Argentine : comment Milei cherche à sauver son pouvoir
Dix provinces ont anticipé leurs élections législatives provinciales, dont celle de Buenos Aires, où l’opposition péroniste l’a emporté haut la main le mois dernier, obligeant le président à la tronçonneuse à faire appel à son homologue états-unien.
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© CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP
Le 26 octobre, la moitié des députés (127 sièges) et un tiers des sénateurs (24 sièges) argentins seront renouvelés au Congrès de la nation. Les électeurs renouvelleront également des représentants des 23 provinces et de la Ville autonome de Buenos Aires. Néanmoins, plusieurs circonscriptions ont choisi d’anticiper ces élections provinciales. C’est le cas de la province de Buenos Aires, où résident près de 40 % des électeurs du pays.
Le 7 septembre dernier, alors que les sondages annonçaient un scrutin serré, l’opposition péroniste, qui a présenté la liste unifiée Fuerza Patria, a battu haut la main (47,3 %) l’alliance entre le parti de Javier Milei, La Libertad Avanza (LLA), et le PRO – parti de l’ancien président conservateur Mauricio Macri (2015-2019) –, qui n’a obtenu que 33,7 % des voix.
Dans la province de Buenos Aires, l’opposition a donc remporté 34 sièges de députés et de sénateurs provinciaux, tandis que LLA n’en obtenait que 26. Milei a subi sa pire défaite électorale depuis son accession à la présidence de l’Argentine en décembre 2023. « Nous avons vécu un échec clair, il faut le reconnaître, a-t-il déclaré après l’annonce des premiers résultats, mais le projet pour lequel nous avons été élus en 2023 ne sera pas modifié, il sera au contraire renforcé », a-t-il réaffirmé.
L’ampleur de la défaite électorale dans la province de Buenos Aires a placé Javier Milei et son gouvernement dans une position délicate. Deux ans après une victoire en grande pompe où il avait battu avec une large avance de 56 % le candidat péroniste Sergio Massa (44 %), le président à la tronçonneuse fait face à un séisme politique qui n’améliore pas le climat politique tendu des dernières semaines.
Milei affaibli, le peuple appauvri
La principale promesse de Milei avant son arrivée à la Casa Rosada (palais présidentiel) en 2023 était de relancer une économie engluée dans une inflation et un endettement chroniques, en sabrant dans les dépenses publiques. Au cours des deux dernières années, le leader libertaire a réussi à contrôler l’inflation, qui galopait à plus de 142 % avant son arrivée. Mais il a aussi plongé beaucoup d’Argentins dans la pauvreté, qui a atteint un niveau record en 2024 (54,8 %) et qui touche aujourd’hui plus d’un tiers de la population, selon les chiffres de l’Institut national des statistiques et des recensements (Inec).
Une enquête réalisée par l’institut Zuban Córdoba en juillet dernier a révélé que 50,3 % des Argentins ont peur de perdre leur emploi et que 63,7 % affirment avoir de plus en plus de difficultés à « finir le mois ». Dans ce même sondage, 65,1 % des personnes interrogées ont estimé que leur situation économique s’était détériorée au cours des six derniers mois.
La période d’euphorie durant laquelle Milei était acclamé par les investisseurs a commencé à s’estomper.
Emmanuel Álvarez Agis, ancien vice-ministre de l’Économie argentin, explique que « cette élection législative anticipée a une forte incidence économique, car la province de Buenos Aires est l’une des juridictions les plus touchées par le programme macroéconomique de La Libertad Avanza », qui a imposé des coupes budgétaires massives dans les secteurs socioculturels.
Lors de son discours de victoire le 7 septembre dernier, Axel Kicillof, l’actuel gouverneur péroniste de Buenos Aires, a évoqué la colère des Argentins, qui s’exprimait jusqu’ici dans des manifestations. « Les urnes ont expliqué au président Milei qu’il ne peut pas s’en prendre aux retraités, ni arrêter de financer la santé, l’éducation, l’université, la science et la culture », a-t-il scandé haut et fort.
La période d’euphorie durant laquelle Milei était acclamé par les investisseurs pour avoir réduit le déficit budgétaire et fait baisser l’inflation a commencé à s’estomper au milieu de cette année 2025. Les marchés financiers s’interrogent désormais sur la viabilité de l’économie argentine après la forte diminution des réserves internationales. En effet, les pressions sur le marché des changes ont contraint la Banque centrale argentine à injecter plus d’un milliard de dollars pour stabiliser la valeur du peso argentin.
« Soutien inconditionnel »
Avec une popularité très déclinante et ce danger de déstabilisation complète de l’économie, Javier Milei s’est donc tourné vers un de ses plus fidèles alliés : Donald Trump. Mardi 23 septembre, il s’est rendu à New York pour obtenir l’aide de son homologue états-unien. Laquelle ne s’est pas fait attendre. « Il a fait un travail fantastique et nous allons l’aider », a déclaré le dirigeant des États-Unis, assis aux côtés du président argentin.
Dès le lendemain, le secrétaire au Trésor états-unien Scott Bessent a annoncé une série de mesures. Le responsable des finances de la plus grande économie mondiale a révélé que les autorités des deux pays sont en négociation pour établir une ligne d’échange de devises entre le Trésor états-unien et la Banque centrale argentine d’une valeur de 20 milliards de dollars.
Javier Milei a obtenu le soutien dont il avait besoin de la part de Donald Trump.
« Nous sommes également prêts à accorder un crédit stand-by important », a-t-il ajouté, c’est-à-dire un prêt assorti de certaines garanties afin d’assurer le respect des paiements. Ce crédit serait accordé par l’intermédiaire du Fonds de stabilisation des changes (ESF), un fonds de réserve d’urgence utilisé pour influencer le taux de change.
Enfin, les États-Unis « sont prêts à acheter de la dette publique », a expliqué le ministre, et travaillent avec le gouvernement argentin pour mettre fin à un système d’exonération fiscale pour les producteurs de matières premières principalement. Il semble indéniable que Donald Trump s’intéresse au lithium et aux terres rares abondantes en Argentine, et qu’il craint le retour des péronistes à la Casa Rosada.
Ce qui expliquerait l’enthousiasme du président états-unien pour accompagner le leader argentin dans cette phase délicate de son mi-mandat : « Javier Milei est un très bon ami et un gagnant. Il a mon soutien total et inconditionnel pour sa réélection à la présidence. »
Javier Milei a obtenu le soutien dont il avait besoin de la part de Donald Trump, et les marchés l’ont applaudi avec ferveur : le spectre d’une suspension des paiements aux créanciers privés s’est éloigné de l’Argentine. Les turbulences qui menacent encore de secouer la stabilité du gouvernement se sont apaisées. Du moins pour l’instant.
Des législatives décisives
Après avoir obtenu le soutien des États-Unis, Milei a également rencontré, jeudi 25 septembre, la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, qui a déclaré sur X après leur réunion : « Nous soutenons l’Argentine dans la mise en œuvre de politiques visant à préserver la stabilité, à réduire l’inflation, à reconstituer les réserves et à stimuler les perspectives de croissance. » La directrice du FMI a aussi qualifié de « bienvenue l’aide des États-Unis à l’Argentine ».
Après cette visite à New York, Milei souhaite conclure de nouveaux accords avec les 23 provinces argentines et le Congrès national, dans la perspective des élections législatives du 26 octobre, qui pourraient l’affaiblir davantage si la tendance observée dans la province de Buenos Aires se confirme dans tout le pays.
En effet, à ce jour, le parti de Milei ne dispose pas d’une majorité législative et, même s’il avait jusqu’à présent réussi à faire adopter plusieurs de ses initiatives au Parlement, il a essuyé des défaites importantes dans les dernières semaines. Le 4 septembre dernier, par exemple, le Congrès a annulé le veto présidentiel qui prévoyait de supprimer une loi de finance d’aides aux personnes handicapées.
Les élections législatives d’octobre revêtent une importance cruciale pour Milei dans ce contexte conflictuel avec le Congrès : il doit élargir sa base de soutien parlementaire pour assurer la gouvernabilité des deux années de mandat restantes.
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