« À Tel-Aviv, une demande de fin de guerre se fait peu à peu entendre »

Sarah* est née à Tel-Aviv, ville où elle exerce son métier de psychothérapeute. Elle témoigne ici de sa sidération au matin du 7-Octobre et tente de garder espoir pour les Palestiniens et la société israélienne.

• 6 octobre 2025
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« À Tel-Aviv, une demande de fin de guerre se fait peu à peu entendre »
Des militants de gauche israéliens manifestent en soutien aux civils palestiniens de la bande de Gaza et contre le gouvernement israélien, devant le centre médical Sourasky - Ichilov, à Tel Aviv, le 25 août 2025.
© GIL COHEN-MAGEN / AFP

Psychothérapeute à Tel-Aviv, Sarah* revient sur l’état émotionnel dans lequel elle était le 7 octobre 2023, tout en évoquant son incrédulité et son désespoir de femme de gauche. Deux ans après, elle aperçoit une fragile lumière dans les manifestations pour les otages d’abord, puis, peu à peu, pour les Palestiniens, malgré la propagande et la répression.

*

Le prénom a été modifié.


Le 6 octobre 2023, j’étais en voyage avec ma famille en Galilée (nord d’Israël) pour la fête de Sim’hat Torah. Une douce brise d’automne commençait à souffler. Lors d’une promenade près de Safed, bien qu’étant laïque, je suis entrée visiter le tombeau d’un des disciples de Hillel le Sage. Le lieu, construit en pierre ancienne avec des fenêtres cintrées, était baigné d’une agréable et douce lumière d’après-midi, renforçant ainsi le sentiment de calme et d’optimisme.

Le lendemain matin, à 6 h 29, l’État d’Israël, avec toutes ses croyances, ses valeurs, ses espoirs, s’est effondré. Nous nous sommes réveillés avec des images de gens fuyant dans un champ. Des terroristes en uniforme militaire, armés de kalachnikovs, circulaient dans les kibboutz du Néguev et tiraient dans toutes les directions, s’introduisant dans les maisons, blessant, tuant et mettant le feu.

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Sur WhatsApp, je reçois des photos de retraités en tenue de randonnée, baignant dans leur sang. Au début, j’hésite à croire que cela se passe en Israël. Je cherche des indices qui suggèrent que cela se passe dans un autre pays, peut-être sur une autre planète. Mais, petit à petit, ma dernière barrière de défense a été brisée.

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On a beaucoup parlé du terrible traumatisme, je n’en dirai rien de plus, faute de pouvoir décrire la barbarie des viols, meurtres et enlèvements. Des témoignages, photographiés ou enregistrés, de mères demandant à leurs enfants de se cacher dans une armoire, alors que leur père assassiné gisait au sol. Jamais je n’ai entendu des enfants raconter avec autant de naturel, comme s’il s’agissait d’une routine, la mort de leur proche. La banalité de la mort prenant le pas sur la banalité du mal.

Je peux décrire le sentiment d’effondrement qui perdure encore aujourd’hui, alors qu’il semble qu’il n’y a plus rien à détruire. Mais si ! On peut descendre encore plus bas, vers le désespoir, vers une impuissance paralysante, face à l’abandon par notre gouvernement des valeurs avec lesquelles j’ai grandi, d’humanité et de compassion.

À partir du 8 octobre, l’angoisse a fait naître, ou plutôt resurgir, une haine primitive et un désir de vengeance – détruire, écraser et anéantir. Et comme dans le livre de J. M. Coetzee, En attendant les barbares, on ne savait plus qui était les plus barbares : eux ou nous. L’inquiétude pour les otages a suscité des interrogations : était-il juste de détruire un lieu où se trouvent nos concitoyens ?

Une poignée de manifestants ont osé protester contre la poursuite de l’occupation et contre les crimes de guerre.

Ces voix ont été accusées d’hérésie et de trahison, et diverses tentatives ont été menées pour les réduire au silence : arrestations arbitraires par la police d’un gouvernement qui ne voit que l’intérêt étroit de se maintenir au pouvoir, fermant les yeux sur le terrorisme des colons qui attaquent les Palestiniens en Cisjordanie et intensifiant les combats à Gaza.

Depuis deux ans, des citoyens sortent chaque samedi soir pour manifester pour le retour de tous les kidnappés, même au prix de la fin de la guerre. En marge de ces manifestations, une poignée de manifestants ont osé protester contre la poursuite de l’occupation et contre les crimes de guerre, les massacres aveugles et la famine délibérée. Ces faits n’ont commencé à être révélés que ces derniers mois dans certains médias (la majorité ne parlant pas des atrocités commises à Gaza). Et, peu à peu, une demande de fin de guerre s’est fait entendre.

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De telles positions de gauche peuvent encore vous faire passer aux yeux du public pour un anti-israélien, mais j’ai le sentiment qu’une vision plus complexe s’impose. Des professionnels de la santé ont commencé à appeler à rompre le silence et à susciter de l’empathie pour les civils bombardés, et à tenter d’obtenir une assistance médicale. Cependant, cette voix reste faible, exprimée avec inquiétude face aux « taupes » qui pourraient signaler les faits et entraîner dénonciation et arrestation.

Ce cauchemar a illustré à mes yeux la vanité de la haine et de la vengeance.

Parallèlement, des parents de soldats réclament la fin de la guerre, conscients que leurs enfants sont appelés à accomplir des missions illégales. Quand on m’a demandé d’écrire ce témoignage, j’ai rêvé la nuit suivante que j’étais à l’hôpital, accompagnant mon enfant mourant, debout à son chevet. À côté de moi se trouvaient des familles palestiniennes, elles aussi avec leurs enfants mourants. Nous sommes là, unis, impuissants, attendant leur mort en silence.

Ce cauchemar a illustré à mes yeux la vanité de la haine et de la vengeance. La situation reste très décourageante, et le seul moyen de l’apaiser un peu est de participer chaque semaine aux rassemblements appelant au retour des otages et à la fin de la guerre. Là, je suis à nouveau pleine d’espoir, convaincue qu’il existe encore des personnes pour qui l’humanité a un sens.

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