À Châteaugiron, « on est fiers d’avoir créé ce village des indignés »

Dans le sillage de la mobilisation du 10 septembre, un « village des indignés » a vu le jour en Ille-et-Vilaine. L’initiative a pour but de pouvoir pratiquer l’exercice démocratique du débat et de porter la voix de la ruralité.

Marie Roy  • 24 septembre 2025 abonné·es
À Châteaugiron, « on est fiers d’avoir créé ce village des indignés »
Tous les interlocuteurs rencontrés estiment que le principal bénéfice du village est de créer du lien et de nouveaux réseaux de solidarité.
© Marie Roy

Pour arriver au village des indignés, il faut emprunter la D92, longer Châteaugiron, une commune située à une trentaine de kilomètres au sud de Rennes, et laisser derrière soi le centre commercial Univer. En voiture, le village accroche directement l’œil avec ses barnums et ses banderoles, dont l’une exhorte les conducteurs à klaxonner s’ils soutiennent l’initiative. Ce que les automobilistes ne manquent d’ailleurs pas de faire régulièrement.

Ce dimanche 21 septembre, le village est en pleine effervescence : on y prépare le grand banquet des indignés. La date n’a pas été choisie au hasard puisqu’il s’agit de l’anniversaire de l’abolition de la monarchie. Un prétexte tout trouvé pour se rassembler, une soixantaine de citoyens ont répondu présents.

« On sent la montée du fascisme et ça me glace »

Avant le repas, des personnes prennent le micro. Certaines font part de leur inquiétude : « On sent la montée du fascisme et ça me glace. » D’autres expriment leur fierté d’avoir réussi à monter et faire fonctionner ce village des indignés. Car cela fait maintenant treize jours qu’il se tient sur le bord de la départementale.

« Tout découle du mouvement “Indignons-nous” du 10 septembre », expliquent Guillaume et Julien, deux quadragénaires membres de la commission communication du village des indignés. « Avant cette date, il y a eu beaucoup d’échanges, notamment avec les collectifs citoyens de Châteaugiron et de La Roche-aux-Fées, pour savoir ce qu’on allait faire. On a finalement décidé d’organiser un barrage filtrant, juste là », indique Julien en montrant du doigt le rond-point du centre commercial Univer.

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Mais le 10 septembre, tout ne se passe pas comme prévu : les forces de l’ordre sont présentes et empêchent le barrage filtrant. Quelques heures plus tard, une manifestation se déroule dans Châteaugiron, mais encore une fois les policiers sont là. « Ils ont bouclé la commune, personne ne pouvait entrer. Il y a donc bien eu une manifestation mais personne ne l’a vue : on a été invisibilisés », s’offusque Guillaume.

Le fait d’avoir été invisibilisés nous a motivés à garder cet espace pour que l’on puisse nous voir.

Guillaume

En parallèle de ces actions, une base arrière est installée sur un champ prêté par un agriculteur. Elle sert alors de lieu de repli et d’organisation logistique. « On était assez fiers d’avoir réussi à monter des barnums et des toilettes en une seule journée », se souviennent les deux hommes. Et, c’est au moment de faire le bilan des actions du 10 septembre qu’il a été décidé de garder cette base arrière et d’en faire un village des indignés. « Comme on ne peut plus s’exprimer dans l’espace public, on a décidé de le faire dans l’espace privé. Le fait d’avoir été invisibilisés nous a motivés à garder cet espace pour que l’on puisse nous voir. »

Depuis, une permanence est assurée 24 heures/24 pour accueillir qui le souhaite. L’idée est d’avoir un lieu où échanger et des « causeries » se tiennent tous les jours en fin de journée. Le lieu est structuré grâce à l’existence de quatre commissions ayant pour thème la communication, les formations/causeries, les actions et enfin l’animation des assemblées générales et des assemblées populaires.

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Des événements plus ponctuels sont organisés, comme une manifestation à vélo pour le 18 septembre ou le banquet du jour. Parmi les participants se trouvent des informaticiens, des autoentrepreneurs, des ouvriers agricoles, des comédiens, des chercheurs, des personnes sans emploi, des paysans, des professions libérales, des ouvriers du bâtiment ou encore des retraités. L’ambiance est bon enfant et nombreux sont ceux qui sont venus en famille.

Au-delà des revendications, un lieu pour débattre

À l’image du mouvement « Indignons nous », les revendications sont diverses. Maria, la cinquantaine, est venue pour montrer son opposition à « la loi Duplomb et à l’inaction écologique ». C’est grâce aux collectifs citoyens écologistes qu’elle a entendu parler du village. Quelques pas plus loin, David, qui est aussi là grâce au bouche-à-oreille, explique sa mobilisation : « Je suis né en 1991 et à l’époque la devise “Liberté, égalité, fraternité” était fragile mais pas bafouée. Si je suis présent aujourd’hui, c’est que je veux éviter qu’on en arrive à “Travail, famille, patrie”. » Tous les deux participent pour la première fois à une action militante.

Jusque-là, on n’avait pas d’endroit pour se retrouver. Là, c’est un peu comme une maison du peuple.

Eléa

Sur les tracts du village figure aussi la lutte pour une meilleure justice fiscale, sociale et environnementale. La guerre à Gaza est également évoquée par des participants du banquet. Les valeurs et les discours des personnes rencontrées résonnent clairement à gauche, même si la chose n’est pas forcément revendiquée : « L’autre jour, une personne de droite s’est arrêtée pour débattre avec nous, ça s’est très bien passé. »

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Au-delà des revendications, ce qui forge l’âme du lieu est sa vocation à débattre : « Jusque-là, on n’avait pas d’endroit pour se retrouver. Là, c’est un peu comme une maison du peuple », s’enthousiasme Eléa*. Et de fait, avec la diminution des commerces de proximité, les lieux d’échanges se sont éteints. En 1960, la France comptait 200 000 cafés et bistrots contre 38 800 en 2023. Ce qui n’est pas sans conséquence pour le débat démocratique, surtout dans les périodes de crise.

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Le prénom a été modifié.

D’ailleurs, tous les interlocuteurs rencontrés estiment que le principal bénéfice du village est de créer du lien et de nouveaux réseaux de solidarité : « Le périurbain et la campagne sont trop souvent rattachés à la droite et à l’extrême droite. Les gens qui ne sont pas de ces bords-là doivent y être plus visibles », appuie Guillaume.

« On veut aussi prouver qu’on peut faire de la politique »

La dimension rurale est également l’un des enjeux de ce village. « On veut aussi prouver qu’on peut faire de la politique ici et être dans la cité », déclare Estelle. Dans cette optique, il avait été décidé, pour le 18 septembre, de ne pas rejoindre la manifestation rennaise mais d’organiser une manifestation de 35 kilomètres à vélo. « On s’est dit qu’on devait montrer nos revendications sur notre territoire », abonde Guillaume.

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Et si le mouvement s’est construit en dehors de structures traditionnelles de types parti ou syndicat, c’est que les membres du village ne s’y reconnaissaient pas. Julien et Guillaume, de la commission communication, précisent bien qu’il n’y a aucun lien entre Françoise Gatel, ministre démissionnaire chargée de la Ruralité, du Commerce et de l’Artisanat, maire de Châteaugiron de 2001 à 2017 et actuellement sénatrice de l’Ille-et-Vilaine, et la construction du village des indignés, mais la coïncidence amuse.

Mais, concrètement, le village a-t-il un avenir ? « Avoir une permanence jour et nuit est très contraignant », note Maria, qui a plusieurs fois pris son quart de garde. « On n’a pas envie de démonter les barnums », glisse néanmoins Julien. Ce soir-là, l’assemblée a tranché et a décidé de maintenir le village mais d’aller vers une installation en dur. Les indignés y sont, ils y restent.

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