Macron : pourquoi ce hold-up démocratique est un tapis rouge au RN
Alors que la reconduction de Sébastien Lecornu à Matignon plonge la majorité dans un nouvel imbroglio politique, le Parti socialiste se retrouve au centre du jeu. Profitant de l’obstination présidentialiste et des tractations sans fin, Marine Le Pen trace sa route, tapant sa haine aux portes de l’Élysée.

© Ludovic MARIN / AFP
Emmanuel Macron a tranché : un ancien nouveau premier ministre, Sébastien Lecornu – ex-nouveau premier ministre démissionnaire renommé premier ministre, macroniste jusqu’au bout des ongles, se maintient à Matignon, après avoir signifié que sa « mission [était] terminée ».
Ce choix très tardif, annoncé quasi sans surprise, sonne comme une nouvelle gifle aux oppositions et comme un déni assumé de la réalité politique. Au lieu d’ouvrir, le président s’enferme. Au lieu de composer, il persiste. Alors que le pays étouffe sous l’absence de majorité, il choisit la continuité – cette même verticalité usée, cette même illusion de maîtrise.
Emmanuel Macron reconduit le statu quo, comme si le simple mouvement des visages suffisait à masquer la paralysie du système.
On aurait pu croire que le chef de l’État saisirait l’occasion d’un nouveau départ, d’un rééquilibrage, d’un souffle politique capable de renouer avec l’adhésion populaire. Il n’en est rien. Fidèle à son réflexe d’entre-deux, Emmanuel Macron reconduit le statu quo, comme si le simple mouvement des visages suffisait à masquer la paralysie du système.
L’ex nouveau chef du gouvernement n’incarne ni un cap, ni une coalition, ni une ouverture : il n’est qu’un rouage de plus dans la mécanique présidentielle, condamnée à tourner à vide. Et comme pour tenter de reprendre la main, le président improvise. En pleine nuit, à 2h du matin, il avait convoqué une réunion qui aura lieu quelques heures plus tard, comme un chef de guerre soudain conscient du chaos.
Une réunion improvisée qui n’a débouché sur rien et dont les conclusions présentées par le président – « un chemin est encore possible » aurait-il promis – ne correspondaient en aucun point avec les conclusions de l’ensemble des participants – de droite comme de gauche – qui semblaient ne pas voir le même chemin. Aucun cap donc, aucune décision claire, juste une mise en scène creuse de l’autorité. Un théâtre politique dont chacun sort plus perdu qu’avant. Une réunion pour donner l’illusion d’agir, alors que tout s’effrite.
Symbole désastreux
Pendant ce temps, loin des salons de l’Élysée, Marine Le Pen traçait sa route. Tandis que les tractations d’apothicaires agitaient la gauche, le centre et la droite dans des manœuvres stériles, la patronne des députés RN enchaînait les selfies avec des pompiers et des agriculteurs. Elle s’exposait en pleine campagne là où les autres négociaient sous les ors de la République. Elle se montre dorénavant là où les autres s’enterrent.
Déconnectée des magouilles parisiennes ? Précisément. Et c’est ce qui fait sa force. Car dans le contraste des images, elle gagne. Là où le pouvoir patauge, elle avance. Là où les partis se replient, elle occupe le terrain. Le symbole est désastreux : une démocratie épuisée, fracturée, abandonnant l’espace public à l’extrême droite faute de savoir encore parler au pays.
Face à cela, les oppositions fulminent mais se retrouvent piégées. Car censurer le gouvernement, c’est précipiter la crise, risquer la dissolution, et peut-être offrir Matignon au Rassemblement national. Le Parti socialiste, en particulier, se retrouve à la croisée des paradoxes : détenir la clé de la stabilité tout en craignant d’en user.
Cette nomination n’est pas un geste d’autorité, c’est un acte de déni.
Ce fragile équilibre maintient le président à flot, mais au prix d’un blocage démocratique qui mine chaque jour davantage la confiance publique. Les autres formations, elles, oscillent entre indignation et paralysie stratégique, incapables de transformer l’urgence en action décisive. Emmanuel Macron, lui, s’en accommode. Le chef de l’État avance déjà le mot de « responsabilité », accusera sans doute ses adversaires d’obstruction, et se prépare à jouer, une fois encore, le rôle de victime lucide d’un système qu’il aura lui-même figé.
Mais cette nomination n’est pas un geste d’autorité, c’est un acte de déni. Et dans ce déni s’exprime toute la fatigue d’un pouvoir qui ne sait plus se réinventer. Chaque décision, chaque déplacement, chaque déclaration – bien que la dernière s’est faite attendre – devient une démonstration de survie plutôt qu’un instrument de gouvernance.
Les échéances électorales, elles, se rapprochent inexorablement. Les municipales dans quelques mois et/ou enfin les législatives anticipées, longtemps brandies comme une menace, deviennent un horizon plausible. Et si le gouvernement venait à tomber, c’est la question du leadership national qui se poserait de manière brutale : qui peut incarner un compromis et restaurer la confiance ?
Dépossession
En réalité, sans un retour aux urnes – et probablement sur la base d’une présidentielle anticipée comme ils sont de plus en plus nombreux à le demander sur l’ensemble de l’échiquier politique –, peu de forces semblent capables de relever ce défi. Le courage politique, désormais, n’est plus de tenir mais d’admettre que ce pouvoir-là ne gouverne plus. Le peut-il seulement ?
Emmanuel Macron transforme la continuité en provocation.
Pourtant, c’est bien cette incapacité, et non les oppositions, qui constitue le véritable danger pour la stabilité républicaine. La nomination de cet ex nouveau premier ministre – une première de mémoire de Ve République – n’est donc pas un simple acte politique : c’est un symbole, un avertissement, et un acte de dépossession démocratique.
En prétendant poursuivre le même chemin sans majorité, Emmanuel Macron transforme la continuité en provocation, la persistance en déni, et la verticalité en hold-up sur la démocratie. Et tandis que le président convoquait pour rien l’ensemble de la classe politique à 2 heures du matin, Marine Le Pen, elle, aligne les images de proximité. La politique se déplace. La censure pourrait être imminente. Et pendant ce temps-là, c’est la République qui vacille.
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