« Notre système de financement des campagnes est extrêmement opaque »
Dans une proposition de loi, le député Génération·s Emmanuel Duplessy s’oppose au financement des campagnes électorales par argent liquide et veut renforcer la commission nationale des comptes de campagne.

© JULIEN DE ROSA / AFP
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Sarkozy condamné : « Il y a eu une atteinte à l’ordre public démocratique » La droite contre la justice, la République en danger « Affaire libyenne » : tout comprendre des condamnations Sarkozy condamné : l’État de droit tient le coupUn député passe à l’action. Le tribunal correctionnel de Paris a rendu, jeudi 25 septembre, son jugement dans l’affaire du financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Le procès a révélé les failles du système français de financement des campagnes électorales. Emmanuel Duplessy, député Génération·s du Loiret et membre de la commission des lois, a déposé, le jour de la décision du tribunal, une proposition de loi visant à lutter contre le financement occulte des campagnes électorales.
Nicolas Sarkozy a été condamné à cinq ans d’emprisonnement avec mandat de dépôt à effet différé, assorti de l’exécution provisoire, pour association de malfaiteurs. L’ancien président a aussi été déclaré inéligible pour cinq ans. Qu’en pensez-vous ?
Nous devons travailler sur la transparence de la vie publique et le financement des campagnes électorales.
Emmanuel Duplessy : Sur le principe, je suis assez satisfait que la justice ait été en capacité de conduire le procès jusqu’au bout et de prononcer une peine proportionnée aux faits qui sont incriminés. L’affaire est grave. Il s’agit de plusieurs millions d’euros de financement illégal dans le cadre d’une campagne électorale, une condamnation pour association de malfaiteurs… C’est du jamais-vu pour un ancien chef de l’État et pour des anciens ministres qui ont notamment occupé des fonctions régaliennes.
Le tribunal a évoqué des « faits d’une gravité exceptionnelle de nature à altérer la confiance des citoyens en ceux qui les représentent ». Qu’est-ce que cela dit de l’état de notre démocratie ?
Cela révèle la porosité entre le monde politique et la question de la circulation de l’argent. Ce procès renvoie assez largement aux problématiques d’ingérences liées aux milieux d’affaires ou aux ingérences étrangères. Devant nous se dresse un enjeu démocratique très important : nous devons travailler sur la transparence de la vie publique et le financement des campagnes électorales.
Vous portez aujourd’hui une proposition de loi visant à lutter contre le financement occulte des campagnes électorales. Quel est l’objectif de votre texte ?
Je veux répondre à un fléau, celui du financement par de l’argent liquide dans les campagnes. Je veux y mettre fin. Car aujourd’hui, dans une campagne électorale, tous les candidats n’ont pas les mêmes moyens. Des candidats peuvent avoir des ressources privées plus importantes que d’autres et, de ce fait, ils seront avantagés. Des candidats peuvent aussi avoir beaucoup de mal à trouver des financements auprès des banques. Notre système est loin d’être égalitaire. Faire campagne, défendre ses idées, présenter une offre politique devant les citoyens est essentiel. Pouvoir candidater est tout aussi important que pouvoir voter.
Comment prévenir le financement opaque des campagnes électorales ?
Dans l’affaire du financement libyen de la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant a reçu des valises remplies d’argent liquide. Il a essayé de justifier la provenance de cet argent en expliquant qu’il s’agissait de dons reçus par La Poste. Le procès n’a pas permis de déterminer la provenance exacte de cet argent et de son affectation dans la campagne. Avec le don en liquide, il est très difficile, voire impossible, de tracer l’argent. Le système actuel de financement est extrêmement opaque. Il faut en finir avec lui.
Ainsi, je veux baisser de 150 à 50 euros le seuil au-delà duquel les dons à un candidat devront être effectués par chèque ou par carte bancaire. Je souhaite également rendre publics les grands donateurs dont les contributions dépassent 2 300 euros dans le cadre d’une campagne et 3 750 euros pour un parti. C’est un système qui existe dans plusieurs États européens comme le Portugal, l’Italie ou l’Allemagne, et même aux États-Unis.
Quand on règle des dépenses de campagne en liquide, il est tout aussi difficile de tracer la dépense. On est habitués à ce qu’il y ait des débats autour de la réalité de certaines prestations, de potentielles surfacturations… Je veux donc interdire le versement en espèces des rémunérations des salariés et des différentes prestations d’une campagne.
La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) est-elle impuissante ?
Dans une démocratie, il faut qu’on ait les contre-pouvoirs les plus neutres possible.
Elle n’est pas assez armée. La CNCCFP s’appuie uniquement sur la base de déclarations et de pièces justificatives qui lui sont transmises. Mais elle ne peut pas aller plus loin, enquêter. Ce que je propose est simple : permettre à la CNCCFP, quand elle souhaite investiguer sur un dossier, de pouvoir saisir le Fichier national des comptes bancaires (Ficoba) et de demander au service de renseignement financier de Bercy (Tracfin) des informations. Des outils existent déjà pour lutter contre la fraude bancaire ou l’évasion fiscale. Je souhaite simplement les mettre à disposition de la CNCCFP. De plus, je plaide pour que cette commission puisse contrôler en temps réel les comptes de campagne des candidats.
Vous estimez aussi que les associations anticorruption doivent pouvoir se constituer partie civile dans les affaires de financement illégal de campagne électorale et d’association de malfaiteurs portant sur des infractions à la probité. Pourquoi ?
Dans une démocratie, il faut qu’on ait les contre-pouvoirs les plus neutres possible. Les associations anticorruption ont l’avantage d’être non partisanes. Et il ne faut pas négliger leur expertise. Dans les affaires financières, les enquêtes sont longues, les dossiers sont très complexes. Ces associations peuvent donc être très utiles dans ces affaires.
Enfin, on remarque que, dans ce type d’affaires, les délits sont connexes : l’association de malfaiteurs s’entrecroise, par exemple, avec la corruption, un délit qui se trouve dans le champ de ces associations. Je ne veux pas réinventer le système, mais recoudre le filet quand les mailles sont cassées. Et sur le fond, rien ne justifie qu’on n’intègre pas le délit de financement illégal de campagne électorale et d’association de malfaiteurs portant sur des infractions à la probité au périmètre des compétences de ces associations spécialisées.
La question des ingérences de manière générale préoccupe de nombreux groupes à l’Assemblée.
Pensez-vous que votre texte pourrait obtenir une majorité à l’Assemblée ?
J’ai discuté très rapidement avec certains députés de différents groupes politiques en dehors du Rassemblement national (RN) et de l’Union des droites pour la République (UDR). Pour le moment, je n’ai pas de retour. Mais il est possible de trouver une majorité : la question des ingérences de manière générale préoccupe de nombreux groupes à l’Assemblée. Bien entendu, chaque député a des lectures différentes en fonction de son orientation.
Néanmoins, je crois que trouver une règle commune concernant le financement de nos campagnes électorales est réalisable. Et ce texte est assez proportionné. Il sera aussi difficile pour certains d’ignorer la crise politique, ce texte pourrait permettre de restaurer une confiance entre les Français et leurs élus. Emmanuel Macron a raté son rendez-vous avec l’exemplarité. Certains de mes collègues doivent nécessairement se soucier de l’image que nous renvoyons. Mais il faut d’abord réussir à inscrire ce texte à l’ordre du jour, c’est ce qui est le plus compliqué. Et sans gouvernement, nous n’en sommes pas encore là.
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