Polémique Bernard Arnault : non, la taxe Zucman n’est pas confiscatoire

Le magnat du luxe voit le prélèvement de 2 % comme une attaque « mortelle contre l’économie française ». Elle ne serait pourtant que le rattrapage d’une anomalie fiscale persistante : les plus riches paient en réalité une part d’impôt inférieure à celle des classes moyennes et populaires.

Jérôme Gleizes  • 23 septembre 2025
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Polémique Bernard Arnault : non, la taxe Zucman n’est pas confiscatoire
© Guillaume Deleurence

La controverse entre l’économiste Gabriel Zucman et Bernard Arnault, première fortune française et parfois mondiale, illustre à elle seule ma chronique du 17 février 2025, « Défaire la ploutocratie ». Le polytechnicien devenu magnat du luxe après avoir racheté et morcelé le groupe textile Boussac traite de « militant d’extrême gauche » le normalien, professeur à l’Université de Berkeley, à la London School of Economics et à l’ENS Ulm.

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Il dénonce la « taxe Zucman » comme une attaque « mortelle pour l’économie française » alors qu’elle était défendue par sept Prix Nobel d’économie dans une tribune publiée dans Le Monde en juillet dernier ! Nous sommes loin d’une expropriation pour plutôt rétablir une justice fiscale, sans commune mesure avec les dispositifs vraiment confiscatoires du passé, comme celui du président des États-Unis d’Amérique, Franklin D. Roosevelt, qui porta le taux marginal de l’impôt sur les plus hauts revenus à 91 % en 1941.

Restaurer l’équité fiscale

Dans sa version adoptée à l’Assemblée nationale en 2025, ce nouvel impôt s’applique uniquement aux patrimoines nets, qu’ils soient immobiliers ou professionnels, supérieurs à 100 millions d’euros. Son mécanisme repose sur un principe de rattrapage : il garantit que le total des impôts acquittés par les ultra-riches atteigne au moins 2 % de la valeur du patrimoine concerné.

Si la somme de ces contributions est inférieure à ce seuil, la taxe Zucman complète la différence pour atteindre ce niveau plancher. Il ne s’agit donc pas d’un prélèvement confiscatoire absolu, mais d’un impôt différentiellement ajusté pour restaurer l’équité fiscale face aux effets de l’optimisation des plus grandes fortunes françaises.

La concentration des richesses surpasse de loin la croissance économique globale du pays.

Ce rattrapage résulte d’une anomalie fiscale persistante : les plus riches paient en réalité une part d’impôt inférieure à celle des classes moyennes et populaires, alors que le principe de progressivité de l’impôt voudrait que la charge fiscale augmente avec la richesse. Selon une étude de l’Institut des politiques publiques (note n° 92 de l’IPP) « le taux d’imposition global devient régressif, passant de 46 % pour les 0,1 % des foyers les plus riches à seulement 26 % pour les 0,0002 % les plus riches ».

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Cette inversion s’explique par la composition des revenus au sommet de la pyramide économique, majoritairement constitués aujourd’hui de bénéfices non distribués issus des sociétés détenues par ces fortunes, lesquels ne sont imposés qu’au niveau de l’impôt sur les sociétés, dont le taux est sensiblement inférieur à celui de l’impôt sur le revenu. Ainsi, les milliardaires acquittent relativement peu d’impôt personnel direct.

Un patrimoine des 500 plus grandes fortunes multiplié par 14

Surgit alors Mistral AI, valorisée à plus de 11,7 milliards d’euros en deux ans. Elle est régulièrement citée comme contre-exemple pour relativiser la nécessité d’une taxe sur les très grandes fortunes. Si son ascension fulgurante témoigne d’une réelle capacité d’innovation et de succès entrepreneurial, elle reste néanmoins une exception dans le paysage patrimonial national.

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Car le patrimoine des 500 plus grandes fortunes a été multiplié par plus de 14 depuis les années 1990, avec une croissance annuelle de 9,55 %, alors que le PIB français n’a progressé que d’un facteur 2,4 (3,06 % par an) sur la même période. L’exception Mistral AI ne suffit donc pas à masquer la dynamique de concentration des richesses, devenue structurelle, qui surpasse de loin la croissance économique globale du pays.

Prélever 2 % au cas où aucun impôt ne serait payé n’empêchera pas d’accroître le patrimoine des 500 premières fortunes.

Prélever 2 % au cas où aucun impôt ne serait payé n’empêchera pas d’accroître le patrimoine des 500 premières fortunes, et si ce patrimoine est trop sensible à la valorisation boursière, alors il suffirait de le lisser dans le temps.

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