En commission, le RN et la Macronie s’allient pour défendre un budget d’ultra-riches

Les débats sur le volet recettes du projet de loi de finance pour 2026 ont débuté ce lundi en commission des finances, donnant à voir une alliance tacite entre le bloc central et le RN pour protéger les privilèges des plus aisés et des grandes entreprises.

Pierre Jequier-Zalc  • 22 octobre 2025 abonné·es
En commission, le RN et la Macronie s’allient pour défendre un budget d’ultra-riches
© Lily Chavance

On les annonçait tendus, âpres. Le tour de chauffe a confirmé les pronostics. Depuis lundi matin, les débats sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 ont débuté en commission des finances. Et on est bien loin de l’épisode de l’an passé, où la gauche passait ses amendements comme une lettre à la poste alors que les députés du bloc central avaient déserté les débats. Pour cause, ils savaient pertinemment que le premier ministre allait invoquer l’article 49.3, balayant donc la copie « NFP-compatible ».

Cette année, la musique a changé. En annonçant qu’il n’aurait pas recours au 49.3, Sébastien Lecornu a donné beaucoup plus de poids aux débats parlementaires. Pas étonnant, donc, que la commission des finances soit pleine à craquer depuis lundi matin. Chaque amendement, chaque vote, chaque article compte. Et donne lieu à d’intenses discussions. Si celles-ci ne déterminent pas la copie finale – qui sera votée en séance –, elles indiquent bien l’état des rapports de force à l’aube de semaines budgétaires acharnées.

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Le premier bilan n’est guère positif pour la gauche. Les amendements socialistes, écologistes, insoumis et communistes ont presque tous été rejetés. Les députés du bloc central et ceux du Rassemblement national (RN) ont fait vote commun pour refuser tout changement de politique économique. Les exemples sont nombreux et démontrent à quel point la copie finale du budget risque de s’inscrire dans la continuité du macronisme.

Niche fiscale pour les plus riches

Le premier est sans doute celui sur le Cisap, acronyme barbare du crédit d’impôt services à la personne. Celui-ci permet de bénéficier d’un important crédit d’impôt lorsque vous engagez un salarié à domicile. Aujourd’hui, le dispositif coûte 6,8 milliards d’euros par an à l’État. Une niche fiscale d’ampleur qui bénéficie largement aux plus riches : en 2024, plus de 50 % du dispositif a été reversé aux 20 % les plus aisés du pays qui emploient femme de ménage, jardinier, cuisinier personnel, ou coach sportif.

Notre rôle n’est pas de subventionner les plus riches pour qu’ils respectent la loi mais de mieux les contrôler.

A. Le Coq

Pendant plusieurs dizaines de minutes, la gauche a essayé de s’y attaquer. En réduisant son périmètre pour y exclure « les loisirs des riches », ou en baissant son plafond. Même Daniel Labaronne, député macroniste, avait déposé un amendement, seul, pour réduire légèrement le plafond du Cisap. En vain. Méthodiquement, l’intégralité de ces amendements a été rejetée du fait d’une alliance entre le socle commun et le RN.

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Et le principal argument du rapporteur général du budget, le député de droite Philippe Juvin, est pour le moins étonnant : s’attaquer à ce dispositif « augmentera, mécaniquement, le travail dissimulé ». Une rhétorique partagée par le RN qui indigne sur les bancs de gauche. « Notre rôle n’est pas de subventionner les plus riches pour qu’ils respectent la loi mais de mieux les contrôler. C’est totalement lunaire ! », tacle Aurélien Le Coq, député insoumis. Sans succès.

ISF, héritage, taxe Zucman : la gauche impuissante

Le début d’un long calvaire pour les parlementaires issus des groupes du Nouveau Front Populaire. Rétablissement de l’ISF, mise en place de la taxe Zucman, suppression de la flat tax : un par un, les amendements sont balayés. « Ça change en comparaison de l’année dernière », commente, amèrement, Éric Coquerel, président de la commission des finances après le rejet de toute une série d’amendements sur la flat tax, qui fixe un taux unique – et non progressif – sur les revenus du capital.

Même revers sur l’héritage. Main dans la main, les députés du socle commun et du RN ont voté contre tout changement concernant le pacte Dutreil, vaste niche fiscale qui permet aux plus riches de bénéficier d’exonérations de fiscalité sur la transmission de biens professionnels. « C’est un dispositif qui fonctionne très bien », affirme un député frontiste, malgré plusieurs études qui montrent les contournements de l’impôt que celui-ci permet.

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Pis, cette alliance tacite a même permis de faire adopter des amendements de droite particulièrement durs. Comme celui qui supprime la défiscalisation des dons aux « associations, souvent issues de mouvances antispécistes, [qui] mènent des actions illégales – effractions, captations d’images sans consentement, intrusions dans les élevages – dans le seul but de discréditer et stigmatiser une profession déjà soumise à de très nombreuses contraintes et contrôles sanitaires ».

Ce mardi, la donne n’a que très peu changé. La gauche n’a pas réussi à revenir sur la baisse de la CVAE, un impôt de production, souhaitée par le gouvernement et qui fait perdre près d’1,5 milliard de recettes au budget de l’État. « On a un niveau très élevé des impôts de production. Au RN, on considère qu’il faut baisser les impôts des entreprises pour gagner de la compétitivité », assume Matthias Renault, député RN, reprenant les éléments de langage macroniste.

RN et macroniste : une ode à l’économie ultralibérale

Si aucune avancée vers plus de justice sociale ou fiscale n’a pu être engrangée par la gauche, certaines mesures particulièrement injustes de la copie présentée par Sébastien Lecornu ont tout de même été retoquées ou amendées. Comme l’abandon de la suppression de l’abattement de 10 % sur les pensions de retraite. Ou l’indexation sur l’inflation de la première tranche de l’impôt sur le revenu… mais pas les trois suivantes.

La partie recettes risque d’être encore plus réduite que dans la copie initiale du premier ministre.

Ainsi, ces premiers jours sont nourris d’enseignements et confirment les craintes de la gauche hors socialiste. D’un point de vue économique, les alliances au sein du Parlement sont facilitées entre la macronie et l’extrême droite – qui défend de plus en plus une vision ultralibérale de l’économie – qu’avec la gauche, esseulée, qui enchaîne les revers. Ce premier round en commission, où les équilibres politiques de l’Assemblée nationale sont respectés, en est la plus limpide illustration. Si c’est bien l’examen du texte en séance, à partir de vendredi, qui fera foi, rien n’indique que la donne changera profondément.

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Surtout, ces premiers rapports de force laissent planer un risque important pour la suite des débats. En effet, comme expliqué, l’examen en commission de la partie recettes du projet de loi de finances a montré qu’il n’existait pas de majorité pour dégager de nouvelles recettes importantes. En revanche, il a démontré qu’il y avait bien une majorité pour supprimer les mesures prises par Sébastien Lecornu qui visait – de manière injuste – à obtenir de nouvelles recettes. La partie recettes risque donc d’être encore plus réduite que dans la copie initiale du premier ministre.

Or, celui-ci a d’ores et déjà indiqué qu’il refuserait de porter un budget qui passerait la barre des 5 % de déficit. Ce qui mettrait une grosse pression sur les parlementaires pour la suite des débats, notamment sur la partie dépenses. Avec ce risque : un budget 2026 qui se termine en bouillie, entre un mauvais statu quo et une vaste attaque contre les plus précaires.

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