À Paris, des mères réclament la protection de leurs enfants victimes de violences
Sur la place de la République, à Paris, ce mardi 9 septembre, un rassemblement initié par le Mouvement des mères en révolte exhorte les autorités et le ministre de la justice, à mettre en œuvre des mesures immédiates et concrètes pour les enfants victimes de violences et d’inceste.

© Kamélia Ouaïssa
Le calme apparent cache une colère sourde. Sur le parvis de la place de la République à Paris, une dizaine de peluches sont alignées au pied de la fontaine. À leurs côtés, des pancartes exposent l’indicible : l’inceste, les violences sexuelles et l’injustice vécue par des enfants. Sur l’une d’elles, on peut lire : « Eden, 8 ans et demi : papa a mis son zizi dans ma bouche ». Un peu plus loin, une femme, la voix brisée par l’émotion, scande : « On est là, soutien aux mères en révolte ! ».
La mobilisation est portée par le MRR, Mouvement des mères en révolte, un collectif fondé par Sophie Abida, mère de quatre enfants, aujourd’hui désenfantée* depuis le 16 février 2023, après avoir dénoncé des faits d’inceste et de violences sur ses enfants commis par son ex-conjoint.
Pour comprendre cette politique de mise en danger des enfants victimes d’inceste, voir ce dossier de notre journaliste, Pauline Migevant.
« Quand j’ai entrepris les démarches, la machine judiciaire s’est retournée contre moi », témoigne Sophie Abida, évoquant l’inversion des culpabilités : « Les victimes se retrouvent à la place du bourreau, et inversement. » Depuis deux ans, elle recueille des témoignages de mères partout en France et en Outre-mer, confrontées aux mêmes mécanismes. « Je voulais qu’on soit là, sur cette place, pour dire que je ne suis pas un cas isolé. Mon affaire, c’est l’arbre qui cache la forêt. »
C’est aussi ce qui a motivé le choix de la date, à la veille d’une mobilisation nationale : « Si nous avons choisi de nous mobiliser le 9 septembre, la veille du mouvement national du 10, c’est justement parce que nous savions que notre combat aurait été invisibilisé ; l’actualité politique prend le dessus sur le combat des mères et notre parole aurait été noyée. »
Une femme fend le rang, s’avance vers la présidente du mouvement, les larmes aux yeux. Elle la serre longuement dans ses bras. Il s’agit d’Amandine, mère de deux enfants, dont l’histoire résonne douloureusement avec celle des autres femmes présentes.
Lorsqu’elle était enceinte de neuf mois, elle raconte avoir été étranglée par le père de ses enfants. Une mesure d’éloignement est alors prononcée, mais jamais respectée par l’homme. L’année dernière, son fils subit à son tour des violences similaires. Amandine engage des démarches juridiques mais c’est elle qui se voit retirer la garde de son enfant. « Un enfant ne ment pas sur ces faits-là. Il n’y a pas de conflit de loyauté, pas d’invention. Quand un enfant dit quelque chose comme ça, c’est vrai. », niant cette présomption de culpabilité quasi automatique pour les mères par la justice.
Dans ce combat, elle s’accroche à la force de son fils : « Je lui ai dit de tenir bon, alors je dois le faire moi aussi. Je ne lâcherai pas. Pas pour mon petit garçon. »
Une solution urgente : une circulaire face à l’inertie de l’État
Plus loin, quelques mères se prennent dans les bras. Certaines pleurent, d’autres brandissent leurs pancartes avec détermination. Loona, elle, est venue en soutien, bien qu’elle ne soit pas directement concernée. « Il faut se mobiliser, même quand on n’est pas touchée personnellement. Les enfants, c’est l’avenir, c’est la France de demain », s’exclame-t-elle. Face aux récits entendus, elle dénonce, elle aussi, une injustice profonde de l’institution judiciaire : « Il faut se rendre à l’évidence, il y a un vrai problème avec la justice. C’est un problème systémique. On ne protège pas les enfants. »
Tandis que Gérald Darmanin promet fin août, de faire de la protection des enfants victimes de violences et d’inceste sa priorité pour 2026 – en proposant notamment une mise à l’abri de 72 heures pour les enfants – les mères dénoncent l’attentisme du gouvernement. « C’est bien de parler à la télévision, mais il faut une circulaire immédiate et sans délai. On parle d’enfants séquestrés chez leurs agresseurs. C’est une séquestration d’État », accuse Sophie Abida.
Ce que réclame le MFF n’a rien d’abstrait : il s’agit d’une circulaire à mettre en place dans l’immédiat. Elle permettrait de protéger les enfants dès les premiers signalements, sans attendre l’ouverture formelle d’une instruction judiciaire contrairement à ce que dispose la législation actuelle.
« Cette circulaire permettrait de ne pas attendre la mise en examen du parent agresseur pour suspendre ses droits parentaux. Aujourd’hui, la loi Santiago prévoit une suspension une fois la mise en examen prononcée. Mais dans les faits, très peu de pères vont jusque-là, et les affaires sont rapidement classées sans suite », explique-t-elle. Selon une étude de l’Institut des politiques publiques, portant sur la période de 2012 à 2021, le taux de classement sans suite atteint 94 % dans les affaires de viol.
S’ajoute à cela la réalité sociale des mères souvent démunies financièrement, psychiquement, physiquement ; et ne vont pas jusqu’à se constituer partie civile pour qu’il y ait une instruction. « Elles sont condamnées à voir leurs enfants vivre avec des pères violents et incestueux. » conclut l’initiatrice de cette mobilisation.
Face à des témoignages récurrents et des situations accablantes, les mères du MRR exigent des mesures immédiates. Une circulaire d’application nationale, simple et exécutoire, pourrait marquer un tournant. En attendant, elles occupent le terrain, là où l’État, disent-elles, a déserté.
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