses supérieurs. « Ce qui est effarant, c’est qu’il revendique ouvertement les crimes de guerre. Il précise même tirer à proximité des hôpitaux. Tous les éléments constitutifs du crime sont là : c’est revendiqué, filmé, documenté », s’indigne Alexis Deswaef, avocat et vice-président de la FIDH.
Des témoignages accablants de victimes de snipers
Les éléments du reportage sont corroborés par des témoignages recueillis par des ONG à Gaza. Dans un document consulté par nos soins, plusieurs témoins racontent comment des proches, enfants, femmes, blessés, ont été visés délibérément par des tireurs postés sur les toits autour des hôpitaux Al-Quds et Nasser. Un père raconte que sa fille de 17 ans a été tuée « d’une balle dans la tête » alors qu’elle rentrait à l’hôpital chercher de l’eau. Une autre famille rapporte que trois frères ont été tués dans la rue, tandis que leur mère, venue demander une ambulance, a elle aussi été blessée par balle.
En février 2024, de nombreuses vidéos attestent de tirs de snipers sur des personnes non armées aux alentours de l’hôpital Al-Quds. Des images d’un enfant mort au sol devant le portail, un médecin (les liens suivants contiennent des scènes explicites qui peuvent ne pas convenir à tous les publics) pris pour cible, un homme âgé rampant, en sang, en train de rentrer dans l’hôpital sous le bruit des tirs parmi de nombreuses autres scènes tout aussi choquantes.
Les témoignages, enregistrés par Al Mezan et d’autres ONG, pointent tous un même mode opératoire, dans les mêmes zones et périodes que celles ciblées par l’enquête. « Le recoupement de ces récits avec les faits documentés dans le reportage laisse penser que les soldats de la Ghost Unit pourraient être impliqués dans l’ensemble de ces crimes », explique Issam Younis, directeur d’Al Mezan.
Un objectif clair : briser l’impunité
Alors que la plainte cible deux individus précis, le dossier soulève une question bien plus vaste : celle du nombre et du rôle des Franco-Israéliens dans l’armée israélienne. Depuis le début des massacres, plusieurs centaines de citoyens binationaux, jusqu’à 4 000 ressortissants français, serviraient actuellement dans l’armée israélienne.
En décembre 2024, une plainte similaire avait déjà été déposée en France contre Yoel O., un sniper franco-israélien accusé de torture et d’exactions à l’encontre de prisonniers palestiniens. « À ce jour, aucune enquête n’a encore été ouverte », rappelle le communiqué de la FIDH. Ces procédures sont engagées pour rompre avec ce que les ONG dénoncent comme un cycle d’impunité judiciaire. « S’il peut le dire face caméra, c’est qu’il sait qu’il ne risque rien. Il y a un sentiment d’impunité totale. Nous pensons que seule une première décision judiciaire, en France, en Belgique ou ailleurs, pourra briser ce cycle », insiste Alexis Deswaef.
La plainte s’appuie sur le principe de compétence universelle prévu par le droit français. Comme le rappelle l’avocat, « en France, comme en Belgique, des ressortissants peuvent être poursuivis pour crimes de guerre ou contre l’humanité commis à l’étranger. Et ce, même en leur absence ».
Selon la FIDH, cette affaire présente une spécificité majeure : l’essentiel des éléments probants sont déjà disponibles au moment du dépôt de plainte. Entre les aveux filmés, les témoignages et les éléments de géolocalisation, les ONG estiment que la justice peut avancer rapidement. « D’ordinaire, dans ce type de dossier, il faut attendre des années pour obtenir des preuves. Ici, ce sont les auteurs eux-mêmes qui les apportent. La justice peut donc agir, y compris en l’absence des suspects. »
Pour une coordination judiciaire internationale
La plainte déposée ce mardi en France n’est que la première étape. Des procédures équivalentes seront engagées en Allemagne et en Italie, tandis qu’une enquête est déjà en cours en Belgique contre un membre de la Ghost Unit. En Colombie, la Hind Rajab Foundation a déjà déposé une plainte pénale contre un des deux hommes, Gabriel B., repéré sur son territoire.
Il n’y a pas d’exception israélienne. La boussole doit rester le droit international.
A. Deswaef
Les ONG appellent à une coordination européenne des enquêtes. « Il ne peut pas y avoir deux poids, deux mesures. Ce qui serait fait pour des binationaux russes partis se battre en Ukraine doit l’être pour des binationaux israéliens engagés dans des crimes à Gaza », souligne Deswaef. « Il n’y a pas d’exception israélienne. La boussole doit rester le droit international. »
Si les suspects restent en Israël, ils ne seront pas réellement inquiétés. Mais pour la FIDH, une condamnation ne serait pas seulement symbolique. « Ils ne pourraient plus sortir d’Israël sans risquer une arrestation immédiate dans un autre pays. Et un jour, même en Israël, un changement de pouvoir pourrait les rattraper. »
La plainte pourrait aussi ouvrir la voie à des enquêtes sur la chaîne de commandement, puisque les snipers affirment avoir agi sur ordre hiérarchique. Un organigramme militaire de la Ghost Unit serait en cours de reconstitution par les ONG, en vue de remonter vers les donneurs d’ordres. À ce jour, aucune juridiction n’a encore jamais condamné un binational israélien pour des crimes de guerre commis à Gaza. Ces plaintes espèrent en terminer avec ce silence.
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