Budget : « Le PS est en train de commettre une faute politique très grave »

Depuis lundi matin en commission, Claire Lejeune, députée insoumise de la septième circonscription de l’Essonne débat du volet recettes du projet de loi de finances 2026. Sans réussir à obtenir d’avancées majeures, alors que les débats en séance commencent vendredi.

Pierre Jequier-Zalc  • 22 octobre 2025 abonné·es
Budget : « Le PS est en train de commettre une faute politique très grave »
Claire Lejeune, députée insoumise, à l'Assemblée lors du vote de la loi Duplomb, le 8 juillet 2025.
© Guillaume BAPTISTE / AFP

C’est une sorte de crash-test où les stratégies politiques commencent à se dévoiler. L’examen en commission des finances du projet de loi de finances pour 2026 a commencé ce lundi 21 octobre, avant le début des grands débats, en séance, vendredi. Claire Lejeune figure au sein de cette commission.

Depuis 72 heures, la députée insoumise de l’Essonne défend ardemment les amendements de son groupe et de ses camarades du Nouveau Front populaire (NFP) pour tenter de réécrire largement la copie présentée par le premier ministre, Sébastien Lecornu. Mais, depuis trois jours, les premiers équilibres témoignent de la difficulté qu’aura la gauche, dans les prochaines semaines, à infléchir la politique du gouvernement.

L’examen du budget a commencé lundi en commission des finances. Quel premier bilan tirez-vous des débats ?

Claire Lejeune : Ce passage en commission est intéressant car il permet déjà de connaître les logiques des groupes politiques. Mon observation principale est qu’il existe un alignement des votes très fort entre les députés du « socle commun » ou ce qu’il en reste, et ceux du Rassemblement national (RN). Sur la flat tax, la contribution exceptionnelle des hauts revenus, les impôts des entreprises ou la taxe Zucman, les groupes macronistes et de droite votent presque systématiquement avec l’extrême droite pour faire obstacle à toutes les mesures de justice fiscale que nous proposons.

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Cet arc politique reste sur des mesures artificielles qui ne modifient pas les grands équilibres du budget proposé par Sébastien Lecornu. De notre côté, nous arrivons à repousser les mesures les plus ignobles de ce budget. Mais les grands équilibres ne sont pas renversés. Ce budget va rester un budget compatible avec la politique menée depuis 8 ans qui refuse d’aller chercher l’argent là où il est, notamment en taxant les ultrariches. 



Comment expliquez-vous l’alignement de l’extrême droite sur les macronistes ?

La ligne très libérale de Jordan Bardella prend pied dans le groupe parlementaire. Pour rappel, Jean-Philippe Tanguy [député RN de la Somme, voix du parti sur les questions économiques, N.D.L.R.] n’a pas toujours eu ces positions en faveur de la politique de l’offre. Aujourd’hui, ils prétendent adopter une position en défense de la justice fiscale mais ils font tout pour ne pas aller chercher l’argent là où il est. Il suffit de voir leurs votes pour le comprendre. Les masques tombent.

Ce parti qui se présente comme l’alternative radicale défend la continuité de la politique libérale macroniste. L’inflexion probusiness du RN est très forte. Et leur alliance avec le groupe d’Éric Ciotti de l’Union des droites pour la République (UDR) ne pouvait que les porter sur cette ligne très libérale.

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Avez-vous néanmoins obtenu quelques victoires ?

Nous avons réussi à repousser la modification de l’abattement sur les retraités, la question de la fiscalisation des indemnités journalières des malades en affection longue durée. Ce sont des mesures très choquantes qui étaient dans le projet de budget. Nous arrivons à limiter la casse, mais pas à transformer radicalement ce budget.

Par exemple, nous ne sommes pas arrivés en commission à faire passer la taxe Zucman. Alors que l’année dernière, nous avons réussi à faire voter l’hémicycle sur ce sujet. Nous sommes en train d’entériner un statut de protection pour les ultrariches. C’est un glissement très alarmant.

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Sébastien Lecornu a annoncé recourir à une lettre rectificative pour intégrer la suspension de la réforme des retraites au sein du PLFSS. Est-ce une bonne nouvelle ?

C’était une demande de notre part. Notre enjeu n’est absolument pas que cette suspension n’intervienne pas. On alerte simplement sur son caractère profondément hypothétique et se faire acheter sur cette base-là est un prix très modique. Mais cette lettre conforte nos chances que la suspension soit maintenue, notamment sur la question des délais d’examen du PLFSS. Malgré tout, il reste de très nombreuses interrogations. Il faut que le PLFSS soit voté, et, lors de son passage au Sénat, l’ensemble des acquis qu’on pourrait obtenir à l’Assemblée nationale risque d’être détricoté. Ensuite, rien ne dit que la commission mixte paritaire (CMP) serait conclusive. On en est donc encore très loin.

Nous ne pouvons pas nous octroyer le luxe de couper dans les dépenses alors que les services publics sont dans un état lamentable.

Sébastien Lecornu souhaite que ce projet de loi de finances permette au déficit du pays de passer de 5,4 % du PIB en 2025 à 4,7 % en 2026. En ne votant pas de nouvelles recettes, ne craignez-vous pas que ce budget taille fortement dans les dépenses ?

Le budget Lecornu part d’une copie, celle de François Bayrou, où le niveau de recettes était déjà très faible et où les économies se faisaient sur le dos des dépenses. Nous espérions, lors de la partie recettes du budget, faire voter des mesures de justice fiscale pour défendre, ensuite lors de la partie dépenses, du réinvestissement dans les services publics et mettre la priorité sur la bifurcation écologique. Nous ne pouvons pas nous octroyer le luxe de couper dans les dépenses alors que les services publics sont dans un état lamentable et que nous avons besoin de nous battre contre le changement climatique.

Même des économistes proches d’Emmanuel Macron le disent plus en plus ouvertement. Le rapport Pisani-Mahfouz [du nom de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz] affirme clairement que nous devons investir 34 milliards par an dans la bifurcation écologique. Mais les macronistes, la droite et l’extrême droite refusent d’être dans cette logique.

Les soutiens du camp présidentiel s’enferment dans des éléments de langage, en défendant la supposée réussite de la politique de l’offre alors que ses conséquences sont sous nos yeux. Le déficit du pays est très important, la France connaît un record en matière de défaillance d’entreprises, le pays se désindustrialise très fortement. Malgré tout, les macronistes refusent toute réflexion critique sur leur propre bilan.

Avant d’être sabré au 49.3, le budget de l’année dernière avait largement été modifié par les groupes du Nouveau Front populaire (NFP). Des réussites permises également par l’absence du bloc central durant les débats. Ce n’est plus le cas cette année. La gauche pourrait-elle tout de même peser sur les débats en séance ?

Les logiques politiques, durant ces débats budgétaires à l’Assemblée, ont bien changé en un an. Premièrement, nous observons que le Parti socialiste (PS) s’est déporté du programme du NFP. Au regard de son contre-budget, il rompt clairement avec les propositions que nous avons défendues l’année dernière. Pour le moment, les socialistes votent tous les amendements des groupes du NFP mais nous sentons qu’ils ont la tentation d’aller dealer avec les macronistes et d’obtenir quelques miettes. Ce comportement change donc la capacité du NFP à former un groupe solide et cohérent. Ensuite, le RN s’oriente de façon importante vers des positions libérales et Macron-compatibles, ce qui a forcément un impact sur les équilibres en présence.

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Enfin, les députés du socle commun se mobilisent, contrairement à l’année dernière, car le renoncement au 49.3 annoncé par Sébastien Lecornu les oblige à venir. Mais entre les débats en commission et en séance, il peut y avoir quelques surprises. Et leur cohérence politique est parfois fragile. En commission des finances, certains macronistes peuvent ne pas suivre la ligne majoritaire de leur groupe. Au sein de la Droite républicaine, deux députés ont même déposé des amendements contraires. Est-ce que cela risque de modifier en profondeur les équilibres ? Peut-être pas.

Renommer Lecornu était une insulte à tous les citoyens. Cet acte-là, en soi, méritait la censure.

En voulez-vous au PS d’avoir permis ce débat, en ne censurant pas Sébastien Lecornu, alors que tout semble indiquer que le budget qui en sortira sera très loin du programme du NFP ?

Ce n’est pas une question de sentiment personnel envers les parlementaires socialistes, mais de principe politique. Nous avons pris des engagements face aux électeurs lorsque nous avons fait campagne, ensemble, pour le NFP, sur la base d’un programme et d’une unité. Voir un PS qui rompt avec ce programme, qui a refusé de censurer François Bayrou l’an passé, et qui maintient désormais Sébastien Lecornu, crée une situation qui alimente une légitime colère. L’hypothétique suspension de la réforme des retraites, qu’Emmanuel Macron qualifie de décalage, a un coût terrible. Déjà, on n’est pas certain qu’on arrive à l’obtenir, il reste de très nombreux obstacles pour que ce décalage devienne une réalité. Et, surtout, on débat d’un budget qui sera très violent pour les Françaises et les Français.

Le PS est en train de commettre une faute politique très grave. Notamment à un moment où Emmanuel Macron a un usage particulièrement antidémocratique des institutions de la Ve République. Renommer Lecornu était une insulte à tous les citoyens. Cet acte-là, en soi, méritait la censure. Cela crée une forme de colère et de dégoût envers toute une partie de la classe politique. Ces fautes risquent de coûter cher aux socialistes.

Rompre une alliance politique et électorale solide pour aller négocier des miettes avec des membres d’un bloc politique qu’on combat frontalement depuis 8 ans, c’est incompréhensible. La division du NFP c’est ce qui permet aux macronistes de survivre. Que le PS joue ce jeu-là et participe à la diabolisation de La France Insoumise, c’est dramatique.

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