La France reconnaît l’État de Palestine mais continue de réprimer ses soutiens
Alors qu’Emmanuel Macron prononce, ce 22 septembre, son discours reconnaissant officiellement l’État palestinien, les militants qui dénoncent le colonialisme israélien sont, eux, systématiquement réprimés.

© Maxime Sirvins
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Des préfets, sommés par le ministère de l’intérieur de faire retirer les quelques dizaines d’édiles souhaitant hisser le drapeau palestinien devant leur mairie en ce jour de reconnaissance officielle, jusqu’aux spectateurs du tour de France interpellés par les forces de l’ordre pour avoir porté un keffieh, en passant par l’annulation de conférences, les contraventions et les condamnations pour apologie du terrorisme…
Depuis les attaques du Hamas en Israël, le 7 octobre 2023, l’exécutif fait peser sur la solidarité citoyenne le poids de la suspicion, sinon de la condamnation systématique. L’engagement n’est autorisé que lorsqu’il est mis en scène par l’Élysée dans un spectacle où le chef de l’État s’invente, non sans hypocrisie, sauveur soudain de la Palestine.
« Cette répression exprime pour le moins une énorme contradiction entre la reconnaissance de l’État de Palestine d’un côté et, de l’autre, l’impossibilité imposée aux mouvements de solidarité – qui réclame cette reconnaissance depuis des décennies, de pouvoir s’exprimer librement », condamne François Rippe, vice-président de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS). Politis a pu interroger certains de ses membres, poursuivis ou inquiétés par la justice.
« Ils ont fouillé partout »
Le 11 septembre au matin, Daniel Lévyne entend son téléphone sonner : c’est sa compagne qui essaie de le joindre. Le directeur de publication de l’Union française juive pour la paix (UFJP), une association historiquement antisioniste, est en route pour la Fête de l’Humanité. Il décroche. Elle raconte que sept policiers, en tenue, ont frappé à la porte de leur domicile. Ils voulaient perquisitionner leur logement. Choquée, sa compagne répète au téléphone : « Ils ont fouillé partout ». Les policiers embarquent des affaires personnelles et des documents liés à l’UFJP.
Cette perquisition s’inscrit dans une procédure ouverte un an plus tôt après une plainte pour apologie du terrorisme déposée par une organisation qui a fait de la répression antipalestinienne son cheval de bataille : Jeunesse Française juive. Sur son compte X, la structure partage les éléments de langage de Benyamin Netanyahou, condamne la manière dont France 2 et Envoyé spécial auraient propagé « la propagande du Hamas ». Elle a été créée le 7 octobre 2023.
En cause : deux communiqués publiés par l’organisation. Le premier date du jour des attentats commis par le Hamas. Il rappelle en outre qu’Israël est « la puissance colonisatrice » et que le pays « conforte un régime d’apartheid ». Il précise enfin que l’UJFP n’a pas « forcément un point de vue commun » sur « la stratégie adoptée par le Hamas ». Le second, publié cinq jours plus tard, partage la « légitime émotion » suscitée après « le surgissement d’une violence terrible lors de l’attaque du sud d’Israël par des forces palestiniennes ». Une « émotion qui ne peut cependant faire oublier le contexte dans lequel cette attaque se produit », poursuit l’UJFP.
L’accusation d’apologie du terrorisme, et le fond d’antisémitisme sur laquelle elle repose, percute l’histoire familiale de Daniel Lévyne. « Mon grand-père a été arrêté par les Allemands en février 1944 et n’est pas revenu d’Auschwitz. Lorsque j’ai su qu’une plainte avait été déposée, que j’allais être auditionné, puis perquisitionné, ça m’a fait quelque chose, en tant que juif et membre d’une organisation juive », confie-t-il.
Répression politique
Cette accusation est devenue très courante depuis le 7 octobre 2023. Au 30 janvier 2024, selon des chiffres du ministère de la Justice, au moins 626 poursuites pour apologie du terrorisme avaient été dénombrées. Contacté, le ministère n’a pas répondu à notre demande de chiffres actualisés. Elle vise des figures politiques de premier plan, comme la présidente du groupe insoumis à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, qui a annoncé le classement sans suite de la procédure, l’eurodéputée, Rima Hassan, ou encore le cheminot et candidat à l’élection présidentielle de 2022, Anasse Kazib, dont le procès a été reporté à 2026.
Ce délit, entré dans le Code pénal en 2014 pour faire face au terrorisme djihadiste, est détourné pour servir d’outil de répression politique. Il était vivement contesté par un millier de personnalités, universitaires et militant·es du monde entier, dans une tribune publiée dans nos colonnes, en avril dernier. Le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Jean-Marie Burguburu, a lui aussi exprimé au ministre de la Justice son « inquiétude concernant l’exercice de la liberté d’expression dans notre pays ». « Expliquer ou rendre compte du contexte d’un drame n’est pas l’approuver », argue la CNCDH, dans un courrier daté du 3 avril 2024.
Une inquiétude qui n’a pas empêché, quinze jours plus tard, la condamnation du secrétaire général de la CGT du Nord, Jean-Paul Delescaut, à un an de prison avec sursis – une peine particulièrement forte qui suivait les réquisitions du parquet, après un procès long de six heures. Dans un tract, il affirmait : « Les horreurs de l’occupation illégale se sont accumulées. Depuis samedi [7 octobre], elles reçoivent les réponses qu’elles ont provoquées. » Dénonçant un « procès politique », la CGT avait fait appel de la décision.
Pour la seule manifestation du 12 octobre 2023, la préfecture de police de Paris avait annoncé 3 000 verbalisations.
Omar Alsoumi
« Je n’ai plus de carte bleue »
L’accusation d’apologie du terrorisme ne constitue pas la seule arme pour silencier les discours solidaires avec le peuple palestinien. En plus de la tentative de dissolution d’Urgence Palestine, par le ministère de l’Intérieur, plusieurs milliers de personnes ont été verbalisées lors des manifestations organisées régulièrement par le collectif.
« Pour la seule manifestation du 12 octobre 2023, la préfecture de police de Paris avait annoncé 3 000 verbalisations. Cela représente 400 000 euros d’amende infligée aux manifestant·es », estime l’une de ses figures les plus connues, Omar Alsoumi. L’amende forfaitaire porte le montant de la contravention à 135 €. « C’est énorme pour les personnes présentes aux mobilisations, qui sont souvent des primo manifestants, des quartiers populaires », dénonce le militant.
Omar Alsoumi sait de quoi il parle : ses comptes bancaires ont été gelés au mois de mai dernier. C’est en voulant payer un parking qu’il s’en est rendu compte : sa carte bleue ne passait pas. Le lendemain, la guichetière de sa banque montre sur son écran un encadré rouge clignotant où est inscrit ce message : « votre client fait l’objet d’une mesure nationale de gel des avoirs ».
Son compte courant, celui qu’il partage avec sa compagne, paysanne, et celui de l’association qu’il copréside avec elle sont bloqués. Inaccessibles. « Je suis un père de famille nombreuse, avec des revenus modestes. Et là, les factures et les impayés se sont empilés », décrit-il. Avec son avocate, il finit par obtenir, au bout de plusieurs semaines, un dégel partiel de la part de la direction générale du Trésor.
Le Crédit coopératif ne nous a jamais expliqué ni prévenu en quoi nous allions à l’encontre de leur règlement.
UJFP
Une telle décision ne peut s’appliquer, selon le ministère de l’Économie, que pour « des personnes physiques ou morales […] qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes de terrorisme, y incitent ou y participent ». Or Omar Alsoumi assure n’avoir jamais été poursuivi ou condamné. « C’est une punition mesquine en-dehors de tout cadre de la loi », pointe-t-il.
L’UJFP n’a, elle aussi, reçu aucune explication lorsqu’elle a vu son compte bancaire gelé, fin juillet. « Le Crédit coopératif ne nous a jamais expliqué ni prévenu en quoi nous allions à l’encontre de leur règlement. Il s’abrite derrière le secret bancaire », pointe l’organisation, qui a pu ouvrir un nouveau compte bancaire ailleurs et poursuivre ses activités.
Le flou qui entoure certaines décisions judiciaires ou administratives, plusieurs des étudiants de Sciences Po Paris s’y sont confrontés. C’est le cas de Paul*, un étudiant suspendu pendant un mois l’an dernier. « Il m’est reproché d’avoir été présent à une action où quelqu’un aurait crié ‘Israël assassin, Sciences Po complice’ », explique l’étudiant, qui fait partie de la dizaine d’étudiants bannis de l’établissement, où l’engagement pour la Palestine est important.
Paul dénonce une politique volontariste de la part de la nouvelle direction, incarnée par Luis Vassy, un proche d’Emmanuel Macron. En avril, trois nouveaux étudiants ont été suspendus. « La commission de discipline prend les dossiers sur la Palestine en priorité – bien avant ceux qui concernent des agressions sexuelles », argue-t-il. Comme si lutter contre le colonialisme israélien était le délit public numéro un. Une priorité toute politique, alors que les discours euphémisant ou légitimant le génocide restent, pour l’instant, impunis.
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