« Il faut créer un sursaut citoyen » : les nouvelles stratégies du mouvement social

Blocages, sabotages, manifestations, assemblées générales… Avec le mouvement « Bloquons tout », le répertoire contestataire s’enrichit et déborde du seul cadre syndical.

Maxime Sirvins  • 24 septembre 2025
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« Il faut créer un sursaut citoyen » : les nouvelles stratégies du mouvement social
Mouvement "Bloquons tout", le 10 septembre 2025, sur le périphérique parisien, vers la porte de Vincennes.
© Maxime Sirvins

Alors qu’une nouvelle journée de mobilisation se rapproche, le 2 octobre, le mois de septembre a été marqué par les débuts du mouvement social « Bloquons tout ». Le 10 septembre puis le 18, syndicats, collectifs, mouvements militants sont descendus sur les routes et dans les rues.

Après un mouvement contre la réforme des retraites marquées par des manifestations géantes au goût amer de défaite, « Bloquons tout » a multiplié les actions du répertoire militant. Blocages, occupations, désarmements (sabotages), manifestations déclarées et spontanées forment aujourd’hui un ensemble contestataire qui déborde des cortèges traditionnels avec des formes d’actions plus offensives.

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« Le point de départ, c’est de faire vivre la lutte. » Sylvain Dominiak, syndicaliste à Sud-Rail, refuse le « faux dilemme » entre cortèges et actions : « Les manifestations massives sont nécessaires. On pense que la grève et les manifs feront gagner la lutte. » Mais, entre deux dates nationales ou après une assemblée générale, « il faut occuper le terrain et garder les gens mobilisés ». Pour le syndicaliste, faire des actions « un peu pêchues » crée un vrai rapport de force, permet de donner envie de lutter et « de médiatiser des fronts invisibilisés ».

Multiplier les actions

Depuis des années, Sud-Rail multiplie les initiatives « à notre petite échelle », précise Sylvain Dominiak. « On a envahi BlackRock, le siège de SNCF plusieurs fois, on est allés sur les Champs-Élysées perturber un colloque en présence du ministre des Transports, Clément Beaune. » Plus récemment, « on est allés à Bercy pour la mobilisation du 18 septembre 2025 ».

Ces actions sont pensées aussi pour sortir de la bataille du nombre de manifestants entre syndicats et le ministère de l’Intérieur. « C’est de plus en plus commun comme actions et ça permet aussi d’emmener les gens avec nous sur le terrain. » Face à « la répression grandissante en manifestation », ces opérations sont, pour Sylvain Dominiak, complémentaires des cortèges historiques.

Tout est fait pour user les militants.

Sébastien

Du côté d’Extinction Rebellion (XR), Sébastien, un militant de cette organisation citoyenne, inscrit ce basculement dans une logique fondatrice de désobéissance civile non violente. « XR s’est créé sur l’idée que les manifestations classiques ne suffisaient pas. Les gouvernements poursuivaient leurs politiques écocidaires, les entreprises continuaient à détruire. Il fallait créer une confrontation, un sursaut citoyen, et montrer notre légitimité. »

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À visage découvert, pour susciter l’identification et « que chaque citoyen puisse se dire “moi aussi je peux y être” », le mouvement a multiplié ces actions au fil des années. Mais d’après Sébastien, en face, « l’arsenal répressif s’est renforcé et la société l’accepte davantage ». Il cite des gardes à vue prolongées, des déferrements systématiques et des interdictions de manifester. « Tout est fait pour user les militants. » Preuve, peut-être, du rapport de force que ces actions engagent.

Manif-action

« Dans nos actions nationales, il y a souvent une dimension de manifestation au sens classique : marcher ensemble dans de grands cortèges, parfois à plusieurs dizaines de milliers comme à Sainte-Soline », explique Benoît, militant historique des Soulèvements de la Terre, mais on ne parle jamais de simples manifs. » Dans le mouvement, la règle tient en un mot : « manif-action ». Une mobilisation implique alors toujours une action directe collective avec « occupation, blocage ou désarmement, que nous voyons comme la neutralisation matérielle d’un dispositif destructeur ».

On en sort avec la joie d’avoir pesé.

Benoît

La force et la popularité de ces actions tiennent au sentiment d’impact réel. « Contrairement aux manifestations climat d’il y a quelques années où l’on espérait être entendus sans l’être, ici on agit concrètement. À la fin de la journée, quelque chose nous détruira un peu moins : un chantier d’artificialisation arrêté, une usine polluante bloquée, un cours d’eau ou une forêt préservée, une terre rendue à l’agriculture. On en sort avec la joie d’avoir pesé. » Quand « une manif se termine en débâchant une mégabassine illégale » et que « le site devient une fête populaire », raconte Benoît, la puissance collective se recompose.

Construire un rapport de force

Une manière de lutter qui se rapproche beaucoup de celle de la Confédération paysanne. Thomas Gibert, porte-parole du syndicat, rappelle un long fil historique de bocages, d’actions symboliques, voire de détériorations. « C’est dans l’ADN de la Confédération. On peut remonter au labour du Champ de Mars dans les années 1990, au fauchage des OGM, au démontage du McDo, plus récemment au démontage de la salle de traite des mille vaches. »

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En tant que petit syndicat agricole, « on doit faire preuve d’imagination : les actions coups de poing, fauchages, démontages ont permis une grande médiatisation et construisent un rapport de force ». Une manière d’agir qui donne ses résultats pour Thomas Gibert. « Quand la Confédération paysanne parle, on l’écoute, y compris à l’étranger. »

Surtout, insiste-t-il, la synergie est essentielle. « Il y a des endroits où nous pouvons aller et pas d’autres, et inversement pour nos alliés. » Il cite un exemple très concret lors du blocage d’une plateforme logistique Aldi, dans le Tarn. « Les salariés CGT en grève n’avaient pas le droit de bloquer les entrées du lieu. Ce sont les tracteurs de la Confédération qui l’ont fait. Complémentarité concrète, efficacité réelle. »

C’est l’addition des pratiques qui permet d’avoir du poids et d’obtenir des victoires.

T. Gibert

La pluralité des actions est aussi une question de stratégie pour Thomas Gibert. « On n’oppose pas les modes d’action. C’est l’addition des pratiques qui permet d’avoir du poids et d’obtenir des victoires. » Le 14 octobre, le syndicat appelle d’ailleurs à une manifestation contre l’accord UE-Mercosur, avec « une marche de convergence en rassemblant un maximum d’organisations ».

« C’est une réponse au mépris que l’on sent »

À cet ensemble de militants s’ajoute une voix peu entendue : celle des lycéens. « Ce qui caractérise nos luttes, c’est le blocage », explique Antoine*, lycéen parisien en terminale. Un mode d’action qui « rameute » et donne prise dans les luttes.

*

Le prénom a été changé.

« On n’a pas besoin de négocier en amont. On est libres de nos actions, de leur déroulé, et on peut rejoindre ensuite une manif syndicale ou partir en cortège sauvage. » Mais pour lui, le prix est lourd avec « la répression et le maintien de l’ordre utilisé pour nous réprimer ». « Les lycéens, en général, ne sont pas écoutés dans le débat public. Le blocage est devenu l’une des rares expressions possibles. C’est une réponse au mépris que l’on sent. »

Il faut aller plus loin, prendre les choses en main.

Benoît

Une autre motivation pour les militants : rendre visibles des luttes qui le sont peu dans le débat public. « Le fret n’était la priorité ni de la population ni des médias en 2023, note Sylvain Dominiak, et nos actions ciblées ont servi de projecteur. » La question de l’usure militante est aussi pointée du doigt.

« Les manifs du point A au point B finissent par produire de l’ennui et de la résignation », tranche Benoît, qui renvoie à l’épisode de la réforme des retraites. « Après des mois de manifestations massives, le gouvernement a refusé d’entendre. Conclusion : il faut aller plus loin et trouver divers moyens de mettre une pression supplémentaire. »

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Finalement, un mot d’ordre s’impose entre les différentes organisations : tenir. Tenir la rue, les nœuds logistiques et politiques, la grève, un barrage filtrant, un blocus ou un cortège. « On pense tous que, dans la lutte des classes et dans la grève, il faut occuper le terrain, explique Sylvain Dominiak, pour faire vivre les luttes et élargir le cercle de celles et ceux qui s’y reconnaissent. »

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