Soutien, accompagnement, hésitation… La gauche et les syndicats face au 10 septembre
Des partis de gauche et plusieurs syndicats soutiennent le mouvement du 10 septembre qui appelle à « tout bloquer ». Un moment politique à saisir autant qu’un pari à prendre sur une mobilisation aux contours non définis.
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« La chute de Bayrou serait la première victoire du mouvement du 10 septembre » 10 septembre : au rendez-vous de la colère « Les initiatives citoyennes disent et font plus que les organisations traditionnelles »La période estivale est souvent un retour aux sources et au calme après les tumultes de l’année. Pas forcément de questionnement existentiel. Pourtant, les organisations de gauche et syndicales ont bien été obligées de passer par là durant la canicule éternelle du mois d’août. Que faire d’un mouvement, « Bloquons tout », né sur les réseaux sociaux et dans les canaux Telegram proches de mouvements souverainistes, d’extrême droite, mais qui, vite, est devenu le catalyseur d’une colère qu’elles sont censées incarner et défendre ?
Il y a sept ans, la gauche et les organisations du mouvement social se posaient à peu près la même question. Les gilets jaunes étaient alors soutenus par Marine Le Pen. La gauche, y compris radicale, était restée prudente vis-à-vis de cette mobilisation.
Cette fois, le triple candidat à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon clôt le débat. « Si vous attendez que les masques soient purs et sur un régime et sur un programme révolutionnaire, vous risquez d’attendre fort longtemps et en vain, explique le fondateur de La France insoumise (LFI), en paraphrasant Lénine, à la tribune lors des universités de son mouvement le 22 août. Le peuple est le peuple, il ne se met pas en mouvement pour une doctrine, il ne se met pas en mouvement pour un dogme, il se met en mouvement avec des objectifs précis et ce sont donc les objectifs précis qu’il faut examiner. »
Un « cadeau » pour la gauche
Pour les mélenchonistes, la conscientisation politique permise par l’ampleur de ce mouvement permettra même d’évacuer les revendications assimilables à l’extrême droite. « L’intensification de cette mobilisation, la conscientisation qui se créera, produira des mots d’ordre politiques qui sont à l’opposé de ce que l’extrême droite défend. C’est pour ça que le Rassemblement national a peur et qu’il ne soutient pas cette mobilisation. Il n’a pas intérêt à ce qu’il y ait un mouvement de masse, parce qu’il pourrait aussi se retourner politiquement contre lui », prédit le député Hadrien Clouet, qui, comme de nombreux autres députés insoumis, a intégré une boucle Telegram locale.
Les insoumis voient dans le 10 septembre une forme de « censure populaire » de François Bayrou. En le soutenant complètement, quitte à être accusés de récupération, ils se positionnent comme une force d’opposition puissante dans le pays. Profitant même d’un espace politique laissé vacant par l’extrême droite, qui, tout acquise à sa stratégie de normalisation, a choisi de mépriser la mobilisation.
Les insoumis ont-ils en tête la prochaine présidentielle ? En prenant le train du 10 septembre et de toutes les mobilisations qui suivront, Jean-Luc Mélenchon et les siens voudraient ainsi capter dans le pays une majorité populaire qui leur permettrait d’accéder au second tour en 2027. Ne se présentent-ils pas comme les seuls défenseurs du peuple ? Pour le reste de la gauche, on se cantonne à un seul objectif : offrir des réponses politiques à cette mobilisation. « Nous appelons à être très mobilisés dans la période qui s’ouvre. Il faudra participer à cette mobilisation populaire et donner des perspectives de fond », avertit Guillaume Roubaud-Quashie, membre de l’exécutif du Parti communiste français (PCF).
En prenant le train du 10 septembre, LFI voudrait capter une majorité populaire pour accéder au second tour en 2027.
Pour le moment, les débouchés politiques peinent à apparaître dans le débat public. Mais certains appellent la gauche à se saisir du moment qui place la question sociale et fiscale au-devant de la scène. « C’est un retour au débat droite/gauche : la justice fiscale contre la réduction des dépenses de l’État, expose le député socialiste Laurent Baumel. Avec l’entrée en scène des classes populaires et moyennes dans ce type de mouvement, la gauche a intérêt à épouser ce moment politique pour dire qu’elle est porteuse d’une alternative. »
L’ex-insoumis François Ruffin est persuadé que ce moment politique est un cadeau fait à la gauche : « Cette question “Qui doit payer ?”, nous la posons et nous y répondons depuis longtemps. Et nous y répondons même, miracle, unis : socialistes, communistes, écologistes, insoumis… Et nous y répondons non pas isolés de la société, mais en nous appuyant sur des intellectuels mondialement reconnus : Camille Landais, Thomas Piketty, Gabriel Zucman… »
Du côté des syndicats dits de « transformation sociale », on montre aussi qu’on a bien appris la leçon des gilets jaunes. Plus question de se boucher le nez à l’égard d’un mouvement qui sort des routines syndicales – en organisant une mobilisation un mercredi, et dont les revendications, floues, dépassent largement le seul monde du travail. Solidaires, suivi rapidement par la CGT et, plus timidement, par la FSU, appelle donc à accompagner ce mouvement « citoyen ».
« Avec les gilets jaunes, on avait raté le coche, indéniablement, alors que, toutes les études l’ont montré, les questions sociales étaient au cœur de cette mobilisation », souligne Denis Gravouil, membre du bureau confédéral du deuxième syndicat du pays, qui fête ses 130 ans cette année. Dans les faits, de plus en plus de fédérations ont déposé des préavis de grève pour permettre au plus grand nombre de salariés de se mobiliser le 10.
Mais ce soutien cache mal une forme de léger malaise, même au sein de ces trois organisations syndicales. En témoigne l’importante communication en faveur de l’appel intersyndical à une grande journée de grève interprofessionnelle le 18 septembre – un jeudi, donc. Dans les éléments de langage, le 10 septembre ne serait alors qu’une « première étape ». Une manière, à demi-mot, d’enjamber cette date pour reprendre le contrôle la semaine suivante dans un format qui correspond davantage aux habitudes du monde syndical. Et d’inclure des organisations – CFDT en tête – qui ont rapidement pris leurs distances avec le mouvement « Bloquons tout ». « La CFDT ne s’y joindra pas, parce que les modes d’action privilégiés ne sont pas les nôtres. Tout bloquer, la désobéissance, ce n’est pas la méthode CFDT », affirme, dans un entretien au Monde, Marylise Léon.
« Mouvement non identifié »
Une pusillanimité qui résonne aussi avec plusieurs réactions politiques. Comme au Parti socialiste (PS), qui soutient la mobilisation même si certains cadres restent timorés. « Cette colère est compréhensible. Mais cet objet de contestation non identifié, qu’il faut regarder avec intérêt et bienveillance, est à prendre avec précaution. Les syndicats devraient guider la mobilisation. Et même Force ouvrière est plutôt réservé. Je n’apporte pas de soutien infaillible à un mouvement non identifié », avance un cadre du PS.
En creux, les socialistes craignent la récupération de ce mouvement par LFI. Soucieux de conserver une image de parti de gouvernement, les roses ne veulent pas pleinement s’associer au mot de « blocage », un terme politiquement flou selon eux. Raphaël Glucksmann et Place publique vont même plus loin. Le social-démocrate ne voit pas l’intérêt d’une telle mobilisation dans un contexte d’instabilité politique. « Le 8 septembre, le premier ministre va tomber. À quoi sert un mouvement “Bloquons tout” ? Le but, ce n’est pas le chaos », a estimé l’eurodéputé le 27 août sur France 2.
Même au sein des Écologistes, le soutien au 10 septembre ne se fait pas sans certaines réserves. « On a eu des interrogations, explique Olivier Bertrand, chargé des élections pour les Écologistes. Nous soutenons cette mobilisation, car les revendications sont légitimes et qu’il y a une incapacité de bouger par la voie institutionnelle. Le blocage est aussi une voie très intéressante, mais peut-être que le cadre manque, il y a un petit risque que ces mouvements alimentent d’une certaine façon l’extrême droite. »
Soucieux de conserver une image de parti de gouvernement, le PS ne veut pas pleinement s’associer au mot de « blocage ».
Une lecture complètement rejetée par les insoumis. « Les gilets jaunes étaient organisés, il y avait des assemblées, des cahiers revendicatifs. C’est à nous d’essayer, par tous les moyens, de donner à cette mobilisation des débouchés politiques », considérait un membre de la direction de LFI à la fin de l’été. Au risque, aussi, d’en faire un mouvement uniquement mélenchoniste.
Dans une étude parue ce lundi 1er septembre, la Fondation Jean-Jaurès, qui a réalisé une première enquête par questionnaire sur le mouvement du 10 septembre, estime que 69 % des membres de « Bloquons tout » ont voté Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle 2022.
Objet de conflit pour les uns, trophée social à ne pas louper pour les autres, « Bloquons tout » attise la curiosité ou le rejet des formations de gauche, prises dans leur bataille interne. Au risque de passer à côté d’un élan dont les revendications – les inégalités sociales, la protection de l’environnement et le pouvoir d’achat, selon l’étude de la Fondation Jean-Jaurès – offriraient pourtant une alliance de circonstance.
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