« Un faux État pour soumettre les Palestiniens et couvrir le génocide »

Shadi*, un militant palestinien au sein d’Urgence Palestine, réagit à la reconnaissance de la Palestine par Emmanuel Macron, qu’il considère comme « une attaque contre l’autodétermination des Palestiniens ». Il rappelle la lutte menée depuis le 7-Octobre par la diaspora palestinienne en France, dans un contexte de complicité française au génocide et de répression étatique.

• 22 septembre 2025
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« Un faux État pour soumettre les Palestiniens et couvrir le génocide »
Manifestation de soutien à la Flottille de la liberté Madleen partie pour Gaza, en juin 2025, à Paris.
© Maxime Sirvins
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Le prénom a été changé.

La reconnaissance de la Palestine par Macron, c’est un État sans aucune souveraineté, sans aucune réalité, ça n’a aucun sens. Ce qu’on demande, c’est des sanctions et l’arrêt du génocide. Une reconnaissance sans sanctions, et en continuant de livrer des armes, ne vaut rien d’autre qu’une normalisation du génocide. Macron reconnaît l’État de Palestine sous la pression des peuples du monde entier et de l’opinion française mais dans le but de sauver Israël, pour remettre sur la table la question coloniale de la solution à deux États.

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C’est un faux État pour soumettre les Palestiniens et couvrir le génocide, c’est une attaque contre l’autodétermination des Palestiniens. Il demande la démilitarisation, l’exclusion de partis palestiniens du champ politique, une soumission militaire et politique à Israël. On est dans une lutte de libération contre un État colonial, on se bat pour notre libération, pas pour un État. Tous les Palestiniens ont compris ce qui se tramait.

On s’est retrouvés dans un pays allié objectif de l’État génocidaire en train de massacrer nos familles.

Tous ces prétendus sionistes de gauche et leurs alliés dans la gauche française qui soutiennent cette reconnaissance factice ne trompent pas grand monde. Pour cette gauche qui ne nous a jamais soutenus, c’est du Palestine washing. Nous, la diaspora palestinienne ici en France, au lendemain du 7-Octobre, on s’est retrouvés désarmés. Très vite, on s’est réunis avec des alliés et on a créé Urgence Palestine, pour pouvoir porter la voix et le narratif des Palestiniens.

« La France est complice du génocide »

Souvenez-vous. Quand le génocide a commencé, les manifestations étaient interdites. C’était le seul pays au monde où toutes les manifs de soutien à la Palestine étaient interdites. On prenait 135 euros d’amende si on portait un keffieh ou un drapeau palestinien. Et en même temps, on était connectés 24 heures sur 24 pour savoir ce que devenaient nos proches à Gaza. N’importe quel militant d’Urgence Palestine doit gérer le militantisme et le travail. Et il nous faut aussi subir le génocide, les mauvaises nouvelles qui nous arrivent du pays. Il y a eu des moments très durs.

Beaucoup de militants ont mis entre parenthèses leur vie professionnelle. Et le problème, c’est qu’on ne sait jamais quand cela va s’arrêter. Et la réaction autoritaire est arrivée très vite. On s’est donc retrouvés dans un pays allié objectif de l’État génocidaire en train de massacrer nos familles. C’est vrai depuis le premier jour et jusqu’à aujourd’hui. La France est complice du génocide de deux manières. En aidant Israël par le soutien diplomatique, par la fourniture d’armes, etc. Mais aussi en réprimant toutes les voix qui se mobilisent contre le génocide.

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C’est lié à un contexte français de racisme et d’islamophobie qui interdit la mobilisation d’une certaine partie de la population. L’ordre a été donné aux magistrats d’imposer une lecture politique des mobilisations. En France, il est interdit de parler du 7-Octobre autrement qu’en certains termes, parler de la résistance palestinienne est passible de poursuites. Très vite, des camarades se sont retrouvés au poste, devant se justifier sur des questions politiques. D’autres ont été perquisitionnés.

Tant que le régime français alignera sa politique sur celle de Tel-Aviv, Urgence Palestine sera une cible de la répression.

Souvenez-vous. Le gouvernement français, alors que le génocide entrait dans sa phase la plus critique, a annoncé qu’il voulait dissoudre Urgence Palestine, la seule organisation politique qui porte la voix des Palestiniens en France. Ça participe de l’offensive réactionnaire mondiale pour faire taire toutes les voix de Palestine. La formidable campagne de soutien à Urgence Palestine a mis en échec les plans du gouvernement, mais tant que le régime français alignera sa politique sur celle de Tel-Aviv, Urgence Palestine sera une cible de la répression.

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Depuis novembre 2023, près de 300 Palestiniens de Gaza sont arrivés en France. La communauté palestinienne s’est organisée pour accueillir ces rescapés du génocide. Cela permet d’une part de ne pas les abandonner et de leur donner l’accueil qu’ils méritent là où la France a été défaillante, mais aussi, pour nous Palestiniens de France, d’être au contact et d’apprendre d’eux. Il y a une dissonance terrible entre ce qu’on sait, ce qu’on voit, ce qu’on ressent et ce que donnent à voir les médias français. Les médias français ont découvert très tard ce qu’est ce génocide. Sauf que nous, depuis le premier jour, on y est exposés.

« Il faut pointer le rôle terrible des médias »

Pendant plus d’un an, tout ce qu’on voyait dans les médias, c’était le droit d’Israël à se défendre et le Hamas qui devait libérer des otages. Tandis que nous étions confrontés à une violence qu’on n’aurait pas pu imaginer. Je pense sincèrement que les gens qui n’ont pas les réseaux sociaux et qui ne font que regarder la télé n’ont aucune idée de ce qui se passe réellement. Il faut pointer le rôle terrible des médias, que ce soient les médias des milliardaires, mais aussi ceux des services publics, les médias d’État. Ils doivent être jugés très sévèrement.

Les Palestiniens ont compris qu’ils ne pouvaient pas compter sur l’Occident, qu’ils ne pouvaient pas compter sur le monde arabe.

Au tout début, nos proches à Gaza nous demandaient comment se passaient les manifs. Aujourd’hui, tout le monde a compris que les Palestiniens étaient livrés à eux-mêmes, que l’Occident s’était perdu. Aujourd’hui, les Palestiniens ont compris qu’ils ne pouvaient pas compter sur l’Occident, qu’ils ne pouvaient pas compter sur le monde arabe.

Moi, je suis père de deux jeunes enfants, et je crois que c’est lié à ça, mais je ne peux plus voir une image d’enfants à Gaza. Quand je scrolle mes réseaux sociaux, en général, je fais très vite. Dès que je vois une image, il y a un effet de saturation, je ne supporte plus, je ne peux plus voir ça, c’est trop dur. Et en même temps, on est tout le temps tiraillé par la culpabilité de détourner le regard.

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Mes enfants sont très jeunes. Je les préserve complètement. Quand ça a commencé, leur grand-père était là-bas. À ce moment-là, ils ont compris qu’il se passait quelque chose de grave. Ce que je fais, c’est constamment parler de la Palestine en bien. Je leur parle de la Palestine, de Gaza, de Bethléem, de Jérusalem, de ce qu’on y fait, de ce qu’on y mange, de ce qu’on y boit. Je leur raconte que, en septembre 2024, j’étais à Gaza, dans les champs d’oliviers de ma famille, qui aujourd’hui n’existent plus. Je leur montre les photos des oliviers. Je leur montre la beauté de la Palestine. Je veux leur transmettre l’amour de la Palestine.

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