À l’Assemblée, Bayrou victime d’obsolescence programmée

Le premier ministre a perdu très logiquement le vote de confiance qu’il avait lui-même sollicité. Il tombe après s’être défendu sans conviction devant une Assemblée nationale qui pensait déjà à la suite.

Lucas Sarafian  • 8 septembre 2025 abonné·es
À l’Assemblée, Bayrou victime d’obsolescence programmée
François Bayrou devrait proposer sa démission de Matignon à Emmanuel Macron, mardi 9 septembre
© ALAIN JOCARD / AFP

À quelques mètres du perron de l’hôtel de Matignon, François Bayrou prend la mesure de la mission. « Nul plus que moi ne connaît la difficulté de la situation », dit le premier ministre, ce 13 décembre 2024, quelques heures après avoir été nommé officiellement. Cette phrase aurait pu être prophétique s’il ne parlait pas de la dette mais de sa propre situation, celle d’un chef de gouvernement à la majorité parlementaire plus que frêle et qui se montrera incapable de mener la moindre initiative politique, d’élargir le périmètre de ses soutiens ou d’être apprécié des Français.

Le jour de sa nomination, l’un de ses proches y croyait pourtant : « Il est prêt. Il a beaucoup travaillé depuis cet été quand son nom circulait déjà. Il est désormais en capacité d’extraire la quintessence de ce qui se fait de bien à gauche et à droite sur chaque sujet, sur chaque texte. » L’histoire a montré le contraire.

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Alors que François Bayrou monte à la tribune ce 8 septembre à 15 h 02, son sort est déjà scellé. Il n’a même pas dit un mot mais une majorité de députés ont déjà formalisé leur position publiquement sur le vote de confiance que le premier ministre a lui-même sollicité, à la surprise générale, le 25 août. Une manœuvre pour tenter de déborder le mouvement « Bloquons tout » le 10 septembre et de sortir d’une situation inextricable en beauté sur une question qui l’obsède, la dette.

« Il croyait être l’homme qui avait réussi là où tout le monde avait échoué »

Car son plan austéritaire à 43,8 milliards présenté le 15 juillet est loin d’avoir convaincu l’opinion publique, sa popularité chute à vitesse grand V et la droite comme le camp présidentiel, vexés de ne pas avoir été consultés sur cette annonce, se méfient de plus en plus de ce premier ministre solitaire. « Il pensait qu’il allait faire passer ce budget, il croyait être l’homme qui avait réussi là où tout le monde avait échoué, c’est raté », raille un député socialiste. « On est face aux pieds nickelés de la politique », se désole l’écolo Sandrine Rousseau.

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Ce jour du 8 septembre est celui de sa chute. Aucun autre scénario ne semble réaliste. « J’ai voulu ce rendez-vous et certains d’entre vous, les plus nombreux, les plus sensés probablement, ont pensé que c’était déraisonnable, que c’était un trop grand risque, commence Bayrou. Or, je pense exactement le contraire. Le plus grand risque était de ne pas en prendre, de laisser continuer les choses sans que rien ne change. »

Le premier ministre s’est attiré les foudres du Rassemblement national (RN) et a rompu la confiance avec le Parti socialiste.

Depuis des jours, François Bayrou croit pourtant en son destin. Il martèle dans tous les médias qu’il est le seul à dire la vérité aux Français, que la France est entrée dans cette spirale de la dette qui risque de plonger le pays dans un purgatoire financier comme la Grèce il y a quelques années, que faire tomber le gouvernement en place serait la plus grande erreur politique des dernières décennies. « Le premier ministre ne fait pas grand cas de son avenir politique. Il veut que la France s’en sorte », affirmait-on il y a quelques jours dans son entourage.

C’est trop tard. Le premier ministre s’est attiré les foudres du Rassemblement national (RN) et a rompu la confiance avec le Parti socialiste (PS). Les roses reprochent notamment à ce gouvernement de ne pas les avoir tenues au courant des gels et des annulations de crédits après le deal budgétaire que les socialistes ont signé en début d’année. Quant à François Bayrou, le centriste n’a pas vraiment digéré les attaques socialistes sur l’affaire Bétharram. Pourtant, des échanges informels ont quand même eu lieu avant le 15 juillet.

« En janvier, on a laissé à François Bayrou le bénéfice du doute car on voyait bien que le budget était imaginé par Gabriel Attal et élaboré par Michel Barnier. Donc on se disait qu’on pouvait négocier parce que François Bayrou n’avait pas complètement la main. Et nous avons obtenu des choses. Mais le Bayrou du 15 juillet, c’est quelqu’un qui a repris la main », raconte un dirigeant du PS.

François Bayrou, qui se réfère au général de Gaulle ou à Pierre Mendès-France, ne cherche plus vraiment à convaincre.

Il poursuit : « Et depuis janvier, quelles sont les preuves d’amour que le gouvernement nous envoie ? On imaginait négocier avec Éric Lombard en septembre, travailler sur nos propositions pour voir, ensuite, s’il existe une voie de passage ou pas. Mais l’annonce de Bayrou change tout. Il demande : “Faites-moi confiance sur le diagnostic et on verra après pour l’ordonnance.” Tout est en tout. C’est impossible de dissocier. »

« Une fin triste, sans aucun panache »

En dessous du Perchoir dans lequel siège Yaël Braun-Pivet, François Bayrou reste arc-bouté sur sa ligne : il n’est aujourd’hui pas question des détails de son plan austéritaire, mais du constat de cette dette abyssale, de cette France supposée addict à la dépense publique. « Notre pays travaille, croit s’enrichir et tous les ans s’appauvrit un peu plus. Mesdames et Messieurs les députés, c’est une silencieuse, souterraine, invisible et insupportable hémorragie, dit-il. Si nous voulons la sauvegarde du navire, du navire sur lequel nous sommes et sur lequel sont nos enfants, il faut agir sans retard. »

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Mais François Bayrou, qui se réfère au général de Gaulle ou à Pierre Mendès-France, ne cherche plus vraiment à convaincre. Il profite de la tribune pour s’attaquer aux oppositions qui n’attendent que le vote pour le faire tomber. « Les uns disent : ce sont les étrangers qui sont la cause de tout, griffe le premier ministre. Ou bien, autre discours : “Ce sont les riches qu’il faut faire payer.” » Les partis politiques ? « Leur logique les conduit toujours à la division. »

Paradoxe pour cet admirateur d’Henri IV, son passage à Matignon ne sera qu’une parenthèse dans l’histoire.

Bravache, Bayrou lance : « Mesdames et Messieurs les députés, vous avez le pouvoir de renverser le gouvernement, mais vous n’avez pas le pouvoir d’effacer le réel. » Pour conclure au bout de 40 minutes, le premier ministre lance un appel au « compromis » entre les forces politiques du pays : « Ce que dit le moment que nous vivons, c’est qu’il y a un chemin, et c’est le seul pour la France : celui de la vérité et du courage que l’on choisit ensemble. »

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Cet appel semble vain. « Je m’attendais à ce qu’il se batte un petit peu, à ce qui se passe quelque chose. Mais c’était une fin triste, sans aucun panache. Il a tellement multiplié les prises de parole qu’il n’a plus rien à dire », grince Marine Tondelier, la patronne des Écologistes, à quelques mètres du Palais Bourbon. « Il jette ses dernières forces dans la bataille même s’il sait que c’est déjà fini », glisse-t-on dans l’entourage de Gabriel Attal, secrétaire général de Renaissance.

Dans la salle des Quatre Colonnes, personne ne s’attarde très longtemps sur le contenu de cette prise de parole. Tout le monde pense déjà à la suite. À 18h59, le résultat tombe : 194 voix pour la confiance, 364 voix contre. François Bayrou chute. Il devrait donner sa démission et celle de son gouvernement à Emmanuel Macron mardi 9 septembre. Sa nomination était, tout autant que son prédécesseur Michel Barnier, un contresens politique par rapport aux résultats des dernières législatives. Et, paradoxe pour cet admirateur d’Henri IV, son passage à Matignon ne sera qu’une parenthèse dans l’histoire.

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Publié dans le dossier
Bayrou : neuf mois de vide
Temps de lecture : 7 minutes