La dangereuse guerre de l’inaction climatique
L’écologie n’est pas qu’une affaire de sacs en papier kraft ou de papillons : elle devient l’objet d’une guerre d’une infime minorité de la population contre une écrasante majorité.

Depuis plusieurs années maintenant, la recrudescence décomplexée du climatoscepticisme a focalisé nombre d’indignations et de luttes écologistes. S’il est vrai que les déclarations caricaturales et bruyantes entendues çà et là sur les radios ou les chaînes d’info en continu permettent aisément d’occuper le terrain médiatique et politique, il n’en reste pas moins que nous nous sommes peut-être tous, militants ou scientifiques, jetés sur ces épouvantails en dépensant notre énergie à tenter d’endiguer la vague climatodénialiste et anti-écologiste.
Pourtant, les événements de ces derniers mois, particulièrement dans cette année 2025 décidément peu écocompatible, pointent plutôt un danger bien plus grand, car capable d’orienter les politiques sociales et économiques de façon beaucoup plus efficace que les diatribes d’un Pascal Praud. Tandis que le climatodénialisme faisait crouler l’actualité politique sous des punchlines mensongères et grotesques, la course de fond engagée par l’inaction climatique (ou, parfois, l’action climatique la moins efficiente possible) a progressé de manière dangereuse, voire criminelle.
C’est toute une élite française qui a décidé de rentrer en guerre contre l’écologie, mais surtout contre sa propre population.
Recul des ZFE pour des raisons faussement sociales, demi-victoire d’une loi Duplomb retoquée certes sur la réintroduction des pesticides néonicotinoïdes, mais toujours autant à l’aise sur l’agro-industrie, ou encore ridicules conseils pour l’adaptation aux canicules de l’été 2025 : c’est toute une élite française qui a décidé de rentrer en guerre contre l’écologie, mais surtout contre sa propre population – en particulier contre les plus vulnérables.
Cynisme
Car contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’économie industrielle et financière ne pense pas à long terme, et la course au profit s’imagine sur un temps beaucoup plus court, puisqu’il s’agit d’amasser le plus d’argent dans un temps suffisamment réduit. Alors que les études économistes sérieuses indiquent que le coût de l’inaction climatique est à long terme plus élevé que celui d’actions engagées à court et moyen terme, les intérêts financiers et industriels font des calculs nettement plus cyniques.
Hors de question de dépenser un kopeck dans la réduction de gaz à effet de serre ; il s’agit désormais de récupérer tout ce qu’on peut avant que le navire coule, tout en projetant, à long terme cette fois, la stabilité de ghettos (ou de bunkers) pour ultra-riches.
L’écologie n’est pas qu’une affaire de sacs en papier kraft ou de papillons : elle devient l’objet d’une guerre d’une infime minorité de la population contre une écrasante majorité. Hélas, comme je l’avais montré dans l’ouvrage Écoarchie, nous sommes tellement accros à notre rôle de citoyen-consommateur que, toutes classes confondues, nous peinons à organiser des mouvements politiques de fond pour lutter contre cette guerre de domination – et aussi, bien sûr, parce que le système s’organise pour que les plus vulnérables soient maintenus la tête sous l’eau.
À la fois agents de notre propre déchéance et victimes d’un système qui nous y encourage structurellement, nous nous retrouvons souvent démunis, à échelle individuelle ou collective – en ayant l’impression d’avoir simplement le droit de regarder la fin du monde advenir en mondiovision, avec retransmissions en direct pour plus de sensations. Mais la réalité est plus prosaïque : ce n’est le monde qui se termine, c’est une guerre qui est désormais ouvertement déclarée contre nous, par les puissances conservatrices qui, au-delà de l’opposition à l’écologie, déploient désormais toutes leurs forces pour faire dériver méthodiquement nos démocraties vers des marchés semi-autoritaires de vote politique.
Avant que les plus vulnérables ne croulent sous des politiques liberticides qui les visent directement (ce qui est hélas déjà le cas dans un nombre croissant de pays), que l’ensemble des classes travailleuses ne finisse par souffrir d’une économie si tendue que la hausse des prix les plonge dans un état d’hypervigilance financière, il est important de comprendre que la guerre de l’inaction climatique est une guerre de puissants contre tout ce qui est vivant et qui n’appartient pas à leur classe ou à leur cercle de priorités.
Cette guerre, désormais bien engagée à plusieurs niveaux, ne fait que démarrer et promet des conséquences hélas dramatiques, si nous ne politisons pas suffisamment nos conditions, nos situations quotidiennes et nos rapports sociaux pour les transformer en force politique. Une force politique qui n’aura pas d’autre choix que de s’engager dans cette guerre qui, de toute façon, lui est déjà déclarée.
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