Après la condamnation de Bolsonaro, le Brésil face aux forces réactionnaires
L’ex-président a écopé de 27 ans de prison pour tentative de coup d’État. Un jugement historique pour le pays. Il ne met cependant pas fin aux assauts de l’extrême droite, qui compte notamment sur Trump pour sauver leur leader.

© Pablo PORCIUNCULA / AFP
Partout dans le Brésil, des explosions de joie à l’annonce du verdict du Tribunal suprême fédéral : jamais dans l’histoire du pays la justice n’était allée aussi loin dans la condamnation d’une atteinte majeure à l’État de droit.
Jeudi 11 septembre, Jair Bolsonaro, ex-président du Brésil (2019-2023), a été condamné à 27 ans et trois mois de prison par quatre des cinq magistrats composant la première chambre de la plus haute instance juridique, pour des faits d’une extrême gravité : tentative de coup d’État pour se maintenir au pouvoir (après sa défaite face à Lula en octobre 2022), implication dans une organisation criminelle armée (qui prévoyait notamment l’assassinat de Lula), tentative d’abolition violente de l’État de droit démocratique, actions violentes contre les institutions.
Dans un pays qui a connu une dizaine de coups d’État depuis son indépendance, c’est la première fois que ses instigateurs se voient punis. Au-delà même de la conclusion du cas Bolsonaro, qui focalisait toutes les attentes, le tribunal a également distribué des peines de 2 à 26 ans de prison à sept coaccusés comprenant de hauts gradés, alors que les militaires ont joui d’une impunité constante dans l’histoire du Brésil.
Lucidité
Parmi les prises de parole célébrant cette victoire de la démocratie, nombreuses n’ont pas manqué de la dédier aux personnes torturées et assassinées lors de la sinistre dictature (1964-1985), dont les responsables se sont auto-amnistiés en 1979, mais aussi aux centaines de milliers de victimes des turpitudes de Bolsonaro à l’occasion de l’épidémie de covid, des agressions contre les peuples autochtones et des minorités…
Pourtant, c’est une liesse empreinte de lucidité qui s’est emparée du peuple de gauche, alors que les lamentations du clan pro-Bolsonaro ont redoublé pour fustiger un tribunal « dictatorial ». Les soutiens de l’ex-président n’ont pas attendu un verdict qu’ils redoutaient pour s’organiser. Le propre Tribunal suprême fédéral a ainsi été le théâtre d’une scène qualifiée de sidérante par plusieurs journalistes, à l’occasion de la prise de parole de Luiz Fux.
Seul parmi les cinq magistrats à voter en faveur de la relaxe de Bolsonaro, il s’est lancé dans une péroraison de douze heures pour démanteler toutes les accusations pesant sur l’ex-président, « faute de preuves » et alors que la tentative de coup d’État n’a pas dépassé la « phase préparatoire ». À l’avant-garde de la bronca suscitée parmi les spécialistes du droit, Pedro Serrano, juriste éminemment respecté, s’est étonné d’un tel tissu d’incohérences.
Dans un Brésil plus fracturé que jamais, la frange réactionnaire a déporté sa contre-offensive sur le champ politique.
Si ce marathon verbal n’a pas eu de conséquence sur la décision majoritaire du tribunal, il n’en affaiblit pas moins la portée, selon Luis Nassif, journaliste brésilien très actif dans la dénonciation des conflits d’intérêts. Il voit dans la « performance » du magistrat – si outrageusement favorable à l’ex-président que même son camp s’en est étonné –, un acte politique et idéologique qui renforce le bolsonarisme et ouvre une brèche aux ingérences étrangères.
De fait, dans un Brésil plus fracturé que jamais, la frange réactionnaire a déporté sa contre-offensive sur le champ politique. Depuis des semaines, les députés fédéraux bolsonaristes portent une proposition de loi d’amnistie qui absoudrait leur chef de toute condamnation. Ce texte, pour invraisemblable qu’il soit (il pourrait théoriquement exonérer les responsables d’une invasion étrangère !), a pourtant des chances non négligeables d’être adopté par l’assemblée fédérale si le Centrão (centre mou, opportuniste) consent à s’y rallier.
Menaces états-uniennes
Certes, il n’irait pas bien loin : le président a la possibilité d’y mettre son véto, et il serait en dernier recours recalé comme contraire à la Constitution par le Tribunal suprême fédéral. Mais cette victoire politique serait largement exploitée par les pro-Bolsonaro pour étayer une candidature à la présidentielle de 2026. Même si leur leader est déjà sous le coup d’une inéligibilité jusqu’en 2030 (prononcée en 2023), une victoire de son camp pourrait bien enclencher un renversement du jugement du 11 septembre : lors de son mandat, le prochain président aura à nommer trois nouveaux magistrats au Tribunal suprême fédéral (qui en compte 11) en remplacement de titulaires alors atteints par la limite d’âge.
Mais bien avant le potentiel succès d’une telle spéculation, le camp Bolsonaro mise sur une intervention musclée du grand frère idéologique : Trump, qui a déjà décidé d’une surtaxe punitive de 50 % sur plusieurs produits brésiliens alors que le procès de Bolsonaro avançait inéluctablement vers sa conclusion. Le président états-unien s’est montré « très surpris » par la condamnation de cet « homme bon », alors qu’une tentative similaire « a totalement échoué » à son encontre. En appui, la porte-parole de la Maison Blanche a évoqué l’usage de la force « économique » – et même « militaire » ! – au cas où Bolsonaro serait déclaré coupable.
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