« L’Évangile de la révolution », des prêtres à l’assaut des dictatures
François-Xavier Drouet signe un documentaire sur les théologiens de la libération, ces chrétiens d’Amérique latine à l’avant-garde des mouvements révolutionnaires des années 1960 à 1980.
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© L’atelier documentaire
L’Évangile de la révolution / François-Xavier Drouet / 1 h 55.
Pendant la guerre civile des années 1980 au Salvador, l’armée pourchassait tout citoyen détenteur d’une bible comme s’il s’agissait du Manifeste du Parti communiste. Au Brésil, les cathédrales accueillaient de grandes assemblées clandestines contre la dictature militaire. De quoi faire perdre leur latin à tous ceux qui considèrent la religion comme « l’opium du peuple ».
Athée issu d’une famille catholique, François-Xavier Drouet voit ses certitudes bousculées au contact des théologiens de la libération. Auteur du documentaire Le Temps des forêts (2018), il sillonne l’Amérique latine depuis une vingtaine d’années, aussi bien enthousiasmé par l’accession au pouvoir de Lula au Brésil en 2003 que par l’autonomie politique obtenue par le mouvement zapatiste au Chiapas.
Découvrant que ces mouvements d’émancipation ont été en partie impulsés par des prêtres et des chrétiens dont l’action politique était guidée par leur foi, il s’attelle à L’Évangile de la révolution, constatant que beaucoup de leurs acteurs vieillissent sans que leur parole ne soit transmise. Durant deux heures, il mêle entretiens et images d’archives en se restreignant à quatre pays : le Salvador, le Brésil, le Nicaragua et la région du Chiapas au Mexique.
« Mélancolie de gauche »
Parmi les personnes interrogées, le film s’attarde sur des figures importantes, tel Leonardo Boff, ex-franciscain brésilien renié par le Vatican, mais aussi sur d’autres restées dans l’ombre, comme le prêtre Roger Ponseele, qui a pris le maquis pendant une décennie auprès des guérilleros du Salvador. Leurs propos se révèlent porteurs d’un imaginaire politique puissant : les « communautés ecclésiales de base » y remplacent les soviets, tandis que la notion de « péché structurel » subvertit les enseignements bibliques. Les archives exhument quant à elles deux archevêques assassinés : Óscar Romero, du Salvador, et Hélder Câmara, du Brésil, des clercs initialement conservateurs à la trajectoire politique passionnante.
La voix de François-Xavier Drouet colore la narration, rédigée à la première personne, par sa « mélancolie de gauche », sans pour autant verser dans le passéisme. Malgré la volonté du documentariste de relier ces décennies de lutte théologico-révolutionnaire avec leurs héritiers contemporains, difficile de ne pas terminer sur un constat d’échec et le bilan terrible de la répression : deux cents membres du clergé et des milliers de chrétiens ont été tués sur tout le continent. Au Brésil, où la théologie de la libération était la plus implantée, les évangélistes la supplantent désormais en soutenant Bolsonaro.
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