Abandon du 49.3 : la gauche ne tombe pas dans le piège de Sébastien Lecornu

En renonçant à cet article constitutionnel très critiqué, le premier ministre accède à une demande de la gauche. Mais elle a très bien compris que Sébastien Lecornu ne veut surtout pas de rupture politique sur le fond.

Lucas Sarafian  • 3 octobre 2025 abonné·es
Abandon du 49.3 : la gauche ne tombe pas dans le piège de Sébastien Lecornu
Marine Tondelier, Cyrielle Chatelain (2e à gauche), David Cormand (à gauche) et Guillaume Gontard, représentants des Écologistes, avant une réunion avec Sébastien Lecornu à Matignon, Paris, ce 3 octobre 2025.
© Anne-Christine POUJOULAT / AFP

Un piège. En s’avançant dans la cour de Matignon à 8 h 45 ce 3 octobre, Sébastien Lecornu a en tête une idée qui pourrait bien faire dérailler le jeu politique. « Nous sommes dans le moment le plus parlementaire de la Ve République », dit-il. Après quatre minutes, il annonce renoncer au 49.3, cet article constitutionnel qui permet à l’exécutif de couper de force le débat au Parlement en engageant la responsabilité du gouvernement.

À quelques heures des dernières consultations avec l’opposition, le premier ministre vient de transformer ces rendez-vous de la dernière chance en parties de poker. En renonçant à cet article honni par toute la gauche, il accède notamment à l’une des demandes d’Olivier Faure, le patron du Parti socialiste (PS). Alors en arrivant dans la rue de Varenne ce matin, les roses sont certainement conscientes qu’elles se jettent dans la gueule du loup.

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Avant d’entrer dans l’hôtel de Matignon, Olivier Faure doit donc réagir. Il sort de sa manche une nouvelle carte de son jeu : le premier ministre devra, s’il ne veut pas être censuré par les socialistes, organiser un vote au Parlement sur la réforme des retraites. « Est-ce qu’il est prêt à ce que, d’ici au mois de décembre, les députés, les sénateurs aient la possibilité de voter pour la première fois sur une réforme qui, précisément, n’a été adoptée que grâce au 49.3 ? », demande-t-il.

Le message est clair : ils ne sont pas à vendre. Au bureau du premier ministre, les socialistes entendent les pistes de Sébastien Lecornu. D’un côté, il parle d’une année blanche et ferme la porte à la taxe Zucman. De l’autre, il défend une nouvelle méthode de gouvernance, vend son annonce sur le 49.3 et pose sur la table l’idée d’une taxe sur le patrimoine financier qui exclurait les biens professionnels. Du vent pour les négociateurs PS.

« Sur le fond, rien n’a changé »

À la sortie de la réunion ayant duré « de longues heures », selon les mots d’Olivier Faure, les socialistes comprennent, encore une fois, que Sébastien Lecornu est un mur. Il ne veut pas s’attaquer aux ultra-riches, il ne veut pas non plus d’un nouveau débat sur les retraites. Pas question de toucher aux totems du macronisme.

Nos exigences ne sont pas plus faibles à la sortie qu’à l’entrée.

O. Faure

« Nous lui accordons le bénéfice des heures prochaines pour réfléchir et donner sa réponse lors du discours de politique générale. Et nous jugerons en fonction de ce qu’il nous dira à ce moment-là. Mais chacun le comprend, nos exigences ne sont pas plus faibles à la sortie qu’à l’entrée, développe Faure. Il y a bien un début de rupture sur la forme, mais sur le fond rien n’a changé. »

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De son côté, Boris Vallaud, le patron des députés socialistes, est en colère. Il a vu la version du projet de loi de finances 2026 qui a été soumis au conseil d’État, une copie qui, selon lui, prévoit de nombreuses économies sur les franchises médicales, les allocations et les pensions. « Beaucoup de ce qui était dans le budget de François Bayrou a été transmis tel quel au conseil d’État et sera certainement déposé tel quel sur le bureau des assemblées. Aujourd’hui, il n’y a pas de rupture sur le fond », dénonce-t-il. La censure est dans les esprits.

Maigres concessions

Les Écologistes partagent cette envie de faire tomber ce premier ministre qui n’a toujours pas nommé de gouvernement. Et l’abandon du 49.3 n’a pas permis de les appâter. « On le demandait depuis longtemps. Mais pour les Français, ce n’est pas du sonnant et du trébuchant », raille Marine Tondelier.

Avant d’entrer à Matignon, la secrétaire nationale du parti au tournesol avait en tête une idée évoquée dans le projet de loi de finances envoyé le 2 octobre au Haut conseil des finances publiques (HCFP) : une réduction de l’impôt sur le revenu pour les couples payés chacun au Smic. Or, un couple au Smic ne paie déjà pas l’impôt sur le revenu. Après cette fuite dans la presse, Matignon a transmis une correction à l’AFP en indiquant que la mesure concernerait finalement les couples payés « légèrement » au-dessus du Smic. « On a la sensation que rien n’est prêt », lâche Tondelier.

On a la sensation que rien n’est prêt.

M. Tondelier

En face de Lecornu, les Verts portent la question de l’augmentation des APL et de l’indexation des salaires sur les prix. Sans réponse. Devant ses interlocuteurs, le premier ministre préfère tester l’idée d’accorder 1 milliard d’euros aux collectivités et confirme sa volonté de taxer les holdings. « La pression sociale l’oblige à se confronter à la question des holdings, cet endroit où Bernard Arnault peut mettre son argent et être moins fiscalisé que vous et moi. Cette pression peut fonctionner, il faut continuer », lance Cyrielle Chatelain, la présidente du groupe écolo à l’Assemblée.

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À la fin de la consultation, les concessions sont maigres. Sébastien Lecornu omet même le sujet écologique. « C’est nous qui en avons parlé à la fin du rendez-vous, on attendait que ce sujet vienne. Mais rien de la part de Sébastien Lecornu », grince Guillaume Gontard, le chef de file des sénateurs écologistes.

« Sébastien le magicien »

À la sortie de son rendez-vous, Fabien Roussel, le patron du Parti communiste français (PCF), jure qu’il ne s’est pas fait enfumer. « C’est Sébastien le magicien, ironise-t-il. Il nous a sorti du chapeau le 49.3 en disant qu’il ne l’utilisera pas. Mais de l’autre côté, il nous dit qu’on ne pourra pas discuter de la réforme des retraites. » Pour le premier ministre, c’est clair et net : il n’est pas question de rediscuter de la réforme Borne même s’il reconnaît que certains points, comme la pénibilité et les retraites des femmes, peuvent être débattus.

On verra le discours de politique générale et ce qu’il y aura comme biscuit dedans.

F. Roussel

Devant Lecornu, Fabien Roussel et Stéphane Peu, le patron des députés communistes, réclament une mesure forte sur le pouvoir d’achat. Ils discutent de la possibilité d’une baisse de la CSG, ce que demandent aussi les socialistes. Mais le secrétaire national du PCF l’admet : le premier ministre est très flou quand il s’agit de parler de justice fiscale et sociale. L’ex-ministre des Armées campe sur son idée de taxer les hauts patrimoines. « Il y a une porte ouverte que l’on peut enfoncer pour aller plus loin », considère Roussel. Mais il prévient : « On verra le discours de politique générale et ce qu’il y aura comme biscuit dedans. Moi, je reste sur ma faim. »

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De leur côté, les insoumis n’ont pas fait le déplacement pour se rendre à Matignon. Hors de question de rentrer dans la moindre négociation avec ce premier ministre qui n’est qu’un avatar de tous ses prédécesseurs. L’abandon du 49.3 n’est-il pas un bougé significatif ? Les mélenchonistes, qui n’ont de cesse de pointer la brutalisation des institutions par le président, ne doivent-ils pas applaudir cette annonce ?

Calcul insidieux

Les troupes de Jean-Luc Mélenchon ne sont pas naïves : selon eux, le renoncement au 49.3 n’est pas une main tendue à la gauche. Au contraire. Après avoir dealé avec le Rassemblement national (RN) des postes d’importance à l’Assemblée nationale, cette annonce permet de consolider cette alliance parlementaire entre la Macronie et l’extrême droite. Afin de faire adopter son budget et les textes qui suivront, Sébastien Lecornu voudrait, selon les insoumis, utiliser le prétexte d’une reparlementarisation du régime pour s’appuyer sur des liens existants entre le bloc central, la droite et le RN, une majorité libérale et nationaliste qui ne dit pas son nom.

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Le député insoumis René Pilato le voit : « Renoncer au 49.3, c’est très malin, il va laisser bosser un Parlement qui se droitise après le deal avec le RN et la Macronie pour pouvoir faire adopter des textes très durs comme la loi Duplomb. » Un calcul insidieux.

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