Fabien Roussel : « Le temps est venu de la cohabitation »

François Bayrou vient de tomber. Fabien Roussel, le leader du Parti communiste français, lui, prépare déjà la suite, appelant Emmanuel Macron à nommer un premier ministre de gauche. Il rêve d’imposer un gouvernement de cohabitation pour changer drastiquement de politique.

Lucas Sarafian  et  Pierre Jequier-Zalc  • 9 septembre 2025 abonné·es
Fabien Roussel : « Le temps est venu de la cohabitation »
Fabien Roussel au siège du Parti communiste français, le 8 septembre à Paris.
© Maxime Sirvins

En apprenant la chute du premier ministre, Fabien Roussel jette un œil sur son téléphone et souffle : « 194 voix pour la confiance, c’est officiel, le bloc central n’existe plus ». François Bayrou est déjà conjugué au passé. Le secrétaire national du PCF, lui, se tourne vers la suite, en assumant une ligne plus unitaire que par le passé. Pour gouverner, déjà, mais aussi en vue des municipales et, même, de la présidentielle.

Qu’avez-vous pensé du discours de François Bayrou ce lundi lorsqu’il a demandé la confiance de l’Assemblée nationale ?

Fabien Roussel : J’ai senti un premier ministre aigri et hors sol. Il ne mesure pas à quel point les Français n’en peuvent plus et sont en colère contre son plan. C’est une bonne chose qu’il soit défait et son projet de budget avec lui.

Il accuse les oppositions d’être irresponsables en voulant renverser ce gouvernement. Que lui répondez-vous ?

En soutenant le président depuis huit ans, il est comptable de la situation. L’endettement s’est accru de 1 300 milliards d’euros, la Macronie a vidé les caisses de l’État en faisant des cadeaux au capital, elle a fait reculer l’État dans ses missions les plus importantes comme la santé, l’éducation ou la sécurité. Emmanuel Macron a refusé de cohabiter avec la gauche, son camp a refusé toute discussion sur nos mesures, la Macronie a assumé à 100 % sa politique désastreuse et François Bayrou nous dit que c’est de la faute de la gauche. Il est hors sol.

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Que doit faire la gauche après la chute de François Bayrou ?

Nous devrions avoir aujourd’hui le même état d’esprit qu’il y a un an : un état d’esprit constructif et d’ouverture

Nous devons empêcher un autre premier ministre de mettre les mêmes orientations sur la table. La gauche a aujourd’hui la responsabilité de faire la démonstration qu’une autre politique est possible. Il est temps qu’il y ait enfin une cohabitation. Le président de la République doit l’accepter. Il faut marteler que nous sommes prêts, prêts à un changement de politique et prêts à y travailler avec ceux qui veulent travailler avec nous. Nous devons avoir un discours de responsabilité, d’ouverture tout en expliquant que l’effort doit être porté par le capital et les plus riches, et pas par les travailleurs ou les retraités qui ont beaucoup donné ces dernières années.

Quel périmètre aurait ce gouvernement de cohabitation que vous souhaitez ?

Ce n’est pas une question de périmètre. C’est une question d’orientation. Le nouveau gouvernement devra redonner du pouvoir d’achat aux Français et s’engager plus fortement dans la transition écologique. Nous demandons un premier ministre capable de construire des majorités sur cette base.

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Tout ce que je dis, nous le disions déjà il y a un an au sein du Nouveau Front populaire (NFP). Nous devrions avoir aujourd’hui le même état d’esprit : un état d’esprit constructif et d’ouverture. Pour être clair, je ne pense pas que nous devrions mettre en place le programme du NFP, rien que le programme du NFP. Sur cette base programmatique, nous n’aurions aucune majorité dans cette Assemblée découpée en trois blocs.

Il faut accepter de dialoguer avec les autres forces politiques. Entre un programme très libéral et le programme que la gauche porte, trouvons un chemin pour construire des majorités, texte par texte. Par exemple, la gauche propose de porter le Smic à 2 000 euros brut. Mais François Bayrou et la droite défendent le gel des salaires. Entre les deux, nous pourrions trouver un compromis. Il y a des chemins.

Vous avez parlé de compromis et d’ouverture. Mais quels sont les sujets sur lesquels un gouvernement de cohabitation de gauche ne devra pas céder ?

Nous demandons tous plus de justice fiscale, plus de justice sociale, plus de moyens à nos services publics et l’abrogation de la réforme des retraites. Voilà les principes sur lesquels nous ne pouvons pas céder. Depuis qu’il est élu, le président dicte à ses premiers ministres la ligne politique. Il est temps qu’un gouvernement de cohabitation résiste à Emmanuel Macron.

Ce premier ministre « capable de construire des majorités », cela pourrait-il être vous ?

Je ne le demande pas. Ce ne doit pas être une question de personne.

Emmanuel Macron ne semble pas prêt à remettre en question sa politique de l’offre. Comment le faire céder ?

Il faut faire appel à l’intervention citoyenne. Dès maintenant. Des dates existent : le 10 septembre, le 18 septembre, lors de la fête de L’Humanité du 12 au 14 septembre. Emmanuel Macron vit dans sa bulle, il faut qu’il entende ce que veulent les Français. Ne déléguons pas au Parlement et au gouvernement de régler les problèmes sans nos concitoyens. C’est pour cela que je les appelle à s’exprimer et investir massivement les journées de mobilisation qui viennent.

Sur le même sujet : À gauche, comment faire rechanter les lendemains ?

J’ai rarement entendu autant de colère dans le pays. Et je veux qu’elle soit entendue jusque dans son château. C’est de cette façon que le président acceptera la cohabitation pour donner un budget à la France et apporter du calme au pays jusqu’en 2027.

Appelez-vous à une dissolution ?

Non. Les Français ne demandent pas un nouveau vote. Ils demandent à ce qu’ils puissent payer leurs courses et leurs factures avec leurs salaires. Ils veulent un changement de politique : il n’y a pas besoin d’un retour aux urnes pour que ça change. Mais nous ne devons pas avoir peur du retour au peuple, nous devrons être prêts. Car si le président nomme un premier ministre dont le mandat est de faire la même chose que François Bayrou, nous devrons être clairs : la même politique provoquera le même résultat. Et dans ce scénario, il y aura une dissolution.

Fabien Roussel sur les toits du siège du parti communiste, le 8 septembre à Paris
Fabien Roussel sur les toits du siège du parti communiste. « la gauche a abandonné son discours sur le rôle du travail dans la société, la nécessité d’avoir une industrie forte, de produire, mais aussi d’être heureux au travail. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Emmanuel Macron est aujourd’hui en première ligne face à la colère qui gronde dans le pays. Est-ce que la question de sa destitution se pose ?

Je comprends celles et ceux qui demandent sa destitution. Le problème dans le pays, c’est lui. Le président conduit la France dans l’impasse. Il faut qu’il accepte d’avoir perdu et qu’il nomme un gouvernement de cohabitation. Mais exiger une destitution, est-ce la priorité ? Certains candidats sont obnubilés par une nouvelle présidentielle. Pas moi. Avant d’en arriver là, nous devons tout faire pour qu’un premier ministre soit nommé et qu’il construise des majorités pour répondre aux exigences des Français. Nous avons deux mois pour faire un budget. Ce ne serait ni raisonnable ni crédible de partir en campagne maintenant.

J’ai rarement entendu autant de colère dans le pays. Et je veux qu’elle soit entendue jusque dans son château

Depuis quelques années, vous fustigez cette « gauche des allocs » pour lui opposer la « gauche du travail ». Pourquoi tenez-vous tant à cette opposition ?

Je souhaite mettre en débat des questions qu’une partie de la gauche a abandonnées. Le travail, la sécurité, la Nation, la République laïque, l’industrie, la production, la croissance… C’est comme si tous ces mots étaient devenus des maladies honteuses pour la gauche. Ce sont pourtant des sujets qui sont importants pour beaucoup de Français.

La gauche a toujours été en pointe pour défendre les chômeurs contre toutes les attaques de ces derniers gouvernements, pour défendre ceux qu’on laissait vivre sous le seuil de pauvreté avec des minima sociaux excessivement bas. Elle a raison de le faire. Mais la gauche a abandonné son discours sur le rôle du travail dans la société, la nécessité d’avoir une industrie forte, de produire, mais aussi d’être heureux au travail, de redonner du sens à ce que l’on fait et de pouvoir en vivre dignement.

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Une partie de la gauche défend l’idée qu’on n’est pas obligés de travailler, que l’on pourrait simplement bénéficier d’un revenu universel payé par l’État. Ce n’est pas ma conception de la société. Le travail n’est pas sale. Quand il est libéré de ses formes d’exploitation et de domination, c’est émancipateur.

Les droits au chômage ne permettent-ils pas, justement, de trouver un travail émancipateur ?

Je préfère le droit à la formation que le droit au chômage. Le chômage est utilisé par le capital pour avoir un bataillon d’hommes et de femmes exploitables à merci et pour faire baisser le coût du travail. La gauche a oublié son discours sur le rôle du travail dans le pays. Le travail nous permet de vivre ensemble, de répondre aux besoins de notre nation. Il faut remettre ce débat au cœur de la gauche.

J’assume de défendre le travail et de garantir à chacun un emploi ou une formation sans perte de salaire

Ce sont la droite et les socialistes qui ont mis en place le RMI, le RSA, qui ont désindustrialisé la France, qui ont provoqué du chômage de masse… Cette politique a abîmé des générations entières. Il y a des gamins qui n’ont jamais vu leurs parents travailler. Donc il faut défendre les chômeurs, et nous avons raison de le faire. Mais nous avons oublié tout le reste. J’assume de défendre le travail et de garantir à chacun un emploi ou une formation sans perte de salaire tout au long de sa vie. Éradiquer le chômage doit être notre objectif.

« J’appelle d’abord les forces de gauche à créer les conditions pour être le plus unis possible aux élections municipales. Sinon, nous nous tirons une balle dans le pied pour 2027. » (Photo : Maxime Sirvins.)

Est-ce à dire que vous priorisez la question sociale au détriment de la question sociétale ?

Je ne veux surtout pas les opposer. Aujourd’hui, tout est fait pour diviser les Français en fonction de leur territoire, de leur couleur de peau. Le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie n’ont jamais été aussi forts dans notre pays. Pourquoi mettre ces questions de côté ? Autant je regrette qu’une partie de la gauche ait perdu son discours social, autant nous devons être beaucoup plus fermes pour sanctionner toutes formes de discrimination et ne pas laisser le moindre espace aux propos racistes, antisémites et sexistes.

Quels sont vos objectifs pour les élections municipales de 2026 ?

Pour nous, le PCF, la commune est le lieu le plus important de la démocratie et de la République. La commune est née en 1792 pour faire barrage au retour de la monarchie. C’est un échelon essentiel. Sur les 35 000 communes de France, 80 % ont moins de 5 000 habitants. Je fais confiance aux habitants pour qu’ils puissent voter pour les listes les plus proches de leurs besoins. Concernant les communes avec des strates de population plus élevées, je souhaite que nous arrivions à construire les rassemblements les plus larges entre forces progressistes dans leur plus grande diversité. J’espère que toutes ces listes qui rassembleront les hommes et les femmes de progrès et attachés aux valeurs de la République vaincront les listes qui portent le poison en elles.

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Comment appréhendez-vous la présidentielle qui aura lieu un an après ?

2027, c’est dans longtemps. Les Français ne s’en préoccupent pas aujourd’hui. Il faut d’abord s’occuper de la période dans laquelle nous sommes, puis nous nous occuperons des municipales et, enfin, nous pourrons parler de la présidentielle. Voilà mon calendrier. J’appelle d’abord les forces de gauche à créer les conditions pour être le plus unis possible aux élections municipales. Sinon, nous nous tirons une balle dans le pied pour 2027.

Certains à gauche poussent en faveur d’une primaire. Qu’en pensez-vous ?

Nous ne participerons pas à une primaire. Ce processus ne crée pas de dynamique et il réduit le choix de l’élection présidentielle à une question de casting et pas de projet. Or, le projet est essentiel. Imaginez une primaire allant de Fabien Roussel à Raphaël Glucksmann : nos deux projets sont diamétralement différents et nous ne nous soutiendrons jamais mutuellement dans le cadre d’une campagne de premier tour. Ce processus n’est pas crédible. La gauche a un vrai problème : l’union sans travailler le projet ne peut pas convaincre. Les communistes défendront avant tout un projet écrit avec le plus de mains possibles, crédible, et une candidature de rassemblement. Et nous continuerons de dialoguer avec toutes les forces de gauche pour y travailler.

« Emmanuel Macron tarde tellement à reconnaître l’État de Palestine que le jour où il le fera, s’il le fait, il reconnaîtra un cimetière. » (Photo : Maxime Sirvins.)

La vôtre ?

Je ne parle ni de moi ni d’une autre personne. C’est la question du projet que l’on doit mettre d’abord sur la table. Ce sera aussi une façon d’exposer nos différences sur des sujets fondamentaux comme l’énergie – le nucléaire notamment, ou la guerre. À gauche, nous avons besoin de pousser les débats. La solution, ce n’est pas l’union pour l’union. Il faut faire péter notre plafond de verre. La période qui vient va nous permettre d’approfondir nos désaccords, d’aborder des sujets que les Français ont dans leur tête comme la sécurité ou l’économie de guerre que nous contestons. Je le dis aux autres responsables de gauche : « No stress, on va se parler. » Je suis convaincu que la gauche porte une alternative à la droite et à l’extrême droite et je souhaite que la gauche gagne. Trouvons le meilleur chemin pour y parvenir. Prenons le temps d’en parler.

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Nous ne comptons plus les alertes sur la situation à Gaza. Que faire pour arrêter le génocide en cours ?

La réponse de la France et des pays de l’Union européenne est en dessous de tout. C’est une honte à notre histoire et à tous les combats que la France a pu mener. Plusieurs présidents de la République n’auraient jamais laissé faire ça. Aujourd’hui, Emmanuel Macron tarde tellement à reconnaître l’État de Palestine que le jour où il le fera, s’il le fait, il reconnaîtra un cimetière. Le génocide aura été mis en œuvre jusqu’à son terme. J’ai honte pour lui. J’ai honte pour eux.

Malgré tout, je veux me dire qu’il y a encore de l’espoir. Cela va se jouer dans les jours et les semaines qui viennent. Dans un premier temps, par la reconnaissance de l’État de Palestine par la France. Nous nous sommes tellement battus depuis des années pour cela. Il faudra, quand cela arrivera, le saluer.

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Mais malheureusement, ce n’est qu’un point d’étape, car Benyamin Netanyahou accélère la destruction du peuple palestinien à Gaza, mais aussi en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Donc il faut agir dans deux directions en urgence. D’abord, par l’aide humanitaire pour Gaza et les Palestiniens. Une fois que la France aura reconnu l’État de Palestine, elle doit obtenir immédiatement un mandat de l’ONU pour apporter une aide humanitaire à Gaza. Il faut forcer le passage. Je propose que la France prenne la tête d’une flottille humanitaire et vienne, enfin, en aide aux Palestiniens. Nous devons aussi prendre des sanctions fortes contre le gouvernement israélien pour qu’il mette fin au massacre. La France peut mettre un terme à ses échanges commerciaux et surtout interdire toute livraison d’armes à ce gouvernement.

Vous aviez critiqué la Flottille de la liberté dans laquelle se trouvait Rima Hassan au printemps dernier. Pensez-vous toujours la même chose de la flottille qui partira prochainement de Tunisie ?

Ce n’est plus le sujet. Nous pouvons débattre de l’utilité d’une telle flottille. Mais je veux surtout lui apporter tout mon soutien et ma solidarité aux passagers qui affirment que leur flottille a été frappée par un drone. J’appelle à ce que la France prenne l’initiative d’une flottille humanitaire qui arrivera à bon port, une fois qu’elle aura reconnu l’État de Palestine. Pour faire pression sur le président de la République, nous lançons un appel, avec de nombreux responsables politiques, syndicaux, associatifs, à manifester le dimanche 21 septembre prochain. Soyons nombreux !

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