Lecornu, le dernier des macronistes pour enterrer la Macronie
En appelant Olivier Faure avant de nommer Sébastien Lecornu à Matignon, Emmanuel Macron a offert à la gauche un court instant de vertige, suivi d’une claque. Lecornu, ministre des Armées, figure discrète mais loyale du macronisme, incarne moins un nouveau départ qu’une fin de cycle.

© Bertrand GUAY / AFP
C’est une séquence qui, à elle seule, pourrait résumer l’état politique du macronisme finissant. Une séquence digne d’un théâtre absurde, où la gravité le dispute au grotesque. Lorsque le président de la République décroche son téléphone pour appeler Olivier Faure, chef des socialistes, on imagine ce dernier suspendu à l’instant, entre incrédulité et espoir, croyant – une seconde, pas plus – que le chef de l’État s’apprête à lui proposer Matignon. L’idée a dû le traverser comme un courant glacé, lui faisant entrevoir, l’espace d’un souffle, un basculement.
Et puis non. Retour brutal à la réalité. Emmanuel Macron n’appelle pas pour offrir, il appelle pour signifier. Pour consulter, pour cocher la case « dialogue », tout en préparant l’exact inverse. Car ce n’est pas Olivier Faure qui hérite de Matignon, mais Sébastien Lecornu. Le dernier des macronistes. Le plus loyal. Le plus malléable aussi. Un homme de confiance, parce qu’il ne trouble jamais la ligne présidentielle. Le choix de Lecornu est tout sauf neutre.
Avant lui, Emmanuel Macron aura tout tenté – ou feint de tenter. Il y eut d’abord Élisabeth Borne, fausse figure d’ouverture, technocrate issue de la gauche passée à droite par les couloirs du pouvoir. Elle a incarné le macronisme de gestion, brutal et sourd, jusqu’à l’épuisement. Entre-temps, Gabriel Attal n’aura été qu’un pari de communication : un passage éclair à Matignon, marqué par une agitation de surface et un pouvoir sans prise. Puis il y a eu Michel Barnier, caution LR, supposé ramener l’ordre parlementaire : il n’a tenu que quelques mois, emporté par une censure sans appel.
Usure politique
François Bayrou ensuite, centriste historique, garant moral d’un régime sans boussole, n’aura été qu’un sursis, une respiration creuse dans un quinquennat à bout de souffle. Avec Lecornu, Macron ne cherche plus à composer : il se replie. Il se blinde. Lecornu, c’est la citadelle. Le choix du contrôle, pas de l’ouverture. Le signe qu’il ne gouverne plus qu’avec ses fidèles, en espérant encore tenir un équilibre devenu intenable.
Ce gouvernement Lecornu ne sera qu’un gouvernement de plus dans la longue lignée des exécutifs de droite depuis 2017, sous une autre forme, mais sans inflexion.
Ancien ministre des Armées, réputé fin politique, « à l’écoute » des oppositions selon la légende médiatique – jusqu’à dîner tranquillement avec Marine Le Pen –, il reste d’abord et avant tout un homme de droite. Une droite technocratique, gestionnaire, parfaitement alignée sur l’agenda macronien : rigueur budgétaire, ordre, attractivité néolibérale. Quelles garanties peut-il donc offrir à la gauche ? Aucune. Et c’est bien là que le choix devient une forme d’humiliation pour une partie de la gauche qui a été tentée de croire que son heure était venue. Pour tous ceux qui avaient cru, ne serait-ce qu’un instant, à un changement de cap.
Ce gouvernement Lecornu ne sera qu’un gouvernement de plus dans la longue lignée des exécutifs de droite depuis 2017, sous une autre forme, mais sans inflexion. Dans ce contexte, il est presque inévitable que ce nouveau premier ministre – qui ne se risquera sans doute pas à un vote de confiance – se heurte à une motion de censure, peut-être même lors des débats budgétaires prévus dans quelques semaines, voire avant. Les équilibres parlementaires n’ont pas changé, mais l’usure politique, elle, est palpable. Le pays est las, tendu, fracturé. La rue gronde à nouveau, et le mouvement « Bloquons tout », ainsi que l’appel des syndicats à la grève le 18 septembre risquent de trouver un écho bien plus large que prévu.
Il ne reste plus grand-chose du macronisme. Un président sans majorité, un gouvernement sans perspectives.
Le paradoxe est cruel : en nommant Lecornu, Macron croit stabiliser. En réalité, il précipite. Car après Lecornu, que restera-t-il ? Quelle cartouche encore à tirer ? La dissolution ? Mais que réglera-t-elle ? Rien. Les sondages récents — et notamment celui de Cluster 17 – indiquent un recul, même modeste, du Rassemblement national, tandis que le Nouveau Front populaire talonne l’extrême droite – malgré l’unanimisme de plateau qui prédit un raz-de-marée lepéniste. En réalité, les équilibres seraient inchangés. Le blocage institutionnel, reconduit.
Alors peut-être assistons-nous aux derniers actes du quinquennat Macron. Bayrou a compris qu’il était temps de préparer sa sortie. Le président, lui, semble organiser la sienne. Non pas avec panache, ni avec audace, mais avec cet entêtement obstiné qui précède les chutes. Il ne reste plus grand-chose du macronisme. Un président sans majorité, un gouvernement sans perspectives, un peuple sans confiance. Et un dernier fidèle, Sébastien Lecornu, pour porter l’ultime flambeau d’un pouvoir qui s’éteint sans éclat.
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