Comment la droite européenne anéantit le Pacte vert à bas bruit

Sous pression des lobbys industriels et de la droite européenne, le Pacte vert vacille. Vendu comme un pilier de la transition écologique à l’échelle de l’Europe, le texte est aujourd’hui vidé de sa substance par une directive.

Caroline Baude  et  William Jean  • 21 octobre 2025 abonné·es
Comment la droite européenne anéantit le Pacte vert à bas bruit
L'hémicycle du Parlement européen, à Strasbourg.
© Frederic Köberl / Unsplash

Six ans après sa présentation sous l’ancienne mandature européenne, le Pacte vert est déjà en danger. Censé définir la stratégie commune aux États membres de l’Union européenne (UE), ce dispositif avait pour objectif d’atteindre la neutralité carbone pour 2050. Mais c’était sans compter sur la fronde, discrète mais efficace, de la droite européenne, majoritaire au Parlement et à la Commission.

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Pour vider le Pacte vert de sa substance, l’institution, présidée par Ursula von der Leyen, a présenté le 26 février une proposition de loi spéciale, dite « directive Omnibus », permettant d’amender plusieurs textes en même temps. Jugé « trop contraignant pour les entreprises », le Pacte vert pourrait bien se transformer en coquille vide. Et ce, malgré l’urgence écologique. Alors qu’une commission du Parlement a déjà adopté plusieurs volets de la proposition de loi lundi 13 octobre, trois points sont dans le viseur.

Pression des lobbys industriels

Le plus emblématique est la directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD), pourtant votée à l’unanimité en 2022. Elle impose aux entreprises un devoir de transparence sur les impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) de leurs activités. L’objectif officiel de cette directive Omnibus est de « simplifier » les obligations des entreprises attendues par les différentes lois du Pacte vert, au nom de la « compétitivité et de l’efficacité européenne ».

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Si la Commission dit vouloir « réduire la charge administrative » des entreprises, les écologistes constatent surtout un recul de la régulation sociale et environnementale, le tout sous la pression des lobbys industriels. En effet, selon l’Observatoire des multinationales, les grandes entreprises ont mené une véritable campagne d’influence auprès des élus français à Bruxelles. Ceci, pour limiter au maximum la portée de la mesure encadrant leurs devoirs de transparence et de vigilance.

L’Observatoire va jusqu’à évoquer un « mépris des règles européennes encadrant le travail des lobbyistes ». Lors des consultations des parties pour établir le texte, pour une ONG consultée, neuf entreprises ont été interrogées.

Les grandes entreprises ont mené une véritable campagne d’influence auprès des élus français à Bruxelles.

La transparence des entreprises s’opacifie

L’objectif de la droite : réduire drastiquement le champ d’application de la CSRD. Seules les entreprises dépassant les 1 000 salariés et les 50 millions d’euros de chiffre d’affaires resteraient concernées. Le seuil minimum initial fixé à 250 salariés serait donc quadruplé. Environ 80 % des entreprises actuellement visées seraient donc exemptées de toute obligation de transparence.

La directive Omnibus va plus loin encore, en remettant en cause le contenu même des rapports de durabilité. Les douze normes de reporting, censées encadrer les informations relatives aux impacts sociaux et environnementaux publiées par les entreprises, seraient allégées, voire rendues optionnelles. Les normes prévues pour les PME seraient repoussées. Pourtant, les activités de nombreuses PME impliquent des risques sociaux et environnementaux. L’UE ouvre ainsi la voie à des rapports difficilement comparables entre entreprises et à un recul majeur dans l’efficacité durable.

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Si la première vague des entreprises concernées par la mesure originelle du Pacte vert a déjà rendu un premier rapport CSRD, elles seront moins nombreuses l’année prochaine et produiront des rapports moins exigeants, si la directive Omnibus est adoptée. L’application de ces rapports devait se répartir en trois vagues, les publications de la deuxième vague étant attendues pour 2026.

Cependant le 14 avril dernier, l’application pour les vagues 2 et 3 a été repoussée de deux ans. Et avec Omnibus, celles-ci pourraient être exclues pour de bon des exigences de transparence sur leurs impacts ESG.

L’UE ouvre ainsi la voie à des rapports difficilement comparables entre entreprises et à un recul majeur dans l’efficacité durable.

Les entreprises exemptées de responsabilité

Une autre loi du Pacte vert que la directive Omnibus veut « simplifier » est celle de la « diligence raisonnable en matière de durabilité des entreprises » (CS3D). Ce dispositif impose aux entreprises de prévenir et réparer concrètement les violations des droits humains et les dommages environnementaux qui peuvent se produire dans leurs activités et celles de leurs fournisseurs. Comme pour la CSRD, certaines obligations risquent d’être assouplies et l’application retardée et ou réduite.

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La taxe carbone aux frontières est une autre victime des mesures de simplification imposées par la Commission européenne. La proposition veut introduire une nouvelle exemption pour les PME important moins de 50 tonnes en marchandises et matières premières. Ainsi 90 % des importateurs seraient exemptés car ils représentant de très petites quantités d’émissions de CO₂ en provenance de pays tiers. Une décision inquiétante, surtout pour les PME industrielles comme les nombreuses petites entreprises minières, au bilan écologique fragile.

Ce paquet de réformes a créé l’indignation sur les bancs écologistes. La vice-présidente du groupe Les Verts, Marie Toussaint, accuse une directive « idéologique de la part de la Commission ». Pour Manon Aubry, coprésidente du groupe The Left, c’est « une carte blanche pour détruire la planète et les travailleurs ».

Selon une étude menée par YouGov et le think tank E3G auprès de 2 550 dirigeants d’entreprises européennes (dont 500 en France), une majorité de chefs d’entreprise soutiendraient l’existence du Pacte vert dans sa forme originale. Greenwashing ou simple bon sens ? La fronde face à Bruxelles est multiple. Pendant ce temps, la Commission européenne marche seule. Avec, derrière elle, l’ombre de l’extrême droite.

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