Les vendanges, nouvelle complémentaire retraite
Dans le Gers, des retraités complètent leurs revenus en participant aux vendanges. Palliant ainsi, entre ras-le-bol et bonne humeur, la difficile embauche de main-d’œuvre dans le secteur viticole.
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© Simon Renou
Le soleil pointe à peine le bout de son nez sur les coteaux de Maumusson-Laguian, un petit village aux confins du Gers, à l’ouest d’Auch. La brume lèche encore le haut des ceps et, du corps de ferme, s’échappe une odeur qui éveille les papilles. Guy Capmartin, 66 ans, père de Simon, tous deux vignerons et propriétaires du domaine, a manié la poêle tôt ce matin. Sur la table, il a disposé des œufs et de la ventrèche, sorte de bacon local. Il est 7 heures du matin, les lève-tôt auront droit à un morceau, les autres au café.
Les vendangeurs arrivent par grappes, s’installent autour du petit-déjeuner. Ils sont 18. « Cette année encore, j’ai la moitié de locaux, des retraités pour la plupart, explique Simon Capmartin. Heureusement que je peux compter sur eux. Pour les saisonniers, je suis obligé d’en embaucher deux fois plus que nécessaire, car la moitié annule au dernier moment. »
« Je ne recrute quasiment plus que des retraités », abonde Jérémy Estoueigt, vigneron dans le Béarn. « Les vendanges ne durent pas longtemps et, comme on ne peut annoncer leur date exacte qu’à la dernière minute, beaucoup de jeunes préfèrent prendre un boulot plus sûr. » Souvent, elles ne durent que quelques jours, deux ou trois semaines au maximum. Tout dépend de la météo, du degré de maturité du raisin et de l’organisation du domaine. C’est ce qui explique en partie les difficultés de recrutement : les vendanges n’offrent ni la durée ni la régularité de la restauration, par exemple.
« Gâter mes petits-enfants et partir en vacances »
8 heures : c’est l’heure de rejoindre les vignes. Dans les rangs, Brigitte ramasse de la syrah aux grains noirs et juteux qui tachent vite les doigts. En se baissant pour ramasser une grappe tombée au sol, elle raconte qu’elle connaît Simon Capmartin « depuis qu’il est dans le ventre de sa mère ». Elle et sa sœur reviennent chaque année depuis 1982. « C’est mon petit plaisir de l’année, j’aime l’ambiance, rencontrer du monde. Oui, c’est pénible ; à la fin de la journée, on a tous mal au dos, mais ça me fait du bien. Je prends un Doliprane et je reviens ! » Brigitte ne veut pas dire son âge : « T’auras qu’à dire que je suis une vieille peau du madiran et puis voilà. »
Nos petites retraites ne suffisent pas. Alors ça, plus un peu de boulot à côté, ça nous fait vivre.
Brigitte
Comme beaucoup de retraités, elle ne se contente pas de cette semaine de vendanges pour compléter sa pension. Elle fait des ménages et du repassage pour des voisins. « Nos petites retraites ne suffisent pas. Alors ça, plus un peu de boulot à côté, ça nous fait vivre. Moi, je veux surtout pouvoir gâter mes petits-enfants à Noël et partir avec mes frères et sœurs en vacances. »
Le domaine Capmartin compte près de 20 hectares, moitié en machine, moitié en vendange manuelle. « Les coteaux sont trop pentus, on ne peut pas tout faire à la machine », explique le plus jeune des deux propriétaires. Dans la région, la plupart des exploitants ont acheté des machines à vendanger. « La vendange à l’hectare me coûte 400 euros à la machine via un prestataire, contre 1 400 euros à la main, alors le calcul est vite vu, commente le trentenaire. Mais je préfère le rapport humain avec les vendangeurs, même si je suis plus souvent près des cuves que dans les vignes avec eux. »
Patrice, 59 ans, policier à Pau, vendange pour « préparer sa retraite ». Christian, son ami, complète ses 1 250 euros de pension avec les 60 euros gagnés chaque jour dans les vignes. « On fait ça pour payer nos vacances au Pays basque », raconte-t-il. Sa femme, Martine, est cependant restée à la maison : une tendinite au pouce l’empêche de couper. « Ça m’embête, on est habitués à travailler ensemble », soupire Christian.
Plus loin, Cyrille, éducateur sportif de 57 ans, plaisante en lançant à son voisin : « Tu parles trop, tu ne ramasses pas assez vite ! » Lui vendange « pour s’entraîner avant la saison de rugby. Au lieu de soulever des poids, je soulève du raisin. » La convivialité est palpable, mais les conversations glissent vite sur les retraites.
Christian calcule pour ne pas dépasser le plafond fiscal : « On essaye de ne pas faire trop, sinon on paie des impôts en plus. » Brigitte souligne : « C’est pas avec nos pensions qu’on va vivre. Mais ça me suffit si j’ai de quoi inviter ma famille à table. » Patrice et Christian, eux, se laissent aller à des commentaires sur « les jeunes qui ne veulent plus travailler ». « Ils se posent trop de questions. Nous, on coupe le raisin et puis c’est tout », dit le premier. « On leur donne trop alors ils ne bossent pas », ajoute le second, avant de se reprendre : « Je sais que ce n’est pas populaire de dire ça… mais beaucoup le pensent. »
« Payer le bois pour me chauffer cet hiver »
À quelques kilomètres, à Aydie, on retrouve la même scène chez Marie-Laure Plumejaud et Roland Podenas. Dans les rangs, les sécateurs attaquent cette fois du tannat, un cépage noir aux petites baies épaisses. « Ici, on fait du madiran en assemblant le tannat au cabernet, ou du pacherenc, en mélangeant les gros et petit manseng originaires de la région », explique Marie-Laure. À 38 ans, elle mène la troupe avec douceur et humour.
Elle conduit le tracteur, vide les hottes dans les bennes et vendange avec Roland, son associé et ancien président de la Cave de Crouseilles. C’est dans cette coopérative que l’ancienne technicienne et son actuel associé se sont rencontrés. Roland n’a pas d’enfant, la bonne humeur de Marie-Laure et leur bonne entente l’ont convaincu de s’installer avec elle sur ses 20 hectares pour reprendre le domaine.
La convivialité et le vin partagé font oublier un temps les pensions trop basses, les douleurs et la fatigue.
Marie-Laure Plumejaud est l’une des rares femmes de la région à la tête d’un domaine, et surtout l’une des rares à ne pas être issues du milieu agricole. Originaire de Sceaux, en banlieue parisienne, elle raconte avoir fait une « prépa » puis avoir intégré une école d’agronomie à Bordeaux. « Dans le Bordelais, je ne me sentais pas à ma place. Ici, c’est plus authentique, plus paysan. » Ses salariésretraités, elle les connaît bien. « Je les embauche parce qu’ils travaillent bien. Ils sont rigoureux, ponctuels, fidèles. Et on rigole bien. »
Danielle, 71 ans, ancienne postière, fait partie du noyau dur. Elle coupe les grappes sans se ménager, tout en tenant le rôle de boute-en-train du groupe. Elle lance régulièrement des piques à Philippe, son vieux camarade facteur. « Je me la suis coltinée pendant vingt-cinq ans à La Poste, et voilà que je la retrouve dans les vignes », lâche-t-il en riant. Danielle réplique du tac au tac. Les blagues fusent, mais la fatigue se lit sur les corps.
Quand elle parle de sa pension, Danielle ne rit plus. « Après le loyer, la mutuelle, l’électricité, une fois que t’as tout payé, t’as plus rien. Cette année, je travaille pour payer le bois pour me chauffer cet hiver », explique cette divorcée qui continue de travailler pour pouvoir vivre. « Vous savez… J’en ai ras le bol. »
Philippe, son ancien collègue facteur, a 62 ans et pointe à 1 630 euros par mois. « Je ne me plains pas, mais ça ne suffit pas. On n’a pas fini de payer la maison. » Sa femme, Sylvie, 61 ans, n’a que 1 100 euros de retraite. « J’ai élevé trois enfants, travaillé avec des enfants handicapés, et je n’ai pas eu la majoration de 10 % promise pour les familles nombreuses. » Elle sourit en évoquant ses petits-enfants : « On fait ça pour eux. » Yves, ancien viticulteur, complète ses 1 200 euros de retraite en travaillant chez les voisins et en bricolant. « J’ai toujours aimé travailler et aider les autres », dit-il simplement.
Roland, lui, résume d’une phrase sèche : « Les agriculteurs travaillent toute leur vie soixante-dix heures par semaine et finissent avec moins de 1 000 euros de retraite. Avant, les familles s’entraidaient, les grands-parents restaient sur la ferme, les enfants les nourrissaient. Tout le monde continuait à travailler. Ça se fait toujours un peu, mais ça ne marche plus vraiment. »
Le soir, chacun rentre chez soi. Les seaux, les hottes et les dos ont tenu une journée de plus. La convivialité, les plaisanteries et le vin partagé à midi font oublier, un temps, les pensions trop basses, les douleurs et la fatigue. Mais à mesure que la brume retombe sur les coteaux, une évidence s’impose : derrière l’image joyeuse des vendanges, ce sont bien les retraités qui tiennent aujourd’hui à bout de bras une partie de la viticulture du madiran.
• 20 % des saisonniers agricoles ont plus de 60 ans (Agreste 2023).
• 30 % des postes de vendangeurs sont restés non pourvus en 2024 (Syndicat des vignerons indépendants).
• 4 vendangeurs sont morts en Champagne en 2023, dans un contexte de fortes chaleurs.
• 28 % de la population gersoise a plus de 65 ans (Insee 2023).
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