Gaza : l’effacement planifié d’un peuple
Depuis l’offensive terrestre déclenchée au lendemain de l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre 2023, Israël a lentement mais méthodiquement broyé le territoire palestinien.
dans l’hebdo N° 1877 Acheter ce numéro

© Bashar Taleb / AFP
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Insaf Rezagui : « La France pourrait être poursuivie pour complicité si elle continue de soutenir Israël » Gaza, lettre d’une plage assiégée L’exil massif des Israéliens Gaza : « C’est un devoir moral de refuser de servir un génocide en cours »La ville de Gaza, cœur démographique, n’est plus seulement un objectif militaire : elle est devenue un enjeu stratégique et symbolique. Sa prise signerait la fin d’un territoire palestinien unifié, marquant une étape cruciale dans une entreprise plus large de fragmentation géographique et politique. Car au-delà des combats visibles, une autre guerre se joue : celle de la cartographie. Gaza est divisée, isolée, compartimentée par des couloirs militaires, des zones inaccessibles, des « no-go zones » mortelles.
Cette dislocation vise à empêcher toute forme de continuité territoriale, rendant impossible un avenir viable pour les Palestiniens – et par là même la solution à deux États –, ce que nous rappelle Insaf Rezagui, spécialiste du droit international, dans le Face à de cette semaine.
Le siège de Gaza-ville n’est donc pas une fin en soi. C’est une étape dans une logique de dépossession durable, qui pourrait être suivie d’une annexion de fait de zones résiduelles. Rafah, au sud, pourrait devenir un non-lieu, une poche hors du temps, où des centaines de milliers de civils seraient contraints à vivre sans droits, sans statut, sans retour. Le risque n’est plus seulement celui d’une guerre : c’est celui d’un effacement planifié par le génocide en cours.
De son côté, l’ONU a récemment tranché : la famine sévit à Gaza. Ce mot, longtemps évité, est désormais officiellement employé. Selon les derniers rapports du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), des milliers d’enfants souffrent de malnutrition aiguë, tandis que les convois humanitaires restent bloqués aux frontières.
Selon une nouvelle analyse de l'IPC, plus d'un demi-million de personnes à Gaza sont prises au piège de la famine.
— ONU Info (@ONUinfo) August 22, 2025
La famine est confirmée lorsque trois seuils critiques – privation alimentaire extrême, malnutrition aiguë et décès liés à la famine – sont franchis. https://t.co/dAAR3jMSJW
Les bombardements, eux, ne connaissent aucun ralentissement. Dans cette dystopie à ciel ouvert, même les derniers espaces de respiration s’éteignent. Parmi eux : la mer. La plage de Gaza, longtemps considérée comme un lieu d’échappée, de jeu, de baignade et de liberté, est désormais inaccessible. Sous contrôle militaire, quadrillée, dangereuse, elle est à l’image de tout le territoire : cernée, interdite. Dans le dossier de cette semaine, nous revenons sur cette perte invisible mais fondamentale : la mer, dernier miroir de l’infini, qui s’est refermée comme une porte.
À cela s’ajoute la crise sanitaire sans précédent. L’hôpital Nasser, à Khan Younès, touché fin août, n’est pas un cas isolé. Plus de 36 hôpitaux et structures de soins ont été bombardés depuis le début de la guerre, selon l’Organisation mondiale de la santé. Le personnel soignant, exténué, travaille sans électricité, sans anesthésiant, sans eau potable. Des césariennes sont pratiquées à la lampe frontale. Des blessés sont opérés sans sédation. La médecine est devenue un acte de survie, parfois un simple accompagnement vers la mort.
Sur le front diplomatique, le contraste est saisissant. Tandis que les ONG tirent la sonnette d’alarme, que les institutions internationales accumulent les preuves de violations graves du droit humanitaire, la majorité des pays occidentaux continuent d’observer une prudente réserve.
Malgré le mandat d’arrêt qui vise Beyamin Netanyahou, les réactions restent timides
La Cour pénale internationale (CPI) avait pourtant franchi un cap historique en délivrant un mandat d’arrêt contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Une décision rare, et sans précédent pour un chef de gouvernement du bloc occidental.
Malgré cela, les réactions restent timides. La haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, Kaja Kallas, a de son côté bien confirmé que les États membres seraient légalement tenus d’arrêter Netanyahou s’il venait à fouler leur sol – mais dans les faits, aucun calendrier de sanctions, aucun gel d’avoirs, aucun rappel d’ambassadeur ne vient concrétiser cette reconnaissance. Le droit est dit, mais il demeure sans consistance.
Effacer les témoignages
Les médias ont un rôle central dans ce conflit. Pourtant, depuis des mois, une campagne systématique vise à museler les journalistes sur place. La frappe israélienne qui a visé le quatrième étage de l’hôpital Nasser, le 25 août dernier, a fait quinze morts, dont quatre journalistes – parmi eux, Mariam Dagga, photoreporter freelance pour l’Associated Press, tuée alors qu’elle dénonçait la famine et le désespoir des enfants à l’hôpital. Ce drame s’ajoute à un bilan déjà effroyable : plus de 200 journalistes palestiniens ont perdu la vie depuis le début du conflit, selon diverses sources.
Quelques semaines plus tôt, le 10 août, la frappe avait déjà fauché quatre journalistes d’Al-Jazeera – Anas al-Sharif, Mohammed Qreiqeh, Ibrahim Zaher et Mohammed Noufal – et deux indépendants – Moamen Aliwa et Mohammed al-Khaldi – tués dans une attaque sur une tente de presse près de l’hôpital Al-Shifa.
Un massacre qui avait provoqué une vague d’indignation internationale, de l’ONU aux chefs d’État européens, interrogeant la liberté de la presse, l’impunité et la protection même du droit humanitaire. Ces assassinats s’inscrivent dans une stratégie : celle de museler les témoins, effacer les récits, enterrer la vérité.
À l’intérieur même d’Israël, le consensus autour de la guerre s’effrite. Depuis plusieurs mois, des manifestations massives secouent Tel-Aviv, Haïfa et Jérusalem. Elles dénoncent non seulement la gestion militaire du conflit, mais plus encore les dérives autoritaires de Netanyahou, son alliance avec l’extrême droite ultrareligieuse, sa volonté d’annihiler la Cour suprême, et ses réformes judiciaires jugées liberticides.
Le dossier de cette semaine donne aussi la parole à ceux qui refusent de servir cette guerre. Les refuzniks, ces objecteurs de conscience israéliens qui rejettent leur enrôlement dans Tsahal, sont de plus en plus nombreux. Nous avons interrogé l’un d’eux.
Parallèlement, un phénomène peu médiatisé mais significatif prend de l’ampleur : de plus en plus d’Israéliens quittent le pays. Fuite économique, rejet idéologique, peur de la guerre ou perte de confiance dans l’avenir : les motivations sont diverses, mais la tendance est claire. L’hémorragie démographique, lente mais continue, marque un tournant. Vous trouverez dans ces pages un article qui revient sur ces départs, leurs causes et leurs conséquences.
Expansion sans limite
Au cœur de l’été, dans l’indifférence quasi générale, la Knesset a également voté une série de mesures facilitant l’expansion des colonies en Cisjordanie. Ce territoire, pourtant juridiquement distinct de Gaza, est lui aussi la cible d’une politique de grignotage méthodique. Selon plusieurs ONG israéliennes, comme B’Tselem ou Yesh Din, jamais les colons n’ont eu autant de liberté d’action – ni autant de protection militaire.
Là aussi, les violences se multiplient : expulsions de villages palestiniens, destructions de maisons, arrestations arbitraires, assassinats. Mais cette guerre-là, silencieuse, se joue loin des caméras. Elle est pourtant indissociable du reste : elle traduit la volonté d’annexion totale des territoires palestiniens, par la force ou par la loi. Malgré l’effroi, Gaza continue de résister.
Dans les ruines, des associations locales organisent des cours pour les enfants, des soins psychologiques, des distributions d’aide. Des artistes palestiniens lancent des appels internationaux, des écrivains et des poètes témoignent dans les journaux du monde entier.
La Palestine ne se réduit pas à une carte ou à un conflit. Elle est une cause humaine.
La créativité, l’espoir, la dignité s’expriment dans le chant, la peinture, la littérature, malgré la peur et la mort. Dans le reste du monde, une vague de solidarité s’est levée, bouleversant parfois l’opinion publique. Des manifestations géantes ont eu lieu dans les capitales européennes, américaines, latino-américaines et asiatiques.
Des intellectuels, des responsables politiques, des citoyens ordinaires demandent la fin immédiate du blocus de Gaza, la reconnaissance d’un État palestinien. Cette mobilisation globale est un rappel essentiel : la Palestine ne se réduit pas à une carte ou à un conflit. Elle est une cause humaine, une question morale, un appel à la justice. Cette guerre n’est pas seulement une affaire de missiles et de décomptes macabres. Elle est aussi faite de récits.
Ce que nous voyons, ce que nous choisissons de croire, ce que nous acceptons ou refusons d’entendre. Ce que nous laissons s’effacer. Et, surtout, ce que nous décidons d’accompagner, de dénoncer, de transformer. Face à la violence, le silence n’est pas une option. L’histoire jugera nos choix.
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