RN et patronat, main dans la main contre les étrangers

Dans le débat public, l’un met en avant des valeurs identitaires et sécuritaires, l’autre raisonne en fonction des intérêts économiques et de la compétitivité. Sur de nombreux sujets, les positions du parti d’extrême droite et du Medef convergent, notamment s’agissant de l’immigration.

Pierre Jacquemain  • 23 septembre 2025 abonné·es
RN et patronat, main dans la main contre les étrangers
Patrick Martin, président du Medef, lors d’un débat à la Fête de l’Humanité, le 12 septembre 2025.
© Bastien Ohier / Hans Lucas / AFP

Souvent implicites, les positions du Medef et du parti à la flamme aboutissent à des mesures qui instrumentalisent ou fragilisent les immigrés, qu’ils soient présents sur le sol français ou candidats à l’entrée. Voici quatre exemples significatifs de ces convergences par lesquelles les intérêts économiques du patronat croisent les objectifs politiques du RN, au détriment des droits des étrangers.

Une immigration choisie, « utile » et jetable

Le concept d’immigration choisie, promu sous Nicolas ­Sarkozy, revient régulièrement dans le discours du Medef et dans certaines prises de position du Rassemblement national. Pour le patronat, l’objectif est de répondre aux pénuries de main-d’œuvre dans des secteurs en tension (bâtiment, restauration, agriculture, santé, etc.). Le RN, tout en affichant une opposition de principe à l’immigration, accepte parfois l’idée de faire venir des travailleurs étrangers « utiles », mais de manière temporaire et strictement encadrée.

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Ainsi la postfasciste Giorgia Meloni, présidente du Conseil des ministres italien, qui promettait de fermer les frontières a-t-elle accueilli 500 000 travailleurs étrangers, considérés comme « utiles ». Cette vision transforme les immigrés en ressources économiques remplaçables, sans perspective de stabilité ou de droits durables (accès au séjour, à la famille, à la nationalité, etc.). La personne immigrée devient alors un travailleur sans droits, accepté uniquement s’il reste invisible, docile et rentable.

La sous-traitance et l’exploitation invisible des travailleurs immigrés

Dans certains secteurs comme l’agriculture, le BTP ou la logistique, de nombreux immigrés sont employés via des entreprises sous-traitantes, souvent dans des conditions indignes. Le RN critique l’immigration illégale ou visible, mais reste relativement discret sur cette forme d’immigration souterraine. Le patronat, de son côté, profite de cette main-d’œuvre à bas coût, souvent peu syndiquée, peu protégée et en situation de grande précarité administrative. Cette convergence aboutit à tolérer une exploitation organisée, qui repose sur le silence politique et l’intérêt économique, tout en alimentant un discours de stigmatisation des étrangers.

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Réduction de l’accès aux droits sociaux : une stratégie commune d’exclusion

Le RN défend depuis longtemps l’idée d’un accès différencié aux aides sociales, en conditionnant les prestations à la nationalité française ou à une ancienneté de séjour. Certains acteurs économiques y voient un intérêt budgétaire : limiter les dépenses publiques attribuées aux populations étrangères. Des projets comme le délai de carence (cinq ans de résidence avant d’accéder aux aides, comme le propose le RN) ou la priorité nationale pour le logement social ont ainsi été proposés ou soutenus par des responsables politiques proches à la fois des milieux patronaux et de la droite radicale. Derrière ces mesures se cache une logique : séparer les « bons immigrés productifs » des « mauvais immigrés assistés », comme si la dignité dépendait uniquement de la rentabilité.

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Contre le regroupement familial : l’isolement plutôt que l’intégration

Le regroupement familial permet à un étranger en situation régulière de faire venir sa famille. Le RN s’y oppose fermement, considérant que cela favorise une installation durable des étrangers, perçue comme une « menace pour l’identité nationale ». Certains employeurs assument préférer l’idée que les étrangers restent isolés, sans attaches familiales, afin d’être plus disponibles, flexibles et moins exigeants. Cette convergence débouche sur des politiques qui rendent l’immigration plus précaire, évitant toute sédentarisation et créant des travailleurs déracinés, dépendants de leur emploi pour tout : logement, papiers, survie.

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Derrière les discours officiels, on observe une forme de complémentarité stratégique entre une partie du patronat et le RN. L’un cherche à optimiser les flux de travail étrangers selon les besoins du marché ; l’autre veut limiter les droits, contrôler les présences étrangères et préserver une certaine « identité ». Ces deux logiques, bien que différentes dans leurs fondements, se rejoignent pour produire une immigration utilitaire, sans droits pleins, soumise aux besoins économiques et aux calculs électoraux. Cela conduit à une société à deux vitesses, où les immigrés sont à la fois indispensables mais indésirables, présents mais exclus, productifs mais invisibles.

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