Festival d’Avignon (in) : l’arabe dans tous ses éclats

Pour sa 79e édition, le Festival d’Avignon invite la langue arabe à travers une série de spectacles, dont la sélection aurait pu être plus politique et plus audacieuse.

Anaïs Heluin  • 8 juillet 2025 abonné·es
Festival d’Avignon (in) : l’arabe dans tous ses éclats
"Quand j’ai vu la mer" du chorégraphe Ali Chahrour.
© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Festival d’Avignon / du 5 au 26 juillet.

Pour la première fois depuis l’arrivée de Tiago Rodrigues à la tête du Festival d’Avignon, c’est une langue non européenne qui est mise à l’honneur en 2025. Pas n’importe laquelle, au vu de l’actualité : après l’anglais en 2023 et l’espagnol l’année suivante, c’est au tour de l’arabe d’être invité dans le grand rendez-vous des arts vivants. Lorsque ce choix de programmation est rendu public, le génocide perpétré par Israël à Gaza est en cours depuis longtemps déjà.

Naturellement, on relie la décision de l’équipe d’Avignon au drame palestinien. Dans un contexte général de silence médiatique et public sur le sujet, son traitement dans le cadre de cet événement artistique hautement symbolique semble aussi souhaitable que courageux. Le focus « langue arabe », qui représente 30 % de l’ensemble de l’édition 2025, manque hélas de cette nécessaire audace.

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Sur les douze propositions qui feront résonner la, ou plutôt les langues arabes – le pluriel aurait été de mise dans l’intitulé –, une seule est palestinienne : YES DADDY, de Bashar Murkus et Khulood Basel, cofondateurs du Théâtre Kashabi à Haïfa. Il faudra en outre attendre la toute fin du festival pour découvrir cette pièce, la troisième que les deux artistes viendront jouer à Avignon. La fidélité du Festival au travail d’une grande force esthétique et politique mené au sein de ce théâtre palestinien indépendant est bien entendu ­importante, et la recherche du binôme sur la notion de « colonisation du passé » à travers la fiction théâtrale est des plus prometteuses.

L’absence d’artistes palestiniens inconnus du public du Festival est regrettable.

L’absence d’artistes palestiniens inconnus du public du Festival est toutefois regrettable. Comme l’a par exemple prouvé le festival Les Rencontres à l’Échelle à Marseille, où nous avons découvert en juin deux spectacles du programme « langue arabe », des artistes gazaouis sont pourtant maintenant en France. S’il est certainement, pour nombre d’entre eux, trop tôt pour créer, leur parole constitue une alerte à écouter.

Résistance

Comme Bashar Murkus et Khulood Basel, la plupart des autres artistes conviés à faire entendre leur langue arabe entre les remparts avignonnais sont eux aussi déjà inscrits dans les réseaux internationaux. La découverte d’artistes singuliers, de façons de faire théâtre ou danse très éloignées des habitudes du spectateur occidental, est donc ici limitée. Ce qui, encore une fois, n’implique pas forcément une moindre qualité artistique, comme le prouve le chorégraphe libanais Ali Chahrour avec Quand j’ai vu la mer (photo), que nous avons pu voir aux Rencontres à l’Échelle.

Créé un mois plus tôt au Théâtre Al-Madina, à Beyrouth, ce rituel chorégraphique est un puissant geste de résistance à l’oppression. Interprété par les musiciens Lynn Adib et Abed Kobeissy ainsi que Zena Moussa, Tenei Ahmad et Rania Jamal, trois femmes victimes du système légal d’exploitation du « Kafala » en tant que travailleuses migrantes vivant au Liban, il fait du témoignage un sublime cri contre toutes les dominations.

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L’autre spectacle que nous avons pu voir à Marseille, Every-Body-Knows-What-Tomorrow-Brings-And-We-All-Know-What-Happened-Yesterday, est le fait d’un danseur beaucoup plus jeune en tant que chorégraphe : le Tunisien Mohamed Toukabri. Sans y réussir pleinement, notamment parce que les textes poético-didactiques dont il agrémente sa recherche physique ont tendance à en atténuer la force d’évocation, il tente ici, seul en scène, une analyse de sa propre danse en vue de la « décoloniser ».

Comme lui, la majorité des artistes du focus sont installés en Europe et y diffusent largement leur travail, ce qui a un impact sur les esthétiques qu’ils défendent. La présence d’artistes exilés depuis peu est plus rare. On aura toutefois la possibilité de rencontrer le Syrien Waël Kadour avec Chapitre quatre, petite forme créée pour l’occasion (1), et d’autres écritures syriennes de l’exil seront mises en lecture. La perspective de véritables déplacements se trouve a priori plutôt de ce côté.

Du 9 au 12 juillet dans le cadre de « Vive le Sujet ! », programme porté par la SACD et le Festival d’Avignon.

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Théâtre
Temps de lecture : 4 minutes