Après l’annonce du vote de confiance, la gauche au pied du mur
Avec sa déclaration surprise, le premier ministre déborde le 10 septembre autant que toute la classe politique. La gauche, enlisée dans le duel éternel entre insoumis et socialistes, tente d’imaginer l’offensive qu’elle pourra mener sur le terrain social comme politique.
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© Maxime Sirvins
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Après Bayrou, pas besoin d’un nouveau gouvernement mais d’une nouvelle République Pour se sauver, François Bayrou choisit sa chuteAssis sous le soleil drômois, manches de chemise retroussées, ce député insoumis tentait il y a quelques jours d’extirper ses pensées du temps très estival des universités d’été de son parti, à Châteauneuf-sur-Isère, pour imaginer l’avenir politique du pays. Quand la prochaine présidentielle aura-t-elle lieu ? Quand François Bayrou pourrait-il tomber ? Les municipales seront-elles vraiment les prochaines élections ? « Sous François Hollande, c’était assez simple. Il ne se passait rien, donc nos plans étaient faciles à prévoir. Mais en macronie, c’est différent. » Il aura suffi de trois jours à Hadrien Clouet pour avoir raison.
Après Emmanuel Macron qui avait provoqué la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin 2024, au soir du premier tour des européennes, François Bayrou a lui aussi balancé sa grenade dégoupillée en proposant au Parlement de voter une motion de confiance selon les bases de l’article 49.1, le 8 septembre prochain, engageant ainsi la responsabilité de son gouvernement. Une annonce qui prend de court tout le monde et lui permet de déborder le mouvement Bloquons tout.
À la suite des annonces budgétaires du locataire de Matignon le 15 juillet dernier, ce mouvement né sur les réseaux sociaux, d’abord assez nébuleux, a coché la date 10 septembre pour « bloquer tout le pays ». Depuis, il a été rallié par les partis de gauche de l’ancien Nouveau Front populaire (NFP) et plusieurs fédérations syndicales qui ont décidé d’appeler à la grève le 10 septembre. « Annoncer ce vote pour la veille du 10, c’est clairement une manière de dégonfler un mouvement social qui grossissait jour après jour », analyse Julien Troccaz, secrétaire fédéral de SUD-Rail qui appelle à « bloquer tout dans le ferroviaire le 10 septembre ».
Les premiers ministres tombent les uns après les autres. Donc le problème s’appelle Emmanuel Macron.
H. Clouet
La manœuvre du chef du gouvernement lui évite aussi de subir l’affront d’une censure des parlementaires avant ou pendant l’examen du budget. En clair, sortir par le haut d’une situation politique inextricable. Un proche de François Bayrou l’affirme : « Le premier ministre ne fait pas grand cas de son avenir politique. Il veut que la France s’en sorte. » Quelques minutes après son annonce, les réactions tombent. Le Rassemblement national (RN) et toute la gauche annoncent voter contre la confiance. En quelques minutes, le précaire contrat de François Bayrou à Matignon trouve une date d’expiration. Le 8 septembre.
Macron, seul en première ligne
Les cerveaux insoumis entrent en ébullition. Depuis des mois, les mélenchonistes attendent la chute de François Bayrou, ce premier ministre aussi « illégitime » que son prédécesseur, Michel Barnier. Alors qu’ils prévoyaient de déposer une motion de censure le 23 septembre, date initiale pour l’ouverture de la session extraordinaire, les voilà obligés de la ranger dans les cartons. Désormais, ils comptent déposer une motion de destitution. Objectif : cibler Emmanuel Macron.
« Le président n’arrive pas à nommer un premier ministre qui reste plus que quelques mois. Et il n’y arrive pas parce qu’il veut imposer sa politique, sa réforme des retraites, le gel et la baisse des prestations sociales et des salaires, la liquidation des services publics… Ce programme est minoritaire, les premiers ministres tombent les uns après les autres. Donc le problème s’appelle Emmanuel Macron », charge le député Hadrien Clouet. « Personne ne croit encore qu’Emmanuel Macron envisage de nommer une personnalité de gauche à Matignon, expliquait une membre de la direction de La France insoumise (LFI) il y a quelques jours. Si Bayrou tombe, c’est à Macron de partir. »
Plus que jamais, le chef de l’État risque en effet d’être seul en première ligne. Notamment le 10 septembre. Car si François Bayrou a cherché à court-circuiter ce mouvement social, rien n’indique aujourd’hui qu’il ne se passera rien le 10. Bien au contraire. « Plus que jamais il faut qu’on soit dans la rue le 10, c’est l’occasion que ce soient nos luttes sociales qui imposent un changement de politique », espère Julien Troccaz.
D’un mouvement contre l’austérité budgétaire annoncée, et notamment la suppression de deux jours fériés, le 10 septembre pourrait, en cas de départ de François Bayrou, se transformer en un mouvement offensif. « On a l’occasion de montrer que la politique n’appartient pas qu’aux partis politiques et ainsi de défendre le modèle de société que l’on souhaite », poursuit le secrétaire fédéral de SUD-Rail.
Dans une incertitude politique inédite, cette mobilisation pourrait donc avoir lieu sans qu’aucun gouvernement ne soit installé. Le peuple face à Emmanuel Macron, seul. Une sorte de retournement ironique pour le chef de l’État qui, tout au long de ses mandats, a tout fait pour installer cette relation populiste, dénigrant bon nombre de corps intermédiaires. De quoi prendre la balle au bond pour les confédérations syndicales ?
« Le mouvement syndical doit avoir une place importante dans ce mouvement social »
La CGT, par la voix de Sophie Binet, sa numéro 1, appelle à la mobilisation le 10 septembre, sans plus de précisions. À l’heure où nous écrivons ces lignes, une réunion visant à acter la position de la deuxième centrale syndicale du pays doit se tenir mardi dans l’après-midi. Et les huit organisations syndicales, toutes opposées au budget présenté par François Bayrou, avaient prévu de se réunir en intersyndicale le lundi 1er septembre pour discuter d’une éventuelle mobilisation commune. Après le coup de théâtre du locataire de Matignon, cette réunion a été avancée à la fin de cette semaine. « Le mouvement syndical doit avoir une place importante dans ce mouvement social », exhorte Julien Troccaz.
Le risque de dissolution est clairement posé sur la table.
M. Thomin
Concernant les socialistes, ils doivent passer la seconde. Ils prévoyaient de présenter leurs contre-propositions budgétaires le 9 septembre. Désormais, ils devront le faire lors de leurs universités d’été organisées à Blois (Loir-et-Cher) du 28 au 30 août ou quelques jours après. Peut-être devront-ils également presser les derniers ajustements de leur « plan dissolution » qui aurait dû être terminé début octobre. Depuis des semaines, les lieutenants socialistes examinent dans le secret la situation politique circonscription par circonscription et préparent d’éventuelles candidatures afin d’éviter de se faire surprendre de nouveau et de signer un accord électoral avec les insoumis à la hâte.
« On voulait montrer qu’on était prêts à toute éventualité, mais on ne change pas notre calendrier », assure Luc Broussy, président du conseil national du Parti socialiste (PS).Reste que la perspective hautement probable de la chute de François Bayrou pourrait conduire Emmanuel Macron à appuyer une nouvelle fois sur le bouton nucléaire de la dissolution. Depuis le 7 juillet, il peut activer l’article 12 de la Constitution. « Le risque de dissolution est clairement posé sur la table », assure la députée socialiste Mélanie Thomin.
Refaire bloc à gauche
Les chantres de l’unité veulent saisir ce moment d’incertitude pour relancer le Nouveau Front populaire (NFP). Dans la soirée du 25 août, les chefs à plume des formations qui composent le « Front populaire 2027 », c’est-à-dire le PS, les Écolos, Génération·s, Debout et l’Après, ont échangé pour se mettre d’accord sur quelques messages publiés dans un communiqué qui écrit noir sur blanc cette affirmation : « Nous sommes prêts ! » « La gauche doit faire bloc, assure la présidente du groupe écolo à l’Assemblée, Cyrielle Chatelain. C’est en bloc que nous nous sommes présentés, c’est unis que nous avons été élus. Il faut qu’on soit prêts et cela commence par défendre un budget solide. »
Du côté du Parti communiste français (PCF), qui n’a pas répondu à l’appel du 2 juillet lancé par Lucie Castets, aucun représentant n’a exprimé la ligne du parti pour les jours à venir. « Il y a eu des échanges avec les communistes », certifie un proche d’Olivier Faure. Quant aux insoumis, Jean-Luc Mélenchon et les siens n’envisagent pas de reprendre les longues discussions du NFP de l’été dernier.
Après l’annonce surprise, l’ancien patron de l’Unef et aujourd’hui député siégeant au sein du groupe écolo à l’Assemblée, Pouria Amirshahi (par ailleurs ancien directeur de Politis), a échangé avec les députés de son groupe, la patronne des Verts, Marine Tondelier, des socialistes et quelques insoumis. « Le “post-8 septembre”, il faut le préparer aujourd’hui », avance l’ex-frondeur socialiste. Construction d’un gouvernement crédible, écriture d’un programme…
Nous ne pouvons pas avoir le luxe de s’écorcher sur tout et tout le temps.
P. Amirshahi
« Les événements se rappellent à nous. L’accélération de la crise de régime par Bayrou et la possibilité d’une dissolution nous rappelle que nous ne pouvons pas avoir le luxe de s’écorcher sur tout et tout le temps, alerte Amirshahi. Les intelligences nombreuses au sein de LFI et du PS devraient d’abord considérer le risque sérieux que le RN réussisse son pari. Demain, l’accident est encore possible. On ne doit pas faire n’importe quoi. » La constitution d’un gouvernement réunissant toute la gauche ?
Impensable pour une grande majorité de socialistes qui ne se voient pas partager un conseil des ministres avec des insoumis. Inenvisageable pour les insoumis qui comparent les socialistes à des traîtres ayant négocié avec François Bayrou. « On souhaite la mise en œuvre du programme du NFP, on l’a toujours défendu et on est favorable, développe Hadrien Clouet. Mais le NFP, c’est avant tout un programme et pas des gens. Tout acteur politique qui défendra le NFP, on le soutiendra. Néanmoins, on s’est aussi rendu compte que certains défendent un programme en campagne et font le contraire quand ils sont élus. » La brèche n’est pas encore ouverte.
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